A 100 jours du premier tour de l'élection présidentielle, l'heure des bilans a sonné. Après avoir été notamment propulsé vers sa candidature un après-midi lyonnais par Gérard Collomb, Emmanuel Macron avait organisé son premier meeting au parc des expositions de la porte de Versailles réunissant "plus de 15.000" personnes selon les chiffres de son entourage. Le jeune ministre de l'Economie de François Hollande entamait alors sa campagne dans une bataille présidentielle pleine de rebondissements.
Cinq ans après, le chef de l'Etat, pas encore officiellement candidat à un second mandat, a défendu les principales réformes de son quinquennat dans un entretien fleuve de plus de deux heures accordé à TF1 et LCI, laissant transpirer son envie de rester à l'Elysée pour un bail de plus. Dans les semaines à venir, le président défenseur de la politique du "en même temps" et du "quoi qu'il en coûte" doit jouer un rôle d'équilibriste entre sa candidature et sa fin de règne qui approche à grand pas.
Surtout, la pandémie continue de semer le trouble dans la course à l'Elysée. L'accélération du variant Omicron sur le territoire européen oblige sans cesse le gouvernement à revoir sa stratégie d'endiguement. Les candidats à l'investiture suprême s'interrogent sur l'organisation de leur campagne sérieusement bousculée par cette maladie infectieuse à rallonge. Il est en effet difficile d'imaginer de grands rassemblements de partisans à l'intérieur de salles dans les semaines à venir. Dans ce contexte sanitaire troublé, le bilan économique du quinquennat Macron à partir des grands indicateurs économiques tels que la croissance, le chômage, l'emploi, le pouvoir d'achat pourrait encore bouger à l'horizon du premier tour du scrutin fixé le 10 avril 2022.
Emmanuel Macron le soir de sa victoire à la présidentielle le 6 mai 2017 à son arrivée dans la cour du Louvre avant son discours. Crédits : Reuters.
Une croissance heurtée par la pandémie
La croissance de l'économie française a été violemment chahutée par la pandémie. En 2020, la croissance du produit intérieur brut (PIB) avait reculé de 7,9% par rapport à 2019, soit un niveau inédit depuis la Seconde Guerre mondiale. La mise sous cloche de l'économie au premier confinement avait provoqué un plongeon vertigineux de l'activité dans de nombreux secteurs. Près de deux ans après l'arrivée du virus sur le Vieux continent, l'économie tricolore a retrouvé des couleurs en 2021 avec un rebond spectaculaire estimé à 6,7% lié au creux historique de 2020.
Si la vaccination a insufflé un vent d'optimisme en début d'année 2021 malgré de nombreux couacs, la cinquième vague et le variant Omicron ont de nouveau assombri les perspectives. La Banque de France a révisé à la baisse ses perspectives économiques pour 2022 à 3,6% contre 4% en septembre dernier.
Interrogé sur le niveau de croissance entre 2017 et 2022, l'économiste de COE Rexecode, Emmanuel Jessua, explique que "les mesures de politique économique prises en début de quinquennat étaient de nature à améliorer la croissance potentielle. De fait, la croissance a été élevée en début de quinquennat mais a été coupée dans son élan par la crise sanitaire."
A titre de comparaison, la moyenne de la croissance du PIB était d'environ 0,8% entre 2012 et 2016 sous le mandat de François Hollande contre 2% en moyenne entre 2017 et 2019. En prenant en compte les deux dernières années de mandat marquées par la pandémie, la moyenne de la croissance du PIB s'élève à 1% environ.
La fermeture des bars décidée au printemps 2020 a été vécue comme un traumatisme pour beaucoup de professionnels. Crédits : Reuters
Un chômage à 7% d'ici la fin du quinquennat ?
Sur le front du chômage, les indicateurs sont plutôt au vert. Lors de la prise de pouvoir d'Emmanuel Macron en 2017, le taux de chômage au sens du bureau international du travail (BIT) était à 9,4% selon l'Insee. D'après les dernières projections de l'institut de statistiques, ce ratio pourrait frôler les 7,6% à la mi-2022.
"La France a retrouvé son niveau d'emploi d'avant la crise grâce à l'activité partielle. De ce fait, on a aussi retrouvé les problèmes d'avant-crise avec les difficultés de recrutement. Il existe des tensions inédites dans la plupart des secteurs alors que la France est à 8% du chômage. Cela traduit le fait que l'on vient mordre sur le noyau dur du chômage", rappelle Emmanuel Jessua.
Même si le chômage a reflué sur les cinq dernières années, les difficultés pour atteindre le plein emploi persistent malgré les vastes réformes de libéralisation du marché du travail. "Le chômage est un serpent de mer douloureux pour les gouvernements. La France est toujours à 8% et elle devrait rester longtemps à ce niveau. Beaucoup de gens reviennent sur le marché du travail. La France devrait avoir du mal à atteindre les 4% comme en Allemagne ou aux Etats-Unis" complète Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste du cabinet conseil BDO France et professeure d'économie à l'université Paris 1 Panthéon.
