« Si les régions n'amplifient pas davantage les formations dans la transition écologique, nous serons tous perdants », Christine Leconte, Ordre des Architectes

RÉGIONALES - GRAND ENTRETIEN. Nouvelle présidente du Conseil national de l'ordre des architectes après avoir présidé la chambre francilienne, Christine Leconte détaille, en exclusivité pour La Tribune, ses attentes vis-à-vis des régions nouvellement élues.
César Armand
Christine Leconte a été élue présidente du Conseil national de l'Ordre des Architectes le 10 juin 2021.
Christine Leconte a été élue présidente du Conseil national de l'Ordre des Architectes le 10 juin 2021. (Crédits : Anne-Claire Heraud)

On ne réfléchit pas pareil sur une métropole et un territoire détendu. C'est pourquoi il faut réfléchir à l'échelle de la région avec en tête la notion de ménagement du territoire.

Christine Leconte, présidente de l'Ordre des Architectes

LA TRIBUNE. Les régions, qui viennent de renouveler leurs conseils régionaux, sont compétentes en matière d'aménagement du territoire. Qu'attendent les architectes de ces nouveaux exécutifs locaux ?

CHRISTINE LECONTE. Avant l'aménagement du territoire, j'aimerais évoquer la compétence des régions en matière de construction, d'entretien et de gestion des lycées. C'est un énorme enjeu. Beaucoup de régions, comme l'Île-de-France, ont un grand nombre de lycées à réhabiliter. Ces derniers sont des passoires thermiques ou des bâtiments obsolètes pour lesquels un diagnostic est nécessaire. Il faut faire entrer les lycées dans le XXIème siècle et aller vers des bâtiments passifs et frugaux.

Il faut aussi imaginer d'autres espaces pour qu'ils soient plus agiles en termes de nouvelles approches d'apprentissages. Il ne s'agit pas que d'installations numériques, mais de relations à la nature par exemple.

Le bon sens est-il justement la chose la mieux partagée dès qu'il s'agit des lycées ?

C. L. :
J'ai une ou deux inquiétudes depuis des années : les régions ont parfois tendance à délaisser leur rôle de maître d'ouvrage dans ce domaine d'une part, et de réaliser des contrats globaux d'autre part. Nous proposons qu'elles assument pleinement ce rôle qui leur est confié pour que les budgets et plannings soient tenus. Avec les contrats globaux, les conseils régionaux ne profitent pas pleinement du devoir de conseil de l'architecte puisque celui ci est en groupement avec l'entreprise. Outre le fait qu'il soit compliqué d'être indépendant en étant lié à une entreprise, ces positions affaiblissent la possibilité de garantir une qualité architecturale pérenne au bâtiment, et encore plus en matière de réhabilitation. Chacun doit pouvoir garder son rôle pour offrir le mieux à nos concitoyens.

Ce phénomène n'est-il pas aussi dû au fait que les régions pilotent aussi le développement économique ?

C. L. : La région, c'est certes le développement économique, mais c'est aussi la construction de filières à l'échelle d'un bassin de vie. L'Île-de-France, la Normandie, les Pays-de-la-Loire, etc. ont chacune des ressources différentes en termes de matières premières : bois, chanvre, terre... Dans le contexte actuel de fortes difficultés d'approvisionnement en matériaux, nous devons travailler en réelle anticipation pour atteindre les objectifs de la future réglementation environnementale des bâtiments dite « RE2020 » qui s'appliquera le 1er janvier prochain.

C'est un immense chantier qui permet en outre de développer des filières pour les agriculteurs. Sans eux, nous ne pouvons ni concevoir ni prescrire du chanvre, du lin ou de la paille. C'est pourquoi les conseils régionaux doivent créer ces transversalités entre nous tous.

Interrogées pendant la campagne après avoir été interpellés par la fédération française du bâtiment, les régions assurent qu'elles créent déjà ces passerelles...

C. L. :
En Île-de-France, une région que je connais bien, il existe des soutiens mais pas de programmes transverses. Les agriculteurs sont soutenus, mais il n'y a pas assez d'écoconditionnalités dans les aides régionales. Les conseils régionaux doivent montrer l'exemple pour ce qui est produit et vendu.

Soutenue par le plan France Relance, la rénovation des bâtiments des régions est dotée d'une enveloppe de 300 millions d'euros. Encore faut-il que les artisans soient formés. Les formations dispensées par les conseils régionaux sont-elles en adéquation avec cette nouvelle donne ?

C. L. : Le soutien apporté à la formation par les régions doit en effet servir l'avenir dans le bâtiment et l'aménagement du territoire pour changer les modèles. Si les régions n'amplifient pas davantage les formations dans la transition écologique, nous serons tous perdants. Qu'elles apportent les gestes et les savoir-faire autour des matériaux, que ces connaissances soient partagées et surtout que tous les acteurs se forment sur des bases collectives pour accélérer ces transitions. J'ajoute que les conseils régionaux pourraient faire accéder les architectes aux pépinières d'entreprises.

