Article publié le 10 juillet à 7H29. Mis à jour le 10 juillet à 13h15.
« Changer les règles de façon à éviter une explosion sociale du type Gilets jaunes puissance 10 ». Tel est l'objectif de Jean-Luc Moudenc et d'Anne-Marie Jean avec leur rapport rendu ce 10 juillet au gouvernement, comprenant 25 mesures pour une application « plus juste » et « plus cohérente » des zones à faibles émissions (ZFE). Au nom de l'association d'élus France urbaine, le maire (ex-LR) et président de Toulouse métropole, ainsi que sa co-autrice vice-présidente (Divers gauche) de l'Eurométropole strasbourgeoise, viennent de mener de multiples auditions et remontées de terrain.
« Nous avons voulu synthétiser les constats émanant du terrain et les difficultés recensées dans la mise en œuvre de ces ZFE (...) L'idée consiste à moins brutaliser les gens. C'est une transition que nous devons organiser et, par définition, une transition induit une nécessaire progressivité, et non de l'immédiateté, en allant dans une direction donnée. Actuellement, nous y allons un peu trop à marche forcée », témoigne Jean-Luc Moudenc interrogé par La Tribune.
Jusqu'à présent, 11 ZFE étaient déjà en œuvre et 32 autres devaient suivre, d'ici au 1er janvier 2025, dans les agglomérations de plus de 150.000 habitants. Avec des calendriers de mise en application différents et des périmètres géographiques concernés pas forcément cohérents. Mais, ce 10 juillet, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a redessiné la carte des ZFE : Paris, Marseille, Strasbourg, Rouen et Lyon sont confirmées comme ZFE, à la différence des autres agglomérations qui sont désormais catégorisés « Territoires de vigilance ».
« Par exemple, en cas de dépassement des seuils de pollution atmosphérique autorisés, Perpignan pourrait basculer en ZFE », a illustré Christophe Béchu.
Une telle décision engendrerait par conséquent la mise en service des classifications Crit'Air, avec l'interdiction de circuler selon la classe du véhicule en question. Ce dispositif repose en effet sur la vignette Crit'Air d'un véhicule, allant de 5 (véhicules les plus polluants) à 0 (véhicules électriques).
« La loi est parfois mal comprise, et il y a un travail de clarification [à faire] (...) La souplesse est dans la loi. (...) Il y a des marges de négociation locale », avait dévoilé, le 8 juillet, le ministre des Transports Clément Beaune, invité de La Tribune aux Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, comme une manière de préparer le terrain.
Les mesures sociales en priorité
En réalité, les élus locaux tiennent à ce que le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu retienne en priorité les mesures sociales de leur travail. « Dans notre rapport, il y a des mesures pour aider les plus modestes. La conversion de leur véhicule n'est pas possible et est même hors de portée financière, car le reste à charge reste bien trop élevé même en cumulant toutes les aides possibles », justifie Jean-Luc Moudenc.
Sur ce point, et partant du principe que l'État a été condamné par le Conseil d'État pour « inaction climatique », le rapport préconise de « doubler les aides de l'État, à savoir le bonus écologique et surtout la prime à la conversion, qui concernent les ménages les plus modestes. Elles pourront être complétées par des aides décidées par les territoires ».
Le duo demande également à « rendre éligibles aux aides de l'État les habitants et les usagers des territoires voisins impactés par la mise en place d'une ZFE ». Une piste déjà poussée par la maire et présidente de Nantes métropole et patronne (PS) de France urbaine, Johanna Rolland, lors de la première réunion à Matignon mi-avril sur l'« agenda territorial ».
À ce propos, le gouvernement renvoie au mois de septembre pour le financement des suggestions proposées dans le rapport sachant que la loi de Finances 2024 arrivera au Parlement en octobre prochain, a fait savoir le ministre Béchu.
De la simplification et des alternatives aux voitures polluantes
Dans la même logique, les rapporteurs plaident pour une simplification d'accès aux aides face à la multiplication des dispositifs, et par conséquent la création d'un guichet unique à l'échelle des intercommunalités concernées par les ZFE. Anne-Marie Jean et Jean-Luc Moudenc recommandent aussi que ces aides soient accessibles pour l'achat d'un véhicule d'occasion classé Crit'Air 0,1 ou 2, tout comme ils suggèrent de déployer massivement le prêt à taux zéro et le micro-crédit pour l'achat de ces véhicules moins polluants.
« Ces ZFE ont été décidées en 2019 pour lutter contre la pollution atmosphérique. Seulement, la situation économique était totalement différente. Les problématiques de pouvoir d'achat d'aujourd'hui n'existaient pas », poursuit le maire de Toulouse.
Au-delà de promouvoir et développer le covoiturage, le transport ferroviaire via les systèmes express régionaux métropolitains (SERM ou « RER métropolitains »), ou encore l'usage du vélo, les deux rapporteurs proposent de revoir en profondeur le dispositif même des ZFE, en plus de « faciliter le rétrofit ». Pour ce faire, les deux élus appellent à repenser la classification Crit'Air des véhicules.
« Il faut se focaliser sur les émissions polluantes réelles d'un véhicule plutôt que son année de mise en circulation (critère retenu actuellement, ndlr). Cela collerait davantage à la réalité car la méthode actuelle n'est pas cohérente », précise Jean-Luc Moudenc. « D'autres paramètres, tels que l'entretien, le contrôle technique ou l'installation de boîtiers bio-éthanol, sont également à intégrer dans ces nouvelles définitions », enchaîne-t-il.
La question de l'acceptabilité
Aussi, les auteurs du rapport, qui sont réunis pour une dernière réunion de travail ce 10 juillet, souhaitent que la situation du moment de la pollution atmosphérique soit retenue dans la mise en œuvre de la ZFE. Autrement dit, alléger le dispositif quand les voyants sont au vert et inversement. « Ces derniers mois, à Toulouse, les indicateurs s'améliorent », assure Jean-Luc Moudenc, qui s'inquiète de l'acceptabilité de la mesure en cas d'amélioration de l'air. « Il ne faut pas oublier que l'objectif final c'est la santé publique », ajoute-t-il.
Une acceptabilité des ZFE sur laquelle planche aussi l'ex-ministre de la Transition écologique et actuelle députée (Renaissance) de la Somme Barbara Pompili, missionnée par la Première ministre Elisabeth Borne, et sur laquelle est longuement revenu le Sénat il y a quelques semaines. « Ce sont trois démarches différentes », balaie d'abord le Toulousain, avant d'ajouter: « Ces réflexions et ces propositions ne doivent pas rester à l'état de théorie, mais être suivies de décisions concrètes ».
Pour l'heure, le sénateur (LR) des Alpes-Maritimes Philippe Tabarot, rapporteur de la mission du Sénat sur le sujet, vient d'annoncer le dépôt d'une proposition de loi « pour sortir une bonne fois pour toutes de l'impasse ». Les conclusions du travail de Barbara Pompili, elles, ne seront connues qu'en septembre.
D'autant que l'agenda des premiers systèmes de contrôle et de sanctions est désormais connu. Depuis octobre 2022, le gouvernement affirme qu'ils seront déployés « au second semestre 2024 ». C'est-à-dire dans plus ou moins un an...