
La France va-t-elle devenir la place forte de la lutte contre l'argent sale en Europe ? C'est en tout cas l'ambition affichée par le gouvernement d'Elisabeth Borne. Réunis au ministère des finances ce vendredi 16 novembre, Bruno Le Maire (Economie) et la secrétaire d'Etat aux Affaires européennes Laurence Boone ont défendu la candidature de Paris pour accueillir l'autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent (AMLA, anti-Money-Laundering Authority).
Devant un parterre d'ambassadeurs, de députés européens et de pontes de l'administration française, les deux ministres ont sorti les muscles pour rappeler les ambitions tricolores. « Cette candidature a beaucoup de sens et me semble indispensable. Notre volonté est de coordonner les actions à l'échelle européenne, de faire circuler l'information entre les services de renseignement », a martelé le ministre de l'Economie Bruno Le Maire. Invoquant la récente attaque du Hamas contre lsraël, le locataire de Bercy a rappelé « la nécessité de lutter contre le financement du terrorisme. Il n'y pas de démocratie possible quand l'argent échappe aux lois et sert à financer des adversaires de la démocratie ».
À cela s'ajoutent la traque des avoirs financiers russes dans le contexte de la guerre en Ukraine, la fraude fiscale et le blanchiment d'argent sale. Les révélations fracassantes menées par des médias européens sur le rôle de Chypre dans le blanchiment de capitaux russes poussent, en effet, les autorités à se doter d'organes de surveillance et de contrôle renforcés. « Dans le monde, les montants d'argent sale sont estimés à 5% du PIB mondial », a souligné Laurence Boone. Ce qui représente 5.000 milliards de dollars. Mais il s'agit d'une estimation dans la fourchette haute selon le Fonds monétaire international.
Une concurrence féroce en Europe
Sur le Vieux continent la concurrence promet d'être rude. Au total, neuf pays ont candidaté pour recevoir le siège de la nouvelle autorité. Parmi les candidatures marquantes, figurent Francfort ou siège déjà la Banque centrale européenne, Madrid, Rome ou encore La Haye.
Après le Brexit voté en 2016, les capitales avaient déjà engagé une bataille féroce pour obtenir le siège de l'autorité bancaire européenne chargé de surveiller les acteurs du secteur. En 2019, Paris avait remporté la mise face à de sérieux concurrents. À l'époque déjà, le ministre Bruno Le Maire avait mis les bouchées doubles pour attirer cette autorité. Mais dans l'entourage du ministre, on ne cache pas « qu'il y a de sérieux candidats en face ».
L'Etat français est prêt à mettre 15 millions d'euros
Portée par l'ancien patron de l'autorité des marchés financiers (AMF) Robert Ophèle, la candidature de Paris pourrait bénéficier d'un soutien de l'Etat de 15 millions d'euros a annoncé le ministre de l'Economie. « Notre sécurité est à ce prix », a expliqué Bruno Le Maire. Actuellement à la recherche d'économies, le gouvernement s'est dit prêt à faire un geste. À la clé, l'autorité prévoit l'embauche de 400 personnes sur un site encore à déterminer.
Pour appuyer cette candidature tricolore, la secrétaire aux affaires européennes a vanté les atouts de la capitale française. « Paris accueille déjà le GAFI (Groupe d'action financière à l'OCDE). Installer cette nouvelle autorité va permettre de faciliter le dialogue avec le GAFI », a expliqué l'ex-cheffe économiste de l'OCDE, habituée des discussions multilatérales. D'un point des ressources humaines, elle a également pointé les écarts avec les pays voisins de la France. « Aujourd'hui 1.000 agents travaillent dans des agences européennes à Paris contre 2.000 en Espagne ou en Italie ou 5.000 en Allemagne ».
Trois sites sur la liste en Ile-de-France
Comme l'a révélé La Tribune, il y a quelques jours, la France mise sur trois sites dans la capitale pour faire aboutir cette candidature. « Deux sites sont disponibles à la Défense et une implantation pourrait se faire à Gare de Lyon », a expliqué Robert Ophèle. Au total, la surface doit faire environ 10.000 mètres carrés. « C'est un immeuble qui aura besoin d'un haut niveau de sécurité », a souligné l'actuel président de l'autorité des normes comptables. Le site choisi aura besoin « de flexibilité et de modularité », a-t-il ajouté.
Des incertitudes sur le calendrier
S'agissant de la date de validation du dossier, Bercy n'a pas donné de précision. «L'audition publique des 9 candidatures doit se faire je l'espère avant la fin de l'année. Ce qui pourrait permettre de trancher la localisation avant la fin de la mandature du parlement et de la commission prévue en juin 2024 », a déclaré Robert Ophèle. En coulisses, plusieurs sources ont confié à La Tribune espérer une décision entre février et mars. Et même si cette décision aboutissait au premier trimestre, l'installation de cette nouvelle autorité prendrait sans doute encore des mois avant de se concrétiser.