GL Events. "Toute crise constitue pour l’entrepreneur une épreuve de vérité"

[Enquête 4/4] Agathe Potel (emlyon business school) et Sylvain Audureau (Esdes – Université catholique) sont enseignants-chercheurs, spécialistes en "leadership des entrepreneurs". Celui-ci, la manière dont Olivier Ginon, président-fondateur de GL Events, l’incarne à la faveur de notre enquête, leur inspire, pour partie, l’inquiétude. Car la crise constitue pour tout patron une épreuve de vérité, un révélateur au sein du corps social des principes humains, managériaux, organisationnels qu’il a ensemencés.
(Crédits : Nicolas Rodet)

Un tempérament omnipotent et omniscient, une personnalité écrasante, un état de fusion avec "son" entreprise, une obsession du contrôle et de la centralisation, des relations humaines et un exercice hiérarchique brutaux, un storytelling personnifiant et sacralisant à l'excès, la succession pour tabou - qui, jusqu'à l'irruption de la crise pandémique, n'ont pas entravé l'ascension spectaculaire d'un groupe, GL Events, devenu leader mondial de l'événementiel -... qui côtoient des qualités, hors normes, de visionnaire et de bâtisseur plébiscitées  : ces propriétés entrepreneuriales, archétypales d'Olivier Ginon, sont inspirantes pour des enseignants-chercheurs en entrepreneuriat. Inspirantes et, pour partie, inquiétantes.

Aux yeux de Sylvain Audureau, chercheur en sciences de gestion (Esdes - Université catholique) et délégué général des Ateliers de l'entrepreneuriat humaniste, le "cocktail" autoritarisme - centralisation - insuffisante considération humaine est obsolète. "Il l'était partiellement avant la crise, il l'est définitivement aujourd'hui". L'hypertrophie du pouvoir tétanise la prise d'initiative et de risque, elle décourage la confrontation des intelligences puis l'hybridation du "mieux", du "meilleur collectif" qui peut en ressortir, elle enraye l'exercice des responsabilités, elle peut donc "bloquer", et même statufier l'entreprise. Espérer, dans ces conditions, accomplir la transformation exigée par les circonstances de la déflagration pandémique est "un vœu pieux".

Difficile pour une entreprise de modéliser une disruption si elle n'a pas, dès son germe, conféré au corps social le droit d'être disruptif. Et le chercheur de s'appuyer sur de nombreuses études qui le démontrent : la capacité de résilience des entreprises et celle de rompre avec des modèles dépassés reposent sur l'esprit, "réel, concret, quotidien, organisé, stimulé" de "contester, bousculer, et coopérer".

Humilité et sobriété

Cette double capacité est également conditionnée au climat, managérial et humain, déployé par le sommet de la pyramide.

"Les entreprises qui s'extraient le mieux des périodes de crise ont à leur tête des patrons qui ont fait la preuve, 'avant', qu'ils étaient respectueux et bienveillants, déléguaient le pouvoir, se laissaient bousculer, partageaient les fruits du succès. Et se souciaient du 'bien commun', une préoccupation aujourd'hui centrale chez les consommateurs et les collaborateurs. Tous possèdent une double qualité singulière : ils sont humbles et ne sont pas dans l'extravagance".

Double et même triple : chacun à sa manière, ils composent leur stratégie ressources humaines en y inoculant des réflexions et travaux sociologiques, philosophiques, anthropologiques, emblématiques de leur "ouverture vers tout autre, vers chaque autre, qu'il soit un individu ou la planète".

Autant de propriétés grâce auxquelles ils maîtrisent leur narcissisme, désacralisent leur statut, se font apprécier de leur écosystème, en premier lieu de leurs salariés dont ils stimulent naturellement la prise d'initiative, la créativité, et l'engagement. Ces entrepreneurs se mettent au service de la résilience collective de l'entreprise, quand l'entrepreneur prisonnier de l'hubris espère du collectif qu'il exerce la catharsis de son épreuve personnelle. Une résilience conditionnée au "capital sécurité".

Comme l'estime en effet Agathe Potel, professeur de leadership et développement personnel à emlyon business school, lorsqu'un collectif traverse un tel calvaire, l'enjeu est de le sécuriser. Or, s'il se sent "structurellement" dans l'insécurité, qui peut être liée au climat et aux relations humaines instaurés par le sommet de la hiérarchie et "souvent" répercutés en cascade, il se leste d'un handicap supplémentaire. Se sentir sécurisé, disposer d'un capital affectif fort, bénéficier d'un tutorat bienveillant : voilà d'ailleurs quelques principes clés du processus de résilience conceptualisé par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik.

Confiance, pierre angulaire

"Toute crise constitue, pour l'entreprise et son patron, une épreuve de vérité", rappelle Sylvain Audureau. Ce que l'indissociable tandem a ensemencé de "bon" peut être récompensé dans d'inespérées proportions. L'inverse est aussi vrai. "C'est là", insiste-t-il, que se révèle la "véritable" allégeance, la "véritable" empathie, la "véritable" solidarité du corps socialEt la condition, pour l'entrepreneur par nature seul, de ne pas vaciller dans la solitude qui isole. Ce spectre, prévient Agathe Potel, est une réalité "chez tous les entrepreneurs, mais il devient particulièrement aigu chez ceux qui vivent leur œuvre de manière fusionnelle et égotiste". La solidarité a pour socle la confiance réciproque, et l'enseignante de distinguer le clan des alliés de celui des neutres, des démobilisés ou des déserteurs.