Comment expliquer une telle stagnation ? "Cela peut s'expliquer par une faible taux d'activité chez les jeunes et les plus âgés. Plus de 100.00 jeunes sortent du système éducatif tous les ans sans qualification. L'apprentissage pourrait aider mais ce ne sont pas des filières valorisées. Beaucoup de financements ont été alloués par les différents gouvernements mais ils n'ont pas toujours été efficaces", ajoute-elle.
Au cours de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron, avait affiché un objectif de 7% de chômage avant la fin du quinquennat. Surtout, lors de sa récente interview à TF1 et LCI, il affirmé qu'il visait le plein emploi. Or, il est difficile à ce stade de tabler sur un chômage à 7% d'ici quatre mois et encore moins d'atteindre un niveau de chômage proche du plein emploi.
Une baisse du chômage mais pas pour tous les demandeurs d'emploi
En outre, le chômage a bien diminué en moyenne mais pas pour l'ensemble des demandeurs d'emploi. En effet, le nombre de demandeurs d'emploi en catégorie A, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas travaillé, a bien diminué sur les cinq ans, passant de 3,48 millions à la fin juin 2017 à 3,3 millions à la fin du troisième trimestre dernier. En revanche, les catégories B et C, c'est-à-dire ceux qui ont une activité réduite, ont bondi sur l'ensemble du mandat d'Emmanuel Macron d'environ 200.000 personnes (+10%).
"En dépit des mesures pour faciliter l'embauche des plus éloignés de l'emploi comme la réforme de la formation professionnelle, le chômage structurel ne semble pas s'être réduit. Ces réformes mettent du temps à porter leurs fruits. L'un des grands problèmes est la question des compétences. Même dans le contexte de la reprise de l'emploi depuis 2015, le taux d'emploi pour les moins qualifiés n'a pas augmenté. C'est un constat préoccupant", ajoute Emmanuel Jessua.
La récente réforme de l'assurance-chômage plusieurs fois repoussée et finalement mise en oeuvre depuis le premier décembre dernier pourrait avoir un impact majeur sur l'indemnisation de ces catégories. En effet, il faut désormais cotiser six mois au lieu de quatre pour pouvoir bénéficier des indemnités chômage.
Manifestation de chômeurs inscrits à Pôle Emploi, dans le cadre du mouvement d occupation des théâtres contre la reforme de l'assurance chômage au printemps 2021. Crédits : Reuters.
Le pouvoir d'achat, dossier brûlant du quinquennat Macron
Le sujet du pouvoir d'achat est une question prioritaire pour les Français. A quelques mois du scrutin présidentiel, le gouvernement et la majorité parlementaire s'efforcent de convaincre les Français, surtout les classes moyennes et les plus modestes, que le pouvoir d'achat a augmenté sur l'ensemble du quinquennat mais les bilans peuvent différer selon les méthodes et les sources.
Surtout, la flambée des prix de l'énergie, les pénuries de matières premières et de composants électroniques et la pagaille dans les chaînes d'approvisionnement pourraient bien assombrir la communication de la Macronie malgré la distribution de chèques tous azimuts (chèque inflation, chèque énergie) pour freiner la hausse du coût de la vie.
En effet, l'Insee prévoit une baisse du pouvoir d'achat par unité de consommation de 0,5% sur le premier semestre 2022, détaille une note de conjoncture publiée en décembre. Pour l'exécutif, cette baisse pourrait venir enrayer ses efforts menés pour tenter de limiter les dégâts de la pandémie sur le porte-monnaie des Français les plus fragiles.
Les prix à la pompe ont considérablement augmenté ces derniers mois en France. Crédits : Reuters.
"Le pouvoir d'achat a légèrement augmenté pour l'ensemble des Français en moyenne pendant la crise alors que le PIB a chuté de 8% en 2020. Avant la crise, le rebond de l'emploi, la baisse du chômage et certaines mesures socio-fiscales ont favorisé le pouvoir d'achat des actifs. La prime d'activité a également participé à cette dynamique. L'objectif du gouvernement est de favoriser les revenus issus du travail", rappelle Emmanuel Jessua.
Dans le rapport économique, social et financier du Trésor annexé au budget 2022, les économistes de Bercy ont dressé un premier bilan des cinq dernières années. "Le pouvoir d'achat a augmenté de 8% entre 2017 et 2022, ce qui fait une hausse annuelle moyenne de 1,5%. C'est une hausse deux fois plus importante que lors des deux quinquennats précédents", avait assuré l'entourage d'Emmanuel Macron en octobre lors d'une réunion avec des journalistes.
