Engie aurait bénéficié de 300 millions d'euros d'avantages fiscaux

La Commission européenne a apporté des précisions sur ses soupçons d'aides d'Etat illégales accordées par le gouvernement luxembourgeois à Engie, ex-GDF Suez, détenu à 33% par l'Etat français. Le Duché dément à l'heure qu'il est toute responsabilité.
Grégoire Normand
Deux montages financiers réalisés par Engie sont dans le collimateur de la Commission européenne.

La Commission européenne s'attaque aux pratiques fiscales du groupe Engie (anciennement GDF Suez). Selon un document mis en ligne par l'institution européenne ce jeudi 5 janvier, des arrangements auraient été conclus entre l'administration fiscale luxembourgeoise et le géant de l'énergie. En septembre dernier, l'organisation européenne avait déjà déclaré dans un communiqué :

"La Commission craint que plusieurs décisions fiscales anticipatives émises par le Luxembourg aient potentiellement conféré à GDF Suez un avantage injustifié par rapport à d'autres sociétés, en violation des règles de l'UE relatives aux aides d'État."

Deux montages dans le viseur

D'après l'enquête préliminaire publiée par la Commission, deux filiales d'Engie au Luxembourg ont pu déduire un peu plus d'un milliard d'euros de leurs bénéfices entre 2009 et 2015.  D'après l'AFP, si les présomptions de la Commission se confirment, cette somme aurait dû être taxée à 29%, le taux d'imposition en vigueur sur les sociétés au Luxembourg, soit environ 300 millions d'euros

Cette enquête, débutée en septembre dernier, s'est focalisée sur les rulings accordés au groupe sur cette période. Les documents mettent en relief les rescrits fiscaux accordés par le Luxembourg qui auraient ainsi permis à Engie d'éviter de payer ces taxes. Les deux filiales dans le collimateur de la Commission sont GDF Suez Treasury Management et GDF Suez LNG Supply comme l'illustre le schéma ci-dessous. Les montages visés par la Commission sont techniques :

"Ces transactions financières sont des emprunts convertibles en actions pour lesquels le prêteur ne perçoit aucun intérêt. Le premier a été accordé en 2009 par LNG Luxembourg [le prêteur] à GDF Suez LNG Supply [l'emprunteur] ; le second l'a été en 2011, par Electrabel Invest Luxembourg [le prêteur] à GDF Suez Treasury Management [l'emprunteur]"

aides d'etat engie

Crédits : Commission européenne

Le traitement fiscal accordé aux transactions illustrées ci-dessus "a entraîné une double non-imposition, du côté des emprunteurs et des prêteurs, des bénéfices générés aux Luxembourg" selon un communiqué de la Commission. Il semblerait même qu'une grande part des bénéfices enregistrés par GDF Suez au Luxembourg par le biais de ces deux montages "ne soit pas imposée du tout".

>> Lire aussi : Optimisation fiscale : Bruxelles oblige les multinationales à plus de transparence

Le Luxembourg dément

En réponse dans un communiqué publié le 5 janvier, le ministère des Finances luxembourgeois a indiqué :

"Etre confiant que les allégations d'aide d'Etat dans cette affaire sont sans mérite et qu'il sera à même de convaincre la Commission qu'aucun traitement fiscal particulier ou avantage sélectif n'a été octroyé à des sociétés du groupe ENGIE à Luxembourg."

L'Etat luxembourgeois a poursuivi en déclarant "qu'il avait fourni toutes les informations requises par la Commission et a collaboré pleinement avec la Commission dans son enquête."

Une affaire sensible pour Juncker

Alors que l'actuel président de la Commission Européenne est accusé d'avoir empêché l'UE de lutter contre l'évasion fiscale lorsqu'il était à la tête de son pays, cette affaire concernant Engie pourrait encore réduire la crédibilité de Juncker. En effet, les dénonciations d'affaires relatives à l'optimisation et l'évasion fiscales se multiplient au sein de l'Union européenne. Entre le cas des Luxleaks, d'Apple, Zara, Fiat, Amazon, Ikea, les multinationales se retrouvent au centre des critiques mais les Etats ne sont pas exempts de responsabilités.

Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Crédits : Reuters

>>Lire aussi : Optimisation fiscale : Zara doit rendre des comptes

Le rôle majeur des Etats

Bien que la liste des affaires ne cesse de s'allonger, le cas d'Engie est particulier puisque l'Etat était actionnaire à 32,76% du capital au 31 décembre 2015. Pour l'instant, l'Etat et le ministère des Finances ont refusé tout commentaire selon l'AFP. Pourtant, avec son rôle d'actionnaire et de régulateur, l'Etat français pourrait avoir une responsabilité dans cette affaire comme le souligne l'ONG Oxfam cité par Le Monde à l'automne dernier :

"Alors qu'Engie est détenue au tiers par l'Etat français, cette affaire démontre la double responsabilité des Etats, en tant qu'actionnaire et en tant que régulateur. Elle illustre la situation paradoxale des Etats, qui se livrent à une course à la concurrence fiscale et font perdre des précieuses ressources budgétaires publiques."

Et les affaires concernant Engie ne semblent pas s'arrêter. En octobre dernier, le site d'information Les Jours révélait que l'ex-GDF Suez a transféré 27 milliards d'euros au Grand-Duché pour payer le moins d'impôt possible. Selon l'enquête du journaliste Nicolas Cori, ces milliards auraient été transférés dans la holding appelé Engie Invest International. Deux milliards d'euros de profits seraient rentrés aux Luxembourg entre 2011 et 2014 afin de bénéficier d'avantages fiscaux.

Bruxelles renforce donc ces enquêtes sur les avantages fiscaux accordés aux multinationales à la suite des différents scandales des Luxleaks et des Panama Papers entre autres. L'arrivée de la Commissaire à la concurrence Margrethe Vestager semble représenter un tournant dans la lutte contre les pratiques fiscales des grands groupes. Mais la tête de l'exécutif à la Commission pourrait freiner ses ambitions.

>> Lire aussi :  Qui est Margrethe Vestager, la commissaire qui s'attaque aux multinationales ?

Grégoire Normand
Commentaires 2
à écrit le 07/01/2017 à 10:10
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La France comme donneur de leçon au monde entier a aussi profité des avantages fiscaux. Etonnant????

à écrit le 06/01/2017 à 15:09
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Merci pour cet article qui ne fait que confirmer ce que j'écris régulièrement ici, l'économie étouffe de trop de corruption soutenant l'incompétence. Ceux qui se prennent pour les dieux de l'économie n'en sont que les saigneurs. "Plus on poss...

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