« Sans exploitation minière, il n'existe pas de transition numérique et verte » Colin Mackey (Rio Tinto Europe)

ENTRETIEN. Le changement de paradigme économique imposé par la transition énergétique et numérique pour limiter le dérèglement climatique est devenu un enjeu industriel majeur pour tous les pays, Etats-Unis, Chine et Europe en tête, avec une demande en métaux stratégiques (lithium, cuivre, nickel, cobalt, terres rares...) qui va exploser car devenus vitaux pour produire les batteries pour véhicules électriques, les turbines éoliennes, les panneaux solaires ou encore le développement des réseaux électriques. Alors que l'Europe vient de se doter d'une loi, le Critical Raw Materials Act, pour sécuriser son approvisionnement, Colin Mackey, directeur des opérations européennes du géant minier mondial Rio Tinto, détaille pour « La Tribune » sa vision du secteur et ses projets sur le Vieux Continent.
Robert Jules
Rio Tinto, deuxième compagnie minière du monde, présente sur l'ensemble de la chaîne de valeur des métaux, opère dans 36 pays.
Rio Tinto, deuxième compagnie minière du monde, présente sur l'ensemble de la chaîne de valeur des métaux, opère dans 36 pays. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - La Commission européenne a publié jeudi son Critical Raw Materials Act, qui doit permettre de sécuriser l'approvisionnement en métaux stratégiques des pays européens. Que pensez-vous du document?

COLIN MACKEY - Nous saluons cette publication, mais le chemin est encore long. Au fond, elle admet que l'exploitation minière est cruciale à la transition énergétique et numérique. L'Europe doit utiliser toutes les options à sa disposition pour atteindre ses objectifs. Afin de répondre à la demande escomptée, elle devra augmenter le recyclage, augmenter ses importations et augmenter les extractions sur son propre sol. Ceci permettra aux entreprises européennes de rester compétitives. De même, nous reconnaissons que cette proposition permettra un avenir plus durable. Notre industrie doit continuer à investir et à innover dans des méthodes d'exploitation minière plus durables et s'assurer que nous répondons voire dépassons les attentes du public et des communautés.

Colin Mackay, Rio Tinto

Précisément, le projet d'exploitation minière du lithium de Jadar en Serbie est-il définitivement abandonné ?

Comme nous l'avons déclaré par le passé, nous nous sommes engagés dans le développement durable, responsable et en toute sécurité des matériaux critiques pour la transition écologique. Nous continuons de croire que Jadar a le potentiel d'être transformé en un actif d'envergure mondiale, qui soutiendra le développement des industries du futur en Serbie et qui génèrera des dizaines de milliers d'emplois pour les générations actuelles et futures. Nous comprenons les inquiétudes exprimées par les Serbes quant à l'impact du projet sur l'air, l'eau, les déchets, le sol et la biodiversité. Nous travaillons pour apporter une réponse à ces préoccupations et restons prêts à échanger, écouter et communiquer ouvertement sur notre entreprise et sur nos propositions. Le projet Jadar présente un énorme potentiel économique pour la Serbie. Il ne doit pas se faire au détriment de la nature et des industries agricoles de la région.

Au-delà des considérations politiques internes au pays, Rio Tinto n'a-t-il pas insuffisamment expliqué ce qu'est l'activité minière aujourd'hui, un secteur qui a une mauvaise image en Europe ?

Nous sommes conscients que nous devons faire plus. Notre industrie n'a pas toujours fait les choses comme il se doit. Mais nous allons de l'avant et considérons que nous sommes un élément de la solution. Nous sommes tous préoccupés par le changement climatique et ses conséquences, et notre rôle à jouer pour lutter contre ce phénomène. L'exploitation minière a changé et continue de changer. Elle est un élément crucial de la chaîne de valeur qui contribue à un avenir plus durable. Sans exploitation minière, il n'existe pas de transition numérique et verte.

Nous sommes en mesure d'exploiter les mines de façon durable et efficace. Les mines d'aujourd'hui sont très différentes de celles des décennies passées. Nous investissons dans les technologies les plus récentes et les plus innovantes du monde pour rendre nos opérations plus efficientes, plus sûres et plus respectueuses de l'environnement. Par exemple, la robotique et les véhicules autonomes sont intégrés dans nos opérations depuis plus d'une décennie. Il appartient à l'industrie minière d'investir davantage dans les nouvelles technologies pour créer des outils d'exploration, de production et de recyclage plus écologiques.