A la lecture de cet épais document de plus de 243 pages, l'expression "pouvoir d'achat" apparaît à 47 reprises. Autant dire que ce thème est devenu prioritaire dans les couloirs de Bercy. Pour parvenir à un tel résultat, les statisticiens du ministère des Finances ont découpé la population française en décile. Il apparaît effectivement que le niveau de vie (c'est-à-dire l'ensemble des revenus après impôts et prestations) du premier décile aurait augmenté de 4% sur les cinq dernières années contre 2% sur le dernier décile.
Dans une autre approche avec une population découpée en centiles, les économistes de l'institut des politiques publiques (IPP) ont montré que tous les ménages ont vu leur niveau de vie progresser d'environ 1,6% depuis le début du quinquennat, sauf les 5% de ménages les plus pauvres, qui ont perdu 0,5% en moyenne. A l'autre bout du spectre, le top 0,1% a enregistré une hausse de 4% du niveau de vie en raison notamment de la baisse de la fiscalité sur le capital (prélèvement forfaitaire unique, transformation de l'impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière).
"La réforme de la fiscalité sur le capital a mécaniquement favorisé les revenus des plus aisés mais cette réforme vise d'abord à favoriser l'entrepreneuriat et l'accumulation de capital productif", affirme l'économiste de Rexecode.
Sur la fiscalité des ménages, le gouvernement se targue régulièrement d'avoir augmenté les revenus des Français en supprimant la taxe d'habitation pour 80% des familles imposables, puis 100%. Pour Emmanuel Jessua, cette extension n'est pas justifiée.
"Le point noir de la politique fiscale a été la suppression de la taxe d'habitation. Au départ, cette suppression devait être réservée aux 80% des ménages les plus modestes. L'élargissement aux 20% restants a fait exploser le coût de 11 milliards d'euros à 18 milliards d'euros. Tous les ménages en ont profité. Cette mesure n'a de justification ni en termes d'efficacité économique, ni en termes de réduction des inégalités. Il y a un coût d'opportunité extrêmement élevé d'une somme qui aurait pu être consacré à des fins beaucoup plus utiles", a-t-il affirmé.
La balance commerciale fortement secouée pendant le quinquennat
Le déficit extérieur est le devenu le point noir de l'économie tricolore. Entre l'affaire des sous-marins australiens et la chute abyssale des exportations tricolores pendant la pandémie, la politique commerciale de la France a subi de sacrés revers ces derniers mois. La fermeture des frontières, le blocage des ports de commerce et des aéroports au printemps 2020 avaient plongé un grand nombre d'entreprises exportatrices tricolores dans un épais brouillard. Au total, le déficit commercial de la France s'était creusé de 65 milliards d'euros l'année dernière, un record.
Si l'année 2021 a été plus favorable, la recrudescence de la pandémie en fin d'année et la montée du variant Omicron dans les chaînes de contamination pourraient à nouveau assombrir la situation du commerce extérieur de l'Hexagone.
"La reprise des exportations reste en décalage par rapport au PIB en raison notamment des difficultés dans les secteurs du tourisme, de l'automobile, dont la situation se détériore depuis le mois de juillet 2021 en lien avec la pénurie de semi-conducteurs, et de l'aéronautique qui subit toujours les restrictions sur la mobilité internationale", explique la Banque de France.
Dans ses dernières prévisions de fin décembre, la banque centrale prévoit une accélération des exportations à la fin de l'année 2022 seulement.
La cour du Louvre désertée au printemps 2020. En France, l'industrie du tourisme a particulièrement souffert de la pandémie. Crédits : Reuters
Interrogé sur les années 2017-2022, Emmanuel Jessua distingue deux périodes. "Sur la période 2016-2019, il y a une fin de l'hémorragie des pertes de marché de la France à l'export par rapport à nos voisins européens en raison notamment des baisses de prélèvements sur le coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité). La crise sanitaire a fait retomber la France dans certaines ornières. La France a recommencé à perdre des parts de marché en zone euro en 2020 de manière généralisée sur toutes les catégories de produits [...] Il reste à voir si c'est un trou d'air conjoncturel. En attendant, le déficit commercial tutoie les 100 milliards d'euros, à des niveaux inédits", explique t-il.
La dépendance énergétique de la France est un autre facteur qui explique une grande partie du déficit commercial. Sur les exportations de biens, la spécialisation de la France sur seulement quelques filières comme l'agroalimentaire, le luxe ou l'aéronautique peut s'avérer problématique. La filière aéronautique qui est l'un des principaux moteurs de l'exportation hexagonale a subi de plein fouet la chute abyssale du transport de voyageurs à travers le monde. Au cours du premier semestre 2021, les exportations de matériel aéronautique français était encore bien en-deçà de leur niveau d'avant crise.
S'agissant des services, la France s'en tire mieux mais l'effondrement du tourisme en 2020 et le prolongement de la fermeture des frontières dans le contexte de cette pandémie à rallonge pourraient laisser des stigmates. A l'approche de la présidentielle, la campagne d'Emmanuel Macron pourrait bien s'avérer plus difficile qu'escompté.