Investissement public : la pire chute depuis 70 ans

Avec la pandémie, l'investissement public brut a enregistré une baisse de 26% entre janvier et juin. "La chute de l’investissement public au cours du premier semestre 2020 est donc 4 à 5 fois plus forte que les retournements les plus sévères depuis 1950", explique l'OFCE.
Grégoire Normand
(Crédits : JEAN-PAUL PELISSIER)

Les chiffres de la pandémie continuent de donner le vertige. Selon une récente note de l'Observatoire française des conjonctures économiques (OFCE), l'investissement public a chuté de 26% au cours du premier semestre 2020. Il s'agit de la plus forte chute en 70 ans selon les calculs des économistes. La mise sous cloche de l'économie a mis un coup d'arrêt net aux dépenses d'investissement des administrations publiques. Si le cycle électoral lié aux élections municipales peut expliquer une partie de ce recul historique, ce retournement est également lié à la pandémie et aux choix de politique économique.

"La perte pure liée au Covid-19 serait de l'ordre de 8 milliards d'euros. La mise à l'arrêt des chantiers, la période de confinement peuvent expliquer en grande partie cette chute. En période de crise, l'investissement est une variable d'ajustement, surtout pour les collectivités locales", explique l'économiste Mathieu Plane interrogé par "La Tribune".

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investissement public

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Une tendance de long terme

Si la crise a contribué à provoquer une chute spectaculaire des investissements publics, ce phénomène est loin d'être récent. Ainsi, après avoir atteint un pic dans les années 1960 à environ 5,5% du PIB , le poids des investissements publics dans l'économie tricolore oscille entre 3% et 4% depuis une dizaine d'années. La crise de 2008-2009 a marqué un tournant.

"S'il a été plutôt dynamique jusque dans les années 2000, une véritable inflexion s'est opérée au tournant de 2010 avec la mise en place des politiques de réduction accélérée des déficits publics, appelées à juste titre « politiques d'austérité » dans le débat public. Ainsi, la consolidation budgétaire a mis à mal les évolutions de l'investissement public, une part de l'ajustement budgétaire étant réalisée en réduisant les dépenses d'investissement", indiquent les économistes.

taux d'investissement public

Une dégradation du patrimoine des administrations publiques

Ce recul des investissements publics a des répercussions très visibles sur la valeur du patrimoine des administrations publiques. Entre 1978 et 2019, la valeur nette du patrimoine dans la valeur ajoutée a été divisée par 3,5 environ (passant de 49,2% du PIB à 14,2%).

"Aujourd'hui, le patrimoine moyen n'est plus que de 55.000 euros d'actifs par habitant, moins les 50.000 euros de passif, il reste donc 5.000 euros de patrimoine moyen par habitant", indiquent les chercheurs. "Avec la crise, cette valeur pourrait devenir négative", ajoute Mathieu Plane.

En outre, si la France est reconnue pour la qualité de ses infrastructures à l'international, la lente érosion de l'investissement public risque d'avoir des répercussions néfastes sur l'attractivité du territoire français.

"Parmi les exemples de ce sous-investissement, la France a insuffisamment investi dans le maintien du réseau ferroviaire existant (Cf. Cour des Comptes 2014), les dépenses de maintenance diminuant continûment depuis les années 2000. Autre exemple, un tiers du parc immobilier universitaire est jugé dégradé, alors que des infrastructures de qualité pour l'enseignement supérieur sont un investissement en faveur de la formation de la jeunesse", expliquent les économistes.

Les collectivités locales dans le rouge

Les administrations publiques locales, qui réalisent près de 70% de l'investissement public en France, risquent de se retrouver asphyxiées. Avec la crise du coronavirus et les moindres recettes fiscales, leurs perspectives s'assombrissent sérieusement si l'État ne compense pas une partie des pertes. Pour les artisans et entreprises du BTP, la pandémie risquent d'avoir des répercussions fortes sur leurs activités. Récemment, la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) a tiré la sonnette d'alarme dans une enquête "flash".

"Importante ou très importante pour 57% des entreprises (loin devant les délais de paiement et la hausse des coûts de production), la faiblesse du nombre d'appels d'offres est très préoccupante pour les entreprises. C'est donc fort logiquement, que l'attente première des entreprises vis-à-vis des pouvoirs publics concerne le soutien à l'investissement aux communes : pour 87% des entreprises, il s'agit d'un facteur important ou très important (55%) pour leur activité en 2021, contre 74% pour les mesures de soutien aux entreprises (dont "seulement" 1/3 de très important). Elles sont néanmoins 62% à anticiper une baisse de l'investissement des communes en 2021 par rapport à 2019."

