« "Avec vous", c'est la seule méthode pour réussir les transitions profondes au bénéfice des territoires » (Patrick Levy-Waitz)

GRAND ENTRETIEN. Président de la Fondation Travailler Autrement et auteur de rapport sur les tiers-lieux, Patrick Levy-Waitz fait partie de l'équipe rapprochée qui porte les sujets territoriaux auprès du président-candidat. Dans une interview accordée à La Tribune, il revient sur les premières annonces d'Emmanuel Macron en matière de collectivités et de relocalisation de l'action publique.
César Armand
Patrick Levy-Waitz
Patrick Levy-Waitz (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE- Dans l'équipe rapprochée du président-candidat, vous êtes celui qui porte les sujets territoriaux. Or, lors de la présentation de son programme le 17 mars, Emmanuel Macron n'a pas prononcé le mot "tiers-lieux", alors que dans la version grand public, il appelle à les multiplier. Pourquoi ?

PATRICK LEVY-WAITZ- Le président de la République a présenté les grands principes et n'est pas entré dans les détails. De la même façon, il n'a pas parlé de renforcer le réseau des sous-préfectures et de continuer à développer le réseau France Services, alors que c'est écrit dans son programme grand public. Et j'ai eu l'honneur de contribuer à ces réflexions avec beaucoup d'autres.

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Il a en revanche été question de "s'appuyer sur la force des territoires", de "territorialiser davantage notre action publique" et de "pacte territorial". Précisément, que cela signifie-t-il ?

J'ai l'habitude de dire que quand le président est arrivé au pouvoir, beaucoup lui ont fait un procès en illégitimité au seul prétexte qu'il n'avait jamais été élu local. Depuis, le gouvernement a lancé les programmes "Action Cœur de ville", "Tiers-lieux" et "Petites villes de demain" qui ont permis de construire et tester une nouvelle méthode d'action avec les territoires. Chacun de ces programmes illustre une ambition nationale et une mise en œuvre proposée et portée par les acteurs locaux qu'ils soient élus, acteurs économiques ou citoyens. Au final, on peut dire qu'il y a aujourd'hui consensus sur cette articulation qui est impulsée par l'Etat et dont les projets émergent localement.

Concrètement ?

Pendant quarante ans, nous avons empilé des lois de décentralisation, et de déconcentration mais ce sont des concepts qui ne parlent plus aux citoyens. Répondre à leurs besoins et leur apporter des solutions en proximité doit être le point de départ pour imaginer, par voie de conséquence, le fonctionnement le plus adapté à la réalisation de l'objectif. Donc, soyons clairs : pour traiter la question des territoires, soit vous prenez l'angle des organisations et des institutions, soit vous partez des besoins des citoyens et de la proximité pour améliorer efficacement leur vie quotidienne et réfléchir ensemble à la résorption de leurs difficultés. Cette démarche est exactement celle que nous avons mise en place pour les programmes Manufactures de proximité et Fabriques des Territoires ou ceux mis en œuvre par l'Etat dans le cadre de Territoires d'Industrie. Les territoires sont des espaces de solutions à partir desquels l'ambition portée peut être démultipliée. Le principe de réalité doit nous conduire à cette révolution copernicienne pour créer de la dynamique et de la puissance collective.

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Est-ce en ce sens qu'il faut comprendre la formule "créer de la synergie entre les départements et les régions" qui reprend la réforme avortée du président Sarkozy, reprise un temps par le ministre Lecornu, de conseiller territorial ?

La proximité et l'accompagnement de nos concitoyens doivent déterminer la manière dont nous repensons l'architecture globale du pays. Le bloc communal est totalement légitime car c'est la carte de l'hyperproximité. Ensuite, le département est l'échelon qui fait le plus de sens culturellement. Du fait des réformes de François Hollande, la région est, quant à elle, très distendue, éloignée et désincarnée. En d'autres termes, à la région d'élaborer la stratégie et au département, de gérer l'opérationnalité. La proximité et l'action collective simple et efficace sont la clé de voûte de cette réussite. C'est en ce sens que le conseiller territorial pourra assurer l'alignement stratégique entre les instances.

Dans votre étude sur les 15.000 "invisibles" publiée la semaine dernière au titre de la Fondation Travailler Autrement, vous mettez en exergue des vies personnelles et professionnelles "contraintes", notamment par le logement, "un besoin difficile à satisfaire". Le candidat-président a promis d'y revenir ultérieurement, mais n'est-il pas temps de clarifier cette compétence éparpillée façon puzzle ? La commune a le permis de construire, l'intercommunalité le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi), la métropole le plan métropolitain pour l'habitat et l'hébergement (PMHH) et la région l'aménagement.

La question centrale qui m'intéresse, c'est la vie des personnes. La société doit permettre à chacun de trouver le travail qui lui permet de bien vivre. Mais encore faut-il que les conditions soient réunies pour que ce soit possible. Cela passe par trouver une solution de garde d'enfants notamment lorsque vous êtes une femme seule, ou faciliter les déplacements entre domicile et travail ou encore allouer un logement rapide quand on doit déménager...

La question du logement est évidemment centrale. L'empilement des compétences et circuits de décisions doivent être simplifiés. Je suis favorable à la proposition faite par Emmanuel Macron de donner la responsabilité en matière de logement et les financements adéquats à l'échelon le plus proche à savoir la commune et l'intercommunalité.