Ce n'est pas le cas aujourd'hui ? Des architectes créent pourtant des jeunes pousses...

C. L. : Ce n'est pas toujours le cas... Il leur suffirait de rajouter le mot « architecte » à la liste des subventionnés dans certaines régions par exemple. Nous avons des architectes qui souhaitent fortement s'impliquer dans l'innovation : je pense à l'économie circulaire pour laquelle la région est une bonne échelle.

Quel rôle comptez-vous jouer collectivement dans la déclinaison des nouveaux contrats de plan Etat-région et des nouveaux schémas directeurs, type schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) ?

C. L. : Les contrats de plan Etat-région sont des outils extrêmement importants et efficaces, mais qui ne sont pas aussi bien utilisés qu'ils devraient l'être car les crédits ne sont pas toujours débloqués. Beaucoup de projets pourraient être réalisés mais restent dans les cartons, faute d'ingénierie interne. Quant aux schémas directeurs, type SRADDET, ils sont utiles pour la coopération territoriale, la nature en ville et hors ville ou encore la lutte contre le gaspillage urbain.

Pour autant, il faut repositionner ces objets pour ne pas en faire des plans descendants, mais en dialogue avec les maires. Le cas échéant, cela crée des blocages et des oppositions voire conduit à la création de commissions comme celles présidée par François Rebsamen pour relancer la construction neuve. Par exemple, la sobriété foncière, que j'ai toujours appelée de mes vœux, doit être comprise par tous et enseignée à tous les acteurs du bâtiment et aux élus locaux. Pourquoi continue-t-on d'autoriser le prêt à taux zéro dans les zones tendues alors qu'on y lutte contre l'étalement urbain et qu'on leur demande de fabriquer la ville sur la ville ? C'est contradictoire !

De la même façon que les maires se demandent actuellement comment ils vont pouvoir conjuguer l'impératif de la loi SRU, c'est-à-dire proposer toujours plus de logements sociaux, et la contrainte du zéro artificialisation nette des sols ?

C. L. : On ne réfléchit pas pareil sur une métropole et un territoire détendu. C'est pourquoi il faut réfléchir à l'échelle de la région avec en tête la notion de ménagement du territoire. Il existe d'ailleurs des politiques publiques comme Action Cœur de ville qui se mettent en place pour les villes moyennes ou "petites villes de demain", pour les communes et intercommunalités de moins de 20.000 habitants. Il ne s'agit plus seulement de penser à créer des pôles économiques d'un côté, des logements de l'autre, et des mobilités en troisième lieu, mais de créer des convergences entre les trois.

D'autant que les conseils régionaux sont les autorités organisatrices en termes de mobilité...

C. L. : Justement, c'est tout l'enjeu pour lutter contre la désertification des centres-villes et des centres-bourgs et développer un potentiel économique et de mobilité. Demain, beaucoup vont continuer à travailler trois jours au bureau et à rester chez eux deux jours. Nous pouvons imaginer réinvestir les cœurs de ville désertifiés mais il va falloir renforcer la qualité de l'offre d'habitat dans ces centres, où les logements sont souvent plus exigus qu'à l'extérieur des villes.

Aussi, il faut offrir un bout de terrasse, de jardin et avoir ce rapport à l'extérieur. Il nous faut construire cette ville plus qualitative, plus adaptée aux usages, avec plus de lumière et moins de petites surfaces. Nous sommes au XXIème : nous pouvons tout réinventer, à l'échelle d'un bâtiment, d'un îlot ou d'un quartier ! Soyons imaginatifs et changeons de modèle ! Autrement dit, nous devons construire la ville dans la ville en privilégiant la réhabilitation plutôt que de figer les bâtis. C'est avec tout ce potentiel architectural que nous pourrons provoquer de l'attachement aux lieux, préserver les terres agricoles, accentuer ce qui manque, et même limiter les recours sur les permis de construire qui font perdre du temps.

César Armand

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Commentaires 5
à écrit le 28/12/2021 à 18:00
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"tr9nsition écol0gique" Allez, os6z dire ce que vous en p6nsez : on s'en c0ntref1che !

à écrit le 02/07/2021 à 11:38
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Une excellente idée que de faire parler des architectes qui pourraient apporter énormément, notamment en matière esthétique mais également énergétique et d'économie circulaire, si du moins les politiciens et investisseurs du BTP ne tenaient pas autan...

à écrit le 29/06/2021 à 19:48
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Une formation théorique orientée "politique de l'offre", est une belle peinture verte! Une adaptation par "une politique de la demande" a un monde imprévisible a bien plus d'intérêt pour nos sociétés!

à écrit le 29/06/2021 à 10:43
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Fatiguant, tous ces gens incompétents qui parlent d'écologie et qui ne comprennent rien à ses mécanismes

à écrit le 29/06/2021 à 10:43
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Fatiguant, tous ces gens incompétents qui parlent d'écologie et qui ne comprennent rien à ses mécanismes

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