Sans surprise, un décret permettant d'organiser des délestages a été publié ce vendredi 8 avril au Journal officiel. Il s'agit de réductions ou de coupures momentanées et de manière planifiée de la consommation de gaz naturel par certains consommateurs. Le gouvernement et le réseau de distribution de gaz GRDF avaient annoncé la semaine dernière qu'ils se préparaient à cette éventualité. C'est « un dispositif de dernier ressort », avait alors souligné le ministère de la Transition écologique.
Seuls les consommateurs les plus importants, qui utilisent plus de 5 gigawattheures par an, sont visés par ces mesures. Selon le gouvernement, ils sont au nombre « d'environ 5.000 ». Il s'agit, comme le décrit GRTgaz, principal opérateur de transport de gaz en France, dans un communiqué, des centrales de production d'électricité à cycle combiné gaz de plus de 150 MWe, des grands sites industriels (chimie, raffinerie, pétrochimie, verriers...) et des grands bâtiments tertiaires tels que les centres commerciaux, les salles de spectacle, les stades...
Les autres consommateurs de gaz consommant moins de 5 GWh (bâtiment collectif résidentiel, résidentiel individuel, tertiaire, commerces, petits industriels...) ne seraient concernés qu'en dernier lieu.
Des coupures de deux heures maximum
En cas de besoin, ces coupures se feront selon un ordre de priorité, pour éviter de pénaliser les consommateurs susceptibles de subir des conséquences économiques majeures en cas de coupure du gaz et les sites assurant des missions d'intérêt général (écoles, hôpitaux, maisons de retraites...). Elles devront être effectuées dans un délai maximal de deux heures.
D'après le décret, les gros consommateurs vont recevoir une enquête de la part du gestionnaire de gaz leur demandant plusieurs informations comme leur activité ou « les conséquences économiques qu'ils subiraient en cas de réduction ou d'arrêt de leur consommation de gaz », ainsi qu'un moyen de contact pour leur transmettre à tout moment un ordre de délestage. Ils devront répondre sous deux mois maximum, au risque d'une amende.
Comme le rappel GRTgaz : « Ce nouveau dispositif ne sera activé que lorsque l'ensemble des autres moyens disponibles pour assurer la continuité d'approvisionnement auront été épuisés ».
À savoir l'incitation à la réduction de la consommation de gaz, l'utilisation des stocks, l'interruption de fourniture de certains clients industriels ayant signé un engagement à réduire leur consommation sur demande contre une compensation financière (contrats d'interruptibilité). 71 sites ont ainsi signé de tels contrats représentant un potentiel d'effacement d'environ 45 GWh/jour, soit 5% de leur consommation.
Le recours au délestage est aussi prévu en dernier recours pour la consommation d'électricité, afin d'éviter une panne généralisée et non contrôlée si la consommation devait dépasser le niveau d'électricité disponible à un moment donné. Si arrêter de fournir les plus gros consommateurs d'électricité ne suffit plus, il est possible d'organiser des coupures tournantes dans environ 200.000 foyers à la fois pendant 2 heures.
L'enjeu crucial de l'hiver prochain
Pour l'heure, une interruption des approvisionnements russes « n'aurait pas de conséquence parce qu'on est en fin d'hiver », avait indiqué à l'AFP la semaine dernière la directrice générale de GRDF, Laurence Poirier-Dietz. En revanche, « la question se posera du remplissage des stockages, qui se passe pendant l'été », avait-elle rappelé.
Un avis partagé par le président de l'énergéticien Engie, Jean-Pierre Clamadieu. « L'impact sur l'économie européenne, pas dans les prochains mois mais lors de l'hiver prochain, serait un impact très significatif », a-t-il indiqué jeudi 7 avril. De fait, le remplissage des réserves de gaz sera cette année essentiel pour préparer un hiver qui s'annonce difficile.
Pour rappel, en 2020, l'UE s'est fait livrer 400 milliards de mètres cubes de gaz. Quelque 152 milliards de mètres cubes provenaient de Russie, soit près de 40% des importations. Pour la France, les importations de gaz russe représentaient 20% de son total d'importation. Il ne pesait néanmoins que 1,2% dans son mix énergétique du fait du poids du nucléaire dans l'Hexagone.
GRTZgaz se veut pour le moment rassurant. « En cas d'arrêt des approvisionnements provenant de Russie, les simulations faites montrent que la France serait moins affectée que ses voisins européens. Pour autant, dans une telle situation, elle devrait se préparer à des réductions de consommation, en particulier en cas d'hiver froid ou de pointe de froid pendant l'hiver ».
Pas d'embargo sur le gaz mais sur le charbon
Pour le président d'Engie, un embargo sur le gaz russe par l'Europe aurait un impact « massif » sur l'économie européenne et toucherait en particulier l'industrie. Les Vingt-Sept pourraient compenser la moitié des importations russes par d'autres sources d'approvisionnement, mais, pour le reste, cela impliquerait des privations tant pour les particuliers que pour les entreprises.
Une stratégie que n'a pas choisie l'UE pour le moment. Les pays ont par contre décidé jeudi 7 avril d'un embargo sur le charbon russe et la fermeture des ports européens aux navires russes, dans le cadre d'une cinquième salve de sanctions contre Moscou. Le paquet « très substantiel » de sanctions prévoit également l'interdiction d'exportations vers la Russie, notamment de biens de haute technologie, à hauteur de 10 milliards d'euros, et le gel des avoirs de plusieurs banques russes.
C'est la première fois que les Européens frappent le secteur énergétique russe, dont ils sont très dépendants en particulier pour le gaz. L'UE importe 45% de son charbon de Russie pour une valeur de 4 milliards d'euros par an. Cet embargo entrera en vigueur début août, 120 jours après la publication du nouveau paquet au journal officiel de l'UE attendue vendredi.
La liste des produits russes interdits d'importation dans l'UE est également élargie à certaines « matières premières et matériaux critiques » pour une valeur estimée de 5,5 milliards d'euros par an, afin de stopper le financement de l'effort de guerre de Moscou. L'UE renforce aussi l'embargo sur les armes qui avait été décidé en 2014 après l'annexion de la Crimée.
(Avec AFP)