Nous avons tiré d'importantes leçons de Jadar et de nos opérations à l'international. Nous les appliquons au quotidien pour être sûrs de ne pas répéter les mêmes erreurs, et que le patrimoine culturel soit respecté, valorisé et conservé pour les générations futures. Les craintes du peuple serbe pour l'environnement sont sincères et nous devons leur prouver que nous sommes un opérateur digne de leur confiance, et ce, à travers nos actions et pas seulement nos paroles. Il est clair que nous devons continuer à travailler dur pour reconstruire cette confiance avec les parties prenantes et être plus transparents avec les communautés. L'industrie minière doit bénéficier de la confiance et du soutien des communautés locales et les entreprises du secteur doivent prioriser la voix des populations locales - qui doivent être entendues et dont les préoccupations doivent être entièrement prises en compte avec transparence.

En France, le gouvernement souhaite édicter une certification de « mine durable », comme le préconise le rapport Varin, qu'en pensez-vous ?

C'est au gouvernement français d'en décider. Toutefois, l'Europe dépend entièrement des importations pour couvrir la plupart de ses besoins en matériaux critiques. La seule façon de lancer une production sur son territoire est donc d'initier un véritable dialogue constructif entre parties prenantes.

Chez Rio Tinto, nous avons des programmes ambitieux pour la décarbonation de nos activités, en ligne avec les objectifs de réduction des émissions fixés par l'Accord de Paris. Nous nous sommes séparés de nos actifs dans le secteur du charbon. Nous poursuivons notre transition des sources d'énergies peu durables vers des solutions énergétiques plus propres et plus innovantes.

Nous accueillons donc favorablement toute initiative gouvernementale visant à valider et à soutenir ces efforts, qui contribuerait à la transition écologique de l'ensemble de notre secteur, et approuverait et promouvrait la transparence envers nos parties prenantes.

Face aux difficultés rencontrées en Serbie, l'Europe reste-t-elle toujours attractive pour les investissements de Rio Tinto, non seulement pour l'activité minière mais aussi sur l'ensemble de la chaîne de transformation de la transition énergétique, notamment dans la production de batteries pour voitures électriques ? Avez-vous des projets, notamment par la prise de participations ?

L'Europe est un marché extrêmement important pour nous. Rio Tinto a commencé à travailler en Europe il y a plus de 150 ans. Nous sommes cotés à la Bourse de Londres. Au fil des années, nous avons détenu des intérêts et des investissements divers et variés dans toute l'Europe.

Nous sommes constamment à la recherche de nouvelles opportunités qui répondent à nos exigences. Le minerai doit être traité de manière économique et durable, selon les normes ESG les plus strictes et avec l'empreinte carbone la plus basse possible.

Au-delà de l'exploitation minière, nous continuons de construire des partenariats significatifs en amont et en aval de nos activités - ils constituent des éléments clés de notre développement. Les clients recherchent la sécurité de leurs approvisionnements. Nous investissons également dans de nouveaux produits innovants aux côtés d'entreprises européennes dans le but de développer et d'utiliser de nouveaux matériaux à faible teneur ou à zéro teneur en carbone.

En Europe, Rio Tinto soutient le développement d'un écosystème de batteries à travers son investissement au sein d'Inobat Auto, une entreprise slovaque spécialisée dans la technologie et la fabrication de batteries, qui prévoit de construire plusieurs gigafactories.

Ces dernières années, Rio Tinto a cédé ses actifs en France (aluminium, talc...), envisagez-vous de revenir dans ce pays ?

Nous ne sommes jamais partis. Rio Tinto possède un centre de production à Coudekerque (Hauts-de-France) qui traite le borate de grande qualité arrivé de Californie, destiné à être utilisé par les secteurs agricole, nucléaire et industriel européens. Nous disposons en France également d'un centre mondial d'excellence en R&D pour les activités liées à l'aluminium qui regroupe des technologies de décarbonisation et d'optimisation de l'énergie, et d'un siège social à Neuilly-sur-Seine qui soutient nos activités pour la région EMEA (Europe, Moyen Orient et Afrique) et nos équipes commerciales (RTA, Minéraux et Minerai de fer).