"Un cas d'école est le parallèle entre les ex-présidents de Renault, Louis Schweitzer et Carlos Ghosn. Au plus fort des difficultés, le premier, qui s'était comporté comme un capitaine humain, respectueux, motivant, put compter sur un corps social solidaire ; qui, au sein du groupe, a manifesté son soutien au second depuis son arrestation au Japon ?", illustre Agathe Potel.

Confiance. Le mot magique, la pierre angulaire des rapports sociaux et managériaux, la clé de voûte de la performance collective. Lorsque les managers la ressentent faiblement - et l'irriguent dans les mêmes proportions -, les effets dissonent selon les circonstances. En période faste, ils « dorment ». Mais à la faveur d'une crise aussi immense que celle de la Covid-19, ils se réveillent, s'exacerbent sourdement.

"Quand on ne s'est pas senti en confiance 'avant', 'après', au moment où plus que jamais la situation critique impose que l'on s'engage, non seulement on ne comble pas le manque, mais pire : on peut être tenté de le 'faire payer'", constate Sylvain Audureau. Et d'inviter à "ne jamais" sous-estimer l'accumulation individuelle et le partage collectif des "micro-blessures", des "humiliations, grandes et petites", des signes d'arrogance ou de mépris, qui ont sédimenté au fil du temps. Leur congruence peut provoquer jusqu'à la "dislocation sociale". "N'oublions pas, complète Agathe Potel, qu'en entreprise, une confiance patiemment tissée peut se détricoter très vite".

"Après moi le déluge"

Cette confiance, d'autres circonstances la mettent à l'épreuve. Parmi elles, la succession entrepreneuriale. Lorsque le sujet est emmuré, les salariés peuvent éprouver l'inconnu avec sidération.

"Le malaise est considérable, détaille Sylvain Audureau. Ce peut être interprété comme un signe que l'entrepreneur a peu de considération pour l'avenir de ses équipes, et plus globalement cela pose la question de son attention aux 'autres', quels qu'ils soient. Les collaborateurs qui ont pu subir de sa part une diatribe, qui plus est en public, ne peuvent mettre cet écart sur le 'dos' d'un tempérament 'simplement' sanguin ou envahi par le stress de ses responsabilités. Ils s'interrogent : que représenté-je à ses yeux ?".

Et à terme, poursuit-il, cela hypothèque "l'un des rouages de stabilité, de pérennité, mais aussi de valeur, les plus essentiels de toute entreprise : la transmission. Malheureusement, le réflexe 'Après moi, le déluge' est très prégnant au sein de la communauté des entrepreneurs".

Et ce tabou de la succession peut enfler la perception d'insécurité et d'anxiété, au sein du corps social comme de l'écosystème."Surtout quand l'entreprise et donc les salariés sont dans la tempête, observe Agathe Potel, également coach d'entrepreneurs. D'un patron qui incarne totalement l'histoire et l'avenir de leur entreprise, ils attendent moins des annonces officielles sur l'après que le sentiment, au moins, que le sujet est traité. C'est rassurant. A l'inverse, le silence ouvre à toutes les supputations, par essence fragilisantes. Les dirigeants que j'accompagne dans la préparation de leur succession étalent le processus sur dix ans...".

Vulnérabilité et solitude

A cette approche risquée de la succession, l'extrême personnalisation du succès des entrepreneurs, très anglo-saxonne mais cultivée en France, n'est pas étrangère. Extrême et infondée. Si la contribution d'un entrepreneur visionnaire, investisseur, et "entraîneur", à la création de la richesse et des emplois est évidente et bien sûr fondamentale, non moins éclatante est la participation des salariés et de l'ensemble des stake holders à la réussite qu'il incarne, parfois phagocyte et instrumentalise.

Avec pour effet collatéral de diffuser aux salariés l'impression qu'ils sont dépouillés de leur contribution, et que cette dépossession sert à nourrir le mythe du "père tout puissant". "C'est une réalité indéniable. Et la société peine encore à faire valoir un juste rééquilibrage. Comment faire entendre qu' "Il" n'a pas créé, seul, X milliers d'emplois, et qu'en plus ces X milliers de collaborateurs produisent, au quotidien, 'son' succès ?", questionne Sylvain Audureau.

Au final, relèvent les deux chercheurs, le plus fragilisé de tous peut s'avérer être l'entrepreneur lui-même.

Un patron mythifié au temps glorieux de la croissance et que les circonstances brutales rendent "potentiellement, c'est-à-dire aux yeux de tous ceux qui comptent sur lui", fébrile, fragile, vulnérable. Et "seul". S'il n'est pas au rendez-vous de l'immense attente que son incarnation sacralisée de la fonction d'entrepreneur a irradiée, il peut être à l'origine d'une vague déceptive, anxiogène, démobilisatrice, qui provoque une pression insupportable et l'isole. "Personne n'est le sauveur d'un collectif ; seul le collectif peut sauver le collectif".

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Commentaires 2
à écrit le 17/09/2020 à 17:02
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Si vous voulez vous faire une opinion sur le management de Gl events, il suffit de consulter les affaires aux prud'hommes ou la médecine du travail. Malheureusement cette dernière ne prend aucune mesure et se borne à constater les burn-out.

à écrit le 17/09/2020 à 8:40
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Le patron éclairé est chose rare en néolibéralisme dans lequel on lui préfère le comptable borné.

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