En Turquie, la baisse en demi-teinte de l’inflation pourrait être sanctionnée par Fitch

Loin des sommets atteints en octobre 2022 quand elle culminait à 85,5% sur un an, l'inflation en Turquie est toutefois repartie à la hausse en août dernier. Et ce, malgré une inflexion de la politique monétaire opérée par Ankara, marquée par un relèvement des taux par la Banque centrale. Un moyen pour le pays de rassurer les investisseurs et agences de notation sur sa santé économique, mais qui ne saurait cacher les nombreuses difficultés qu'il continue d'affronter. De quoi faire peser un risque sur la note de la Turquie déjà abaissée par l'agence de notation à B, dans la catégorie spéculative, en juillet 2022.
Coline Vazquez
Vendredi 8 septembre, l'agence de notation Fitch Ratings se prononce sur la note de la Turquie.
Vendredi 8 septembre, l'agence de notation Fitch Ratings se prononce sur la note de la Turquie. (Crédits : Reinhard Krause)

Alors qu'elle avait reflué, l'inflation atteint à nouveau des sommets en Turquie. En août, elle a ainsi grimpé à 58,9% sur un an, son plus haut niveau depuis décembre 2022. Un niveau, certes, moins élevé qu'en octobre dernier, où elle culminait à 85,5%, mais qui demeure une difficulté majeure pour le pays. Elle risque même de peser sur la note de ce dernier. Vendredi 8 septembre, Fitch actualise, en effet, sa notation pour le pays.

Pour rappel, l'agence de notation avait abaissé sa note en juillet 2022 à B, plaçant l'économie turque dans la catégorie spéculative, l'assortissant d'une perspective négative. Ce qu'elle a confirmé en mars 2023. Cette note « reflète la faiblesse des finances extérieures, les distorsions économiques croissantes dues à des politiques de plus en plus interventionnistes et non conventionnelles, ainsi que les risques politiques et géopolitiques », avait-elle alors expliqué, soulignant néanmoins le caractère « vaste et diversifiée » de l'économie turque, qui présente « un niveau de dette publique relativement faible et un profil de remboursement de la dette souveraine gérable ».

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Revirement de politique monétaire

Si Fitch pointe « des politiques de plus en plus interventionnistes et non conventionnelles », c'est que le président turc, Recep Tayyip Erdogan s'est échiné à mettre en œuvre, pendant de longs mois, une politique à rebours de celle prônée par les autres banques centrales, la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (Fed). Ces dernières ont aussitôt entrepris de relever leurs taux directeurs pour tenter de calmer l'envolée des prix. Fin juillet, la BCE a ainsi annoncé le neuvième relèvement depuis juillet 2022 de 0,25 point de base.

À l'inverse, le chef de l'Etat turc estime, lui, que des taux d'intérêt élevés favorisent l'inflation. Il a donc intimé à plusieurs reprises à la Banque centrale turque de baisser ses taux. Ils sont ainsi passés de 19% en septembre 2021 à 14% en décembre. Restés stables entre janvier et juillet 2022, ils ont, à nouveau, été abaissés tous les mois à partir du mois d'août, portant le principal taux turc a à 9% en novembre, contre 10,5% précédemment.

Au-delà de s'inscrire à l'exact opposé des théories économiques classiques, les décisions d'Erdogan ont aussi et surtout pesé lourdement sur la livre turque. En juin dernier, elle avait chuté de 31,91% depuis le 1er janvier 2022, sachant que la devise avait déjà dévissé de 44% en 2021.

L'ère des taux bas est néanmoins révolue. En juin, la Banque centrale a rehaussé ses taux de 8,5% à 15%, puis à nouveau en juillet (17,5%). Le 24 août dernier, l'institution monétaire a procédé à un relèvement bien plus fort que prévu à 25%. Un revirement de politique illustré par l'arrivée, à la tête de la banque centrale, d'une nouvelle gouverneure : Gaye Erkan. Cette banquière, titulaire d'un doctorat à l'université américaine de Princeton et passée chez Goldman Sachs, défend un retour à une orthodoxie financière.

De même, le chef de l'Etat a nommé, après sa réélection le 28 mai, Mehmet Simsek en tant que ministre de l'Economie. Déjà ministre des Finances (2009-2015), puis vice-Premier ministre chargé de l'Economie (jusqu'en 2018), cet ancien économiste de la banque américaine Merrill Lynch a, lui, pour mission d'endiguer l'inflation et de renouer la confiance avec les investisseurs étrangers qui ont déserté le pays ces dernières années -- la part d'obligations turques détenues par des obligataires étrangers est désormais inférieure à 1%, contre 20% environ en 2015, selon les statistiques officielles -- et avec les agences de notation.