Des mesures d'urgence sous-dimensionnées par rapport à nos voisins?

Après avoir mis en oeuvre des mesures d'urgence au printemps pour limiter l'impact des mesures drastiques de confinement sur l'économie, le gouvernement a annoncé, début septembre, un plan de relance de l'ordre de 100 milliards d'euros.

Cet arsenal qui se concentre notamment sur des mesures d'offre et la croissance verte est actuellement en discussion au Parlement dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2021.

Si le montant peut paraître spectaculaire, il reste relativement faible au regard d'autres pays européens. En effet, dans leurs dernières perspectives économiques rendues publiques la semaine dernière, les économistes du centre de recherche rattaché à Sciences-Po Paris rapportaient que les mesures du plan d'urgence représentaient environ 2,6% du PIB. À titre de comparaison, les montants retenus pour l'Allemagne (3,5% du PIB), l'Italie (3,9%), l'Espagne (4%) ou encore le Royaume-Uni (7,2%) étaient bien plus élevés.

La vitesse de décaissement et d'exécution, défi du plan de relance

En outre, l'efficacité de ce plan de relance va dépendre de l'évolution de la situation sanitaire et de la rapidité d'exécution des mesures (décaissement du budget 2021 et mise en oeuvre). Sur ces deux points, il reste beaucoup d'interrogations.

"La description de ce plan de relance montre que l'enjeu opérationnel est double. D'une part, afin de profiter des effets de relance de l'activité, il est important d'inscrire les crédits à très court terme (dans les deux ans) et il faudrait que le plan soit opérationnel dès le début 2021. Ensuite, le second enjeu est une territorialisation du plan de relance. En effet, comme il a été montré, les collectivités locales ont un rôle majeur dans l'investissement public. Il faut donc s'assurer que les moyens d'instruction et de déploiement de l'investissement public y soient élevés", indiquent les chercheurs.

Impôts de production : l'efficacité de mesures non ciblées en question

Sur les mesures proposées, les économistes de l'OFCE distinguent bien celles qui vont avoir des effets à court terme et celles qui auront des répercussions à plus long terme comme la baisse des impôts de production. Mathieu Plane reste perplexe sur l'efficacité de cette mesure non-ciblée:

"Les secteurs qui sont les plus touchés sont d'abord dans les services alors que la baisse des impôts de production touche moins ce secteur."

Lire aussi : "Plutôt que la relocalisation, l'enjeu est sûrement plus celui de la réindustrialisation"

"Les baisses d'impôt permettent de gagner en compétitivité, font de la trésorerie pour les entreprises, mais ont un faible multiplicateur" (de 0,8)", a ajouté Xavier Timbeau, le directeur de cet organisme indépendant, lors d'une conférence de presse la semaine dernière.

En outre, certaines enquêtes indiquent que la demande est actuellement en berne alors que ce type de mesures vise avant tout à faciliter l'offre. Dans leur note de conjoncture du mois de septembre, les économistes de l'Insee pointent les risques d'un choc de demande:

"Depuis l'été, les enquêtes de conjoncture pointent par ailleurs le risque d'un choc significatif de demande. Les entreprises sont nombreuses à craindre des pertes de débouchés. Dans l'industrie, les carnets de commandes - en particulier venant de l'étranger - ne se regarnissent que lentement. Et la confiance des ménages dans la situation économique reste inférieure à son niveau d'avant crise. Le bond de l'épargne enregistré pendant le confinement peut certes contribuer à soutenir la demande dans les prochains trimestres, mais son utilisation reste incertaine à ce stade."

> Lire aussi : La chute de la demande, un défi pour le plan de relance

Grégoire Normand
Commentaires 3
à écrit le 21/10/2020 à 11:35
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Les libéraux ne sont-ils pas favorables au non-interventionnisme de l'état dans l'économie ?

à écrit le 20/10/2020 à 13:20
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noter que l'investissement public avait fortement grimpé en 2019, de près de 8% (INSEE). le taux d'investissement public français a été en moyenne de 3,9% PIB par an sur les 20 dernières années, contre 2,9% en Italie, 2,4% au UK ou 2,2% en Allemagn...

à écrit le 20/10/2020 à 13:05
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Ben oui mais ça en prend beaucoup d'argent public les paradis fiscaux des mégas riches.

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