« Si vous voulez embarquer une dose de solidarité dans l'assurance, il faut s'interroger sur son caractère obligatoire » (François Schmitt, président de Groupama)

Séisme, émeutes et aussi sécheresse persistante dans les territoires... Le nouveau président de Groupama, François Schmitt, est sur tous les fronts depuis sa nomination il y a un mois à la tête de l'assureur mutualiste. Pour La Tribune, il revient avec son directeur général, Thierry Martel, sur ces évènements qui dessinent aussi le futur de l'assurance.
Thierry Martel et François Schmitt, directeur général et président de Groupama, se félicitent de la coconstruction avec l’État de l'assurance des récoltes.
Thierry Martel et François Schmitt, directeur général et président de Groupama, se félicitent de la coconstruction avec l’État de l'assurance des récoltes. (Crédits : La Tribune)

LA TRIBUNE- Après les séismes, les émeutes, avez-vous mis en place des dispositifs d'urgence ?

FRANÇOIS SCHMITT- . Comme à chaque sinistre de grande ampleur, les assureurs sont à pied d'œuvre. Et Groupama n'a pas fait exception. Plus de 800 dossiers ont été ouverts après le séisme du 16 juin dans l'ouest de la France. Une agence mobile a immédiatement été déployée sur place pour faciliter les déclarations, sans attendre l'arrêté de catastrophe naturelle. Des acomptes ont été versés et les frais de relogements ont été pris en charge pour 6 mois. Ce sinistre très impressionnant devrait représenter un coût de 35 millions d'euros pour Groupama.

Concernant les émeutes récentes, là aussi, les assureurs n'ont pas besoin qu'on leur demande d'accélérer les procédures et de faire des gestes : notre métier est de gérer des sinistres. Pour aider les clients particuliers touchés, les franchises d'assurance auto et habitation ont été supprimées. Pour les professionnels, elles ont été simplifiées ou réduites. Les acomptes ont été facilités, les délais de déclaration ont été repoussés. On dénombre à ce jour plus de 400 déclarations de sinistres, pour un coût de près de 40 millions d'euros, dont les trois-quarts concernent des collectivités. Je rappelle que Groupama est le premier assureur des collectivités.

Lire aussiÉmeutes : dégradations, pillages... « On sera au-dessus d'un milliard d'euros » de dégâts (Florence Lustman, France Assureurs)

Groupama a été au cœur de la création d'un produit d'assurance pour les récoltes avec un soutien public. Existe-t-il, selon vous, un état d'urgence en ce qui concerne l'assurance dans le secteur agricole ?

F.S. Depuis plusieurs années, nous alertons les pouvoirs publics sur la dégradation du résultat technique des assurances agricoles. C'est un sujet que les assureurs ne pourront plus porter seuls alors que le climat se caractérise désormais par des extrêmes avec des impacts très importants sur la production agricole. Les pouvoirs publics ont pris conscience de cette contrainte climatique et acceptent le principe de la mise en place d'un système de protection subventionné dont le coût n'aurait pas été supportable pour l'exploitant agricole. Nous avons pu ainsi co-construire avec les pouvoirs publics cette assurance des récoltes, à trois étages, qui permet d'absorber de forts chocs de volatilité de pertes de production. Ce mécanisme n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui du régime des « catastrophes naturelles », également garanti par l'État avec une forte dose de solidarité nationale. Cela participe d'une volonté politique d'accompagner, sinon l'autonomie alimentaire, du moins une vraie capacité de production sur nos territoires.

THIERRY MARTEL. Au fond, il y a trois sujets qui sont abordés à travers l'assurance des récoltes. Le premier concerne la baisse structurelle de la production en raison du dérèglement climatique mais cela ne relève pas de l'assurance. Ensuite, il y a la volatilité des rendements par rapport à la moyenne qui peut être en revanche couverte par l'assurance. Mais cette volatilité est également devenue trop forte pour que les assureurs puissent la couvrir à eux seuls. D'où cette réforme. Enfin, le troisième sujet concerne l'évaluation fiable de la perte de production. C'est assez facile pour la vigne, c'est plus compliqué pour l'arboriculture.

Ces partenariats « public-privé » doivent-ils s'élargir à d'autres domaines de l'assurance ? Autrement dit, sommes-nous en train de rencontrer les limites de l'assurance ?

T.M. Il y a déjà beaucoup de choses qui existent mais qui ne fonctionnent pas forcément de façon optimale. Sur les risques de nature climatique, il y a le régime des catastrophes naturelles qui, aujourd'hui, ne collecte pas suffisamment de primes pour faire face à la hausse continue de la fréquence et de l'intensité des sinistres. Pour rappel, le risque climatique représentait environ 2 milliards d'euros par an, tous marchés confondus, entre 2010 et 2015. Ce montant a grimpé à 4 milliards sur 2016-2021, puis à 10 milliards en 2022, année de tous les records il est vrai. La grêle, à elle seule, a pesé 5 milliards et la sécheresse environ 3 milliards.