"Nous planifierons les besoins en termes de compétences de la nation en les territorialisant, et en adaptant notre offre de formation en conséquence" a encore promis Emmanuel Macron...

Aujourd'hui, nous avons d'un côté des acteurs qui accompagnent des demandeurs d'emploi, d'autres qui s'occupent d'insertion et certains de formation. Il est temps de passer d'une logique verticale à une logique horizontale de parcours de vie.

Personne n'a la solution miracle, mais si chacun apporte sa contribution et si les programmes sont plus simples et fluides, cela permettra peut-être d'assouplir et d'aligner les politiques publiques. Les organisations viendront alors soutenir les parcours de vie mais ne détermineront pas comment il faut faire.

C'est une révolution de pensée, mais reconnaissons que tout est devenu trop complexe et illisible... Redonnons donc toute sa place au bassin d'emploi qui est l'échelon prioritaire.

Est-ce la même philosophie qui guide la planification et l'adaptation territoriale en matière de production d'énergie et de nouvelles filières industrielles ?

C'est exactement la même logique, la transition écologique est un objectif prioritaire. L'ambition est claire pour le pays et doit embarquer l'ensemble des actions à hauteur d'Homme, là où ça se passe. Il nous faut maintenant traduire cela selon la capacité et l'histoire du territoire et s'appuyer sur les solutions pragmatiques locales pour que chacun puisse se sentir responsable des résultats induits.

Derrière "Avec vous", ce n'est pas un slogan, c'est la seule méthode pour réussir les transitions profondes au bénéfice des territoires et de leurs habitants. Ce n'est pas le même sujet dans le Sud ou dans la Creuse, car les besoins ne sont pas les mêmes. Il faut désormais redonner des moyens et des marges de manœuvre pour que chacun décline en fonction de la situation locale.

Combien et comment ? Via un projet de loi consacré aux finances locales ? Depuis la suppression de la taxe d'habitation, quoique compensée par l'Etat et remplacée par la taxe foncière, les maires et plus généralement les élus demandent une remise à plat de la fiscalité locale.

Je crois que la première demande des élus, c'est de pouvoir agir sans être contraint par l'excès de normes et de réglementations et de pouvoir répondre aux attentes de leurs concitoyens.

A quels verrous pensez-vous ?

Par exemple, il manque 200.000 places d'accueil pour les enfants de moins de 3 ans. Les parents n'en peuvent plus et attendent des solutions. S'il faut déverrouiller les responsabilités pour réussir, nous le ferons. Si une collectivité trouve une piste, l'Etat doit pouvoir la soutenir avec un accompagnement financier ad hoc.

Il ne faut plus avoir de tabou sur la façon de faire les choses. A chaque situation, nous devons trouver la solution adaptée. C'est au demeurant ce qui s'est passé quand l'Etat a repris la gestion du RSA à la demande du département de la Seine-Saint-Denis ou quand il met en place des expérimentations dans des territoires.

C'est cela le changement de méthode. Nous ne résoudrons pas les problèmes de notre pays si nous ne changeons pas de paradigme. Je le redis, au-delà des questions de décentralisation et de déconcentration, c'est la question des solutions qui doit conduire à redéfinir les règles et les responsabilités les plus pertinentes.

Le millefeuille pluridécisionnel n'est plus acceptable. Nous avons besoin de lisibilité et de proximité avec des solutions adaptées aux territoires que l'on vive à Nice, Aurillac ou en Île-de-France.

La région-capitale demeure le premier désert médical. Le président-candidat a proposé des "permanences ponctuelles" dans les territoires les moins dotés...

C'est à l'évidence un vrai sujet critique à traiter dans les années qui viennent. Il illustre le fait que les territoires savent co-construire des solutions ad hoc. Il ne se résoudra pas d'un coup de baguette magique, mais il faut déjà regarder comment mieux articuler le rôle de chacun : de l'aide-soignant au pharmacien en passant par l'infirmier et le médecin.

L'idée communément admise que l'Etat doit tout faire depuis Paris est révolue. Nous devons libérer les capacités avec des objectifs clairs. Ce qui a fonctionné pendant le premier quinquennat, c'est la co-construction. Et n'oublions pas que nos concitoyens demandent « comment on résout mon problème et qui est le mieux à même de le résoudre bien, vite et de façon transparente ».

En revanche, ce qui ne plaît pas sur le terrain, c'est l'explosion des appels à projet et autres appels à manifestation d'intérêt...

Il y a des avantages à tout modèle. Il y a probablement une optimisation à mener mais surtout il faut permettre aux petites communes de notre pays de disposer de suffisamment d'ingénierie pour avoir les compétences nécessaires pour répondre à ces appels à projets.

César Armand
Commentaires 3
à écrit le 22/03/2022 à 8:25
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Pour quel objectif ? Quel est le destin de la France aujourd'hui ? Va-t-elle devenir une simple agglomération de village et communautés ?

à écrit le 21/03/2022 à 8:06
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Décentralisation des responsabilités et centralisation des moyens financiers, rien de tel pour maintenir "le pouvoir" au plus prés de Bruxelles!

à écrit le 21/03/2022 à 7:10
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propagande quand tu me tiens; la france est un pays jacobin.........faire participer les territoires reenchantes, avec toute la technostructure qui est contre???? he, si c'est pour faire comme avec le rmi, ou paris decide des regles du jeu, mais dele...

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