La France continue d'être un marché clé pour Rio Tinto car les matières premières y sont cruciales pour un grand nombre d'industries françaises. Nous continuerons d'investir dans des partenariats en France ainsi que d'autres opportunités.

Après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, en février dernier, Rio Tinto a été une des sociétés internationales à rompre rapidement ses activités avec ses partenaires russes. Est-ce une position définitive ?

La situation en Ukraine nous inquiète profondément. C'est pourquoi nous avons déclaré, l'année dernière, mettre fin à toutes nos relations avec des entreprises russes et nos activités commerciales. Nous n'avons pas l'intention de changer notre position tant que le conflit perdurera.

La transition énergétique à l'échelle mondiale est un enjeu vital pour la planète. Les tensions sur l'offre d'hydrocarbures vont se déplacer vers l'offre des métaux. De nombreux acteurs (ONG, économistes...) ont peur d'une pénurie de métaux, d'autres s'inquiètent de la place centrale qu'occupe la Chine sur ses marchés, notamment dans le raffinage. En tant que l'une des compagnies minières les plus importantes au monde, pensez-vous que ces inquiétudes sont fondées ?

Les matériaux critiques sont essentiels à la transition énergétique. Les gouvernements du monde entier concentrent leurs efforts sur la sécurisation des approvisionnements réguliers et constants en minéraux critiques, afin d'assurer leurs objectifs économiques et de transition énergétique.

Le lithium est un minéral rare mais précieux et il n'en existe actuellement aucun substitut. Selon les prévisions de la Commission européenne, la demande en lithium dans l'UE sera multipliée par 18 entre 2020 et 2030, et par près de 60 d'ici 2050.

Toutefois, il est prévu que plus d'un million de tonnes de lithium manquera pour assurer la transition énergétique dans le monde d'ici à 2035.

Ces derniers mois, l'Europe a annoncé son objectif d'augmenter sa production domestique de lithium et de réduire sa dépendance à la Chine, cette dernière assurant actuellement 60% de la production mondiale de produits chimiques à base de lithium. Or, le recyclage ne peut satisfaire cette demande.

Il y a un intérêt collectif, dans toute l'Europe, à trouver une source fiable de lithium et à identifier d'autres minéraux critiques qui peuvent être extraits durablement et en toute sûreté, pour réduire la dépendance aux importations, garantir la sécurité d'approvisionnement et, in fine, réduire les émissions carbone grâce au développement de projets à énergie propre. L'Europe a besoin de sa propre chaîne d'approvisionnement en matières premières, qui se doit d'être locale, diversifiée et avec une production durable.

Il s'agit d'un sujet complexe en Europe : fournir nos produits de manière plus durable tout en ayant le moins d'impact possible est essentiel. C'est la raison pour laquelle nous priorisons les partenariats entre les décideurs politiques, les acteurs industriels, les ONG, les OSC, les think tanks, les chercheurs, et les communautés locales.

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Propos recueillis par Robert Jules

Robert Jules
Commentaires 4
à écrit le 21/03/2023 à 2:42
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On a vu les mines d'uranium exploitées en Afrique par areva. Il n'y a pas un européen qui voudrait vivre dans les villages autour. Les écoles sont complètement irradiés avec les gamins dedans. On fait n'importe quoi comme d'habitude. La seule vrai...

à écrit le 20/03/2023 à 15:21
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Politique minière durable ? La grosse blague... Un mine durable ça n'existe pas, là où la mine passe la vie trépasse. Sans aller dans le détail la transition de mon xxxx est mal barrée on est dans la fuite en avant avec des mines toujours plus gro...

à écrit le 20/03/2023 à 13:53
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La phrase du titre est trop longue, la vraie phrase est : "Il n'existe pas de transition verte"

à écrit le 20/03/2023 à 9:23
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Voilà que l'on c'est trompé de route et l'on cherche des chemins de traverse pour s'en sortir et finir dans la panique ! Alors qu'il faut raisonnablement revenir sur ses pas ! Pourquoi pas abandonner la politique de l'offre permanente et de ses étern...

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