Retraites, santé, accueil et aides aux personnes, soutien aux entreprises : les pistes de réduction des dépenses publiques proposées par France Stratégie pourraient susciter de vives controverses. Alors que Emmanuel Macron a lancé le Grand débat le 15 janvier dernier, les questions se multiplient sur le rôle de la fiscalité et de la dépense publique. Sur la chaîne LCI, ce vendredi matin, le patron du Medef Geoffroy Roux de Bezieux a indiqué que le poids des dépenses publiques doit être le sujet numéro "un" des discussions. Le responsable de l'organisation patronale a appelé de ses voeux des efforts plus conséquents pour réformer l'Etat. "On dépense trop d'argent en France, je pense que ça doit être le sujet de l'acte 2", a déclaré M. Roux de Bézieux, estimant que le pays ne pouvait "pas continuer comme ça".
"Depuis 40 ans, le poids de l'Etat est passé grosso modo de 40% à 58% de la richesse nationale", a ajouté le responsable de la principale organisation patronale française. Parmi les quatre thèmes sélectionnés par le gouvernement figurent la fiscalité et la dépense publique. L'exécutif a d'ailleurs préparé une fiche pédagogique sur ces deux sujets dont l'objectif est d'en expliquer les grands enjeux. Pour tenter d'alimenter ce débat, France Stratégie vient de publier une note intitulée, "Où réduire le poids de la dépense publique ?", dans laquelle l'organisme revient sur les principaux postes de dépenses dans un pays où la puissance publique joue un rôle majeur.
Les retraites, le principal poste de dépense
Les deux auteurs de la note ont établi une comparaison européenne des dépenses publiques par grands domaines en pourcentage du produit intérieur brut (PIB). Onze pays ont ainsi été pris en compte dans les travaux de France Stratégie. La France arrive en première position. En 2016, les dépenses publiques représentaient 55,7% du PIB en France (dont 0,8 point de CICE). "C'est 8,1 points de plus que la moyenne des pays retenus dans l'échantillon (et 13 points de plus que la moyenne des pays de l'Union européenne), mais seulement 3,2 points de plus que la moyenne des pays nordiques" souligne l'organisation rattachée au Premier ministre.
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Parmi les grands postes retenus apparaissent les prestations de redistribution monétaire (retraites et vieillesse, aides sociales) qui peuvent expliquer une bonne partie de l'écart avec les autres pays. En France, les dépenses de retraite représentent "près de 14 points de PIB et se situent 3,4 points au dessus de la moyenne." Evidemment, ces comparaisons peuvent présenter des limites compte tenu du degré de socialisation de certaines dépenses en France au regard des autres pays. Ce que rappellent les experts :
"Là où la France a fait le choix d'un système de retraite par répartition, presque intégralement socialisé et obligatoire certains pays ont opté pour des régimes hybrides avec une composante privée et facultative (au moins au niveau de la branche), souvent en capitalisation, plus importante [...] les dépenses liées à ces régimes ne figurent pas dans les dépenses publiques, car même si les contributions servant à les financer revêtent en pratique le même caractère contraignant pour le salarié et/ou l'employeur que des prélèvements obligatoires, un choix existe au niveau de la branche et de la convention collective."
Les mesures importantes de soutien à l'économie
L'autre poste de dépense qui permet d'expliquer un tel écart concerne les dispositifs de soutien à l'économie. L'ensemble des subventions et transferts et des investissements (hors social et régalien) représente environ 7% du PIB contre 4,5% en moyenne dans les autres pays pris en compte dans l'étude et 4,9% dans les pays du Nord. Outre le poids important du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), les rédacteurs mentionnent le crédit d'impôt recherche (plus de 5 milliards), le soutien aux énergies renouvelables (plus de 5 milliards), les crédits d'impôts pour l'emploi à domicile.
Si les experts ne pointent pas forcément une dépense en particulier, ils rappellent que "des dispositifs de subventions sur les produits ou à la production peuvent être perçus comme le moyen de compenser une fiscalité trop élevée sur les facteurs de production". Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron a régulièrement relancé le débat sur les impôts de production. Mais face aux dépenses supplémentaires engendrées notamment par la transformation du CICE en baisse de cotisations sociales pérenne ou les annonces du 10 décembre dernier destinés à soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs à bas salaires et des retraités aux revenus modestes, les marges de manoeuvre semblent limitées. Déjà au printemps 2018, le Premier ministre Edouard Philippe avait écarté de nouvelles baisses d'impôts de production pour les entreprises avant 2020. Il avait justifié cette annonce en exprimant "un environnement budgétaire contraint" et la nécessité d'une concertation avec les collectivités locales.
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Enfin, si après la crise de 2008, les intérêts de la dette sont restés un poste budgétaire relativement important pendant quelques années, rappelle l'étude, ils ont bien diminué depuis. Ils représentaient 2,8% du PIB en 2008 contre 1,9% en 2016 (et 2,1% dans les autres pays la même année).
Des scénarios risqués
Pour parvenir à l'objectif de réduction de la dépense publique de trois points à la fin du quinquennat, l'organisme rattaché au Premier ministre a élaboré trois scénarios qui pourraient susciter des débats houleux. Le premier consiste à réduire de manière drastique les dépenses de soutien à l'économie (investissements, soutienet transferts) et les dépenses des collectivités locales. Dans le contexte actuel des "gilets jaunes" et des tensions exacerbées entre le gouvernement et les élus locaux, cette proposition paraît risquée pour le gouvernement qui doit faire face à une contestation aiguë. La deuxième proposition repose sur des coupes dans les dépenses de santé sans toucher à celles consacrées aux hôpitaux.
Les réductions concerneraient principalement le domaine de la santé marchande et les médicaments. Enfin, le troisième scénario, présenté comme "plus équilibré", suppose "d'élargir les économies aux prestations sociales en espèces" (retraites, chômage, famille, pauvreté, logement), ainsi qu'à "l'accueil et l'aide aux personnes" (petite enfance, handicap, dépendance). A ce sujet, la note de France Stratégie considère que "les décisions prises par le gouvernement de désindexer partiellement les retraites en 2019 et 2020, de même que la volonté de mieux maîtriser les dépenses d'assurance-chômage, vont dans ce sens". Là encore, le gouvernement pourrait encore se confronter à la colère des retraités qui ont déjà, à plusieurs reprises, manifesté au cours de l'année 2018. La désindexation des retraites a attisé le mécontentement des plus âgés. Si l'exécutif a reculé sur la CSG pour les retraités touchant entre 1.600 euros et 2.000 euros au mois de décembre, les sources de tensions demeurent bien visibles.