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Une lutte contre l'inflation en demi-teinte

Mais ces dernières pourraient ne pas s'y laisser prendre. « C'est une politique [contre l'inflation] en demi-teinte qui est menée par Erdogan », soutient Deniz Ünal, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii).

« L'inflation sur une base annuelle s'élève à 58,9% en août avec des prévisions qui dépasseraient les 70% en fin de l'année. Or, le relèvement du taux d'intérêt directeur de la Banque centrale de 8,5% à 25% est loin de la compenser. Le rendement des placements en livres turques demeure donc négatif, ce qui ne permet pas d'attirer des capitaux étrangers », explique-t-elle.

Pourtant, « les milieux d'affaires sont tentés d'investir en Turquie qui ne manque pas d'atouts : main-d'œuvre jeune, entreprises dynamiques, grand marché intérieur, importantes capacités d'exportations de produits manufacturés et proximité de l'Europe. Pour des firmes européennes souhaitant sécuriser leurs approvisionnements, la Turquie est une base de production préférable à l'Asie lointaine », détaille l'économiste, qui rappelle que la Turquie fait partie de l'Otan « ce qui en fait un pays sûr aux yeux des investisseurs »Des contrats ont d'ailleurs été signés en juillet dernier avec les Emirats arabes unis d'une « valeur estimée à 50,7 milliards de dollars (45,3 milliards d'euros) », dans les domaines de l'énergie, la construction, les technologies ou encore la défense. Mais cela ne suffit pas.

À charge donc pour le gouvernement d'en attirer davantage. Le ministre de l'Economie a, dans ce but, annoncé, ce jeudi, le lancement d'une série de rencontres avec des investisseurs qui débutera cette fin de semaine avec les pays du G20 réunis en sommet en Inde et continuera en Europe et à New York pour l'Assemblée générale des Nations unies.

Et pour les convaincre, une véritable politique contre l'inflation pourrait être nécessaire avec un relèvement des taux directeurs de la banque centrale à au moins 60%, évalue Deniz Ünal. Une option inenvisageable pour Erdogan qui espère voir son parti réaliser le meilleur score possible lors des élections municipales en mars prochain. D'autant qu'un tel relèvement mettrait en grande difficulté les entreprises qui peinent déjà à se financer malgré le soutien de l'Etat, les banques privées se montrant particulièrement réticentes à leur accorder des crédits.

À défaut de rehausser considérablement les taux de sa Banque centrale, la Turquie tente néanmoins de limiter l'accès à certains crédits notamment ceux à la consommation. En freinant ainsi cette dernière, le pays espère réduire l'écart entre l'offre et la demande et donc, de facto, lutter contre l'inflation, sans pénaliser davantage les entreprises.

D'autant que la hausse des prix pourrait être encore plus élevée que les chiffres officiels. « Ce taux est contesté d'un part par la chambre de commerce d'Istanbul qui l'évalue à 74% et, d'autre part, par un groupe d'économistes indépendants qui estiment, eux, qu'elle atteint, en réalité, 128% », précise Deniz Ünal qui conclut : « Pour définir une véritable politique monétaire efficace contre l'inflation, il faudrait déjà la mesurer avec précision...».

Un déficit commercial record

Sans compter que le pays souffre d'un déficit commercial record, qui a atteint 109,5 milliards de dollars en 2022. Et pour cause, l'Union européenne étant son premier partenaire commercial, en particulier l'Allemagne son premier client, leurs échanges ont pâti des difficultés économiques, l'inflation en premier lieu, qui sévissent au sein du Vieux Continent.

Par ailleurs, la Turquie demeure totalement dépendante en matière d'énergie. Et, étant « très intégrée dans les chaînes de valeur européennes, elle doit importer des intrants dont les prix sont de plus en plus chers étant donné la dépréciation de la livre turque », explique l'économiste du Cepii. Le déficit cumulé de sa balance commerciale entre janvier et août 2023 s'élève à 82 milliards de dollars, tandis que ses réserves de changes nettes sont négatives de 58 milliards et que sa dette à court terme dépasse les 200 milliards.

« Une nouvelle difficulté peut entraîner une crise de balance des paiements, autrement dit une incapacité de la Turquie à rembourser ce qu'elle doit à l'étranger », résume-t-elle.

Autant d'éléments qui laissent peu de place à un possible relèvement de la note par Fitch. Pour Deniz Ünal, l'agence de notation pourrait néanmoins l'assortir d'un commentaire positif, soulignant ainsi l'apparente inflexion de la politique monétaire pour lutter contre l'inflation.

Coline Vazquez
Commentaire 1
à écrit le 07/09/2023 à 20:05
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Oh! Demie sanction, SVP!

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