Le deuxième domaine où le partenariat public privé est installé c'est la santé, avec un régime de base et des assurances complémentaires. L'État vient de décider de transférer 500 millions d'euros de dépenses sur les complémentaires. En trois ans, depuis la mise en place du « 100% santé », c'est 3,5 milliards de dépenses qui auront été transférés du public au privé. Cette tendance ne va pas s'arrêter mais s'accélérer. Mais à la différence du dispositif sur les récoltes, nous sommes sur le sujet santé dans un dialogue de sourds avec les pouvoirs publics. Il y a en France un dogme idéologique qui considère la santé comme une prérogative unique de l'État.

Pensez-vous que l'idée de la « grande sécu », le régime unique de sécurité sociale, puisse revenir sur la table ?

T.M. Le système français est bâti comme ça et continuera à fonctionner ainsi. L'hypothèse de la grande Sécu a été mise sur la table par le ministre de la Santé et a été refermée par le président de la République. Ce n'était pas un projet réaliste. Essayons déjà de travailler ensemble et pas l'un contre l'autre.

La dérive des coûts de la santé est-elle préoccupante ?

T.M. La question financière n'est pas, de mon point de vue, le premier sujet à traiter. Le premier sujet, c'est l'accès aux soins. Tout le monde peut avoir potentiellement accès aux soins les plus pointus gratuitement ou quasi gratuitement. Mais en réalité, cet accès aux soins devient de plus en plus inégalitaire. Il existe aussi un deuxième facteur d'inégalité, c'est l'éducation. Il existe au fond une trappe sanitaire comme il existe une trappe à pauvreté et à l'éducation. En dessous d'un certain seuil d'éducation, les gens se laissent aller et ne vont tout simplement plus voir le médecin, même si c'est gratuit. C'est un point très important. Nous avons certes l'espérance de vie parmi les plus élevées du monde (environ 84 ans) mais l'espérance de vie en bonne santé en France n'est que d'environ 62 ans. La santé est aussi une question d'hygiène de vie, d'habitude à se soigner.

Quel rôle donner à la prévention ?

Thierry Martel. Sur les inducteurs de santé, la partie médicale ne pèserait que pour environ 20 % alors que le mode de vie compterait pour 80 %. La prévention est donc essentielle. Le problème est que le modèle économique de la prévention peut apparaître dans certains cas, coûteux. Pour autant, les bénéfices qu'elle procure en termes de confort de vie mérite de la développer. Cette question se pose aussi sur l'assurance dommages. Le coût de la prévention contre la sécheresse sur une maison est aussi élevé que de la réparer. Mais c'est toujours plus intelligent de prévenir que d'éviter les sinistres car il y a aussi une économie psychologique, d'opportunité et une économie de carbone.

F.S. Je suis convaincu que les assureurs mutualistes ont un rôle pédagogique à jouer pour faire évoluer les comportements, sinon le risque pour l'assuré est de ne plus pouvoir payer son assurance. Nous avons sans cesse des débats avec les élus, les sociétaires dans les différentes structures de gouvernance sur ces questions d'assurabilité. Nous sommes à ce titre souvent davantage des lanceurs d'alerte pour les pouvoirs publics que des demandeurs.

L'équilibre de l'assurance habitation est-elle, selon vous, en danger ?

T.M. La profession estime à 3 millions le nombre de maisons qui sont en risque grave de fissuration, en raison des épisodes de sécheresse. Il faudrait au moins 40 milliards d'euros pour les réparer alors que le chiffre d'affaires total de l'assurance dommages en France est de 65 milliards d'euros ! On ne sait donc pas gérer ce problème qui pose d'ailleurs aussi la question de l'assurabilité d'un bien dont on sait pertinemment qu'il va se fissurer. La profession s'est saisie du problème et elle va faire preuve de responsabilité pour ne pas arriver à une impasse. L'idée qui émerge est de se partager le risque en fonction de ses parts de marché. Nous fonctionnons déjà de cette manière, de façon implicite, pour les jeunes conducteurs mâles de 18 à 21 ans dont chacun sait qu'ils n'équilibrent pas les tarifs !

A ce propos, que pensez-vous de la proposition de baisser l'âge du permis de conduire à 17 ans ?

C'est une très bonne idée pour augmenter le nombre d'accidents et de morts sur les routes ! C'est également une idée étrange à l'heure où on explique qu'il faut moins d'autos et plus de sécurