Maisons fissurées : les assureurs tentent de trouver des parades face à l’explosion des sinistres

La profession vient de relever ses estimations du coût des sinistres liés à la sécheresse de 2022 à 3,5 milliards d’euros, un record historique, et de très loin. La quasi-totalité de ce montant concerne les fissures dans le bâti des maisons individuelles en raison du phénomène « RGA », retrait-gonflement des argiles. Ce coût, qui représente désormais 60% des sinistres Cat Nat, devrait être de 900 millions d’euros en 2023, un niveau qui reste élevé. Des prévisions de la Caisse centrale de réassurance tablent même sur un coût annuel de 1,5 milliard d’euros à l’horizon 2050.
Plus de la moitié des maisons individuelles en France sont exposées au risque RGA, retrait-gonflement des argiles.
Plus de la moitié des maisons individuelles en France sont exposées au risque RGA, retrait-gonflement des argiles. (Crédits : Pixabay/ThierraMallorca)

« Même nos amis anglais souffrent de la sécheresse, et ce n'est plus une blague ». La Caisse centrale de réassurance (CCR) donne le ton des immenses défis qui attendent les propriétaires de maisons individuelles dans les prochaines années.

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Le ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires avait déjà dévoilé des chiffres vertigineux. Sur 20 millions de maisons individuelles recensées en France, plus de la moitié, soit 11 millions, sont moyennement ou fortement exposées au risque « RGA ». Pour rappel, le retrait gonflement des argiles est un phénomène naturel lié aux épisodes de sécheresse et qui fissure les maisons. Sur ces 11 millions, environ 3,3 millions de maisons individuelles sont « fortement » exposées. En clair, l'aléa devient presque certain.

Aujourd'hui, un assuré ne peut prétendre à une indemnisation de son assureur en cas de sinistre « RGA » que si l'habitation se trouve en zone déclarée en « catastrophe naturelle ». La procédure est longue, en moyenne trois ans entre la première déclaration de sinistre et la réparation ou la mise en œuvre de la solution retenue par les experts. Et encore, face à la hausse de fréquence des sinistres liés à des catastrophes naturelles, les pouvoirs publics ont significativement accéléré les procédures de reconnaissance par arrêté ministériel au profit de la commune touchée par l'événement climatique.

 60% des sinistres Cat Nat

« Le monde a changé à partir de 2016 », observe Edouard Vieillefond, directeur général de la CCR, qui joue un rôle de réassurance dans le régime public-privé d'assurance des catastrophes naturelles (« Cat Nat »). C'est là que la sécheresse est devenue le risque principal, et de très loin. Et pour cause, il représente depuis cinq ans, 60% de la sinistralité toutes catastrophes naturelles confondues.

Une explosion des chiffres qui montre d'ailleurs, s'il en était besoin, la réalité du réchauffement climatique. Le record absolu du coût de la sécheresse a été atteint l'an dernier : 3,5 milliards d'euros. Une facture essentiellement liée au risque RGA qui touche les maisons individuelles, surtout celles construites dans les années 1980 et 1990, aux fondations plus légères (moins de 1,5 mètre). Le risque RGA n'a d'ailleurs intégré le régime Cat Nat qu'en 1989.

Le chiffre de 2022 est ainsi largement supérieur aux précédents records de 2003 (2,05 milliards) et de 2018 (1,9 milliard). A date, selon les estimations de la CCR, les dégâts causés aux maisons individuelles par la sécheresse en 2023 devraient approcher les 900 millions d'euros, dans une fourchette comprise entre 750 millions et un milliard d'euros.

« Par rapport à la normale, par rapport aux ressources du régime (Cat Nat) et par rapport à ce que devrait être un total de sinistres sur une année, c'est déjà important », s'alarme Edouard Vieillefond.

1,5 milliard d'euros par an à l'horizon 2050

Sur la base des scénarios du GIEC, la nouvelle étude de la CCR sur l'impact du changement climatique, table, pour un scénario intermédiaire (entre le « pire » et le « moins pire ») sur un coût annuel de la sécheresse de l'ordre de 1,5 milliard à l'horizon 2050. Ce chiffre représente milliard d'euros supplémentaire par an par rapport au scénario du Climat 2000, du « fait de l'aléa et de l'évolution des enjeux assurés », comme le taux d'acceptation élevé (74% en 2022) des demandes d'arrêtés Cat Nat.

Cette explosion du coût est non seulement liée à la multiplication des épisodes de sécheresse, mais aussi à un phénomène qui touche désormais une bonne moitié du territoire. Ainsi, depuis 2016, la sinistralité, qui était auparavant concentrée sur le « croissant argileux » (le Sud -Ouest), s'étend aux régions Grand-Est, Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes. Ces trois régions concentrent désormais 60% des communes reconnues Cat Nat pour la première fois.

Ces montants, qui montent en flèche, posent bien sûr la question de l'équilibre financier du régime Cat Nat, financé par une surprime de 12% sur les contrats d'assurance habitation, soit en moyenne 25 euros par an et par foyer. Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs, est favorable à une augmentation de 18% de cette surprime pour faire face à la montée en puissance des risques climatiques.

Un sujet sensible à l'heure où le gouvernement s'est engagé à lutter contre les hausses de prix. Le rapport du député Vincent Ledoux, qui vise à améliorer la prise en charge des sinistrés RGA, reconnaît qu'il faut améliorer le financement. En revanche, il renvoie cette question à la mission sur « l'assurabilité des risques climatiques ». Pour rappel, elle a été lancée par les ministères de l'Economie et de la Transition écologique. Ses conclusions sont attendues d'ici la fin de l'année.

« Au-delà de la question du financement, il y a dans ce rapport fouillé beaucoup de propositions d'amélioration. La difficulté, c'est qu'on ne peut pas changer les critères tous les ans alors que nous avons besoin de stabilité », commente Franck Le Vallois.

Des solutions qui restent à trouver

Quant aux réparations, elles sont loin d'être évidentes. Pour l'heure, 60% des réparations sont des opérations d'agrafages des fissures. Or, elles ne concernent que la superstructure. Le coût est d'environ 5.000 euros, auxquels il faut ajouter le ravalement (environ 10.000 euros), soit un total de 15.000 euros. Ce qui n'est pas négligeable.

En revanche, les travaux de chaînage des constructions, ou d'injection de résine ou de micropieux, sont des travaux beaucoup plus lourds et coûteux, de l'ordre de 100.000 euros pour les micropieux. Difficile à envisager pour une maison individuelle dont le prix moyen oscille autour de 200.000 euros, voire 150.000 euros pour une maison neuve. A terme même pourrait se poser la question de la valeur d'une maison individuelle exposée à un risque RGA (sans parler de la rénovation thermique...) dans certaines régions.

De nouvelles techniques misent davantage sur la réhydratation et la protection des sols. L'idée est de considérer le bâtiment avec son environnement, et non plus contre lui, avec des renforcements. C'est dans cet esprit que France Assureurs et la CCR ont lancé un test grandeur nature sur cinq ans sur 300 maisons afin de tester différentes solutions de réparations (200 maisons), mais aussi de prévention (100 maisons).

 Le coût annuel des Cat Nat va bondir de 60% d'ici 2050

Selon la dernière étude d'impact du changement climatique sur les risques Cat Nat de la Caisse centrale de réassurance (CCR), la facture des sinistres pourrait grimper de 60% d'ici les trente prochaines années, selon le scénario du GIEC RCP 8.5 qui table sur un réchauffement global de 1,9°C  et non plus 1,5°C selon le scénario de l'accord de Paris.

Mais, quel que soit le scénario, le coût des dommages sera croissant, surtout ceux liés à la sécheresse. Dans le détail, sur la base d'un scénario intermédiaire, le coût moyen des inondations devrait augmenter au total de 38% d'ici à 2050, soit de 370 millions d'euros par an, celui des submersions marines de 112 % (+76 millions d'euros par an). Et, surtout, celui de la sécheresse géotechnique devrait plus que doubler (+103 %), ce qui correspondrait à une augmentation de 747 millions d'euros chaque année. Au total, le coût des sinistres entrant dans le périmètre du régime Cat Nat pourrait en effet passer d'un peu plus de 2 milliards d'euros à un peu plus de 3 milliards par an.

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Commentaires 4
à écrit le 18/10/2023 à 10:52
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Quand on voit comment sont construites certains maison sur un forum construire, clairement ce n'est pas la faute des clients, mais des maçons et constructeurs au comportement véreux. Et ils font fortune en sachant que leur ouvrage peut mettre en péri...

à écrit le 17/10/2023 à 19:11
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"La procédure est longue, en moyenne trois ans entre la première déclaration de sinistre et la réparation ou la mise en œuvre de la solution retenue par les experts". Pardon? Là ça frôle le délire!

à écrit le 17/10/2023 à 18:56
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Le principe de l'assurance c'est de couvrir un risque aléatoire alors que dans le cas présent il s'agit à lire l'article d'un risque presque certain !!! et la taxe cat.nat. est déjà de 12% du montant des primes d'assurance multirisque habitation .

le 17/10/2023 à 19:09
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Les gens construisent leurs maisons au moindre coût possible et si les choses tournent mal, d’autres doivent payer. La solidarité à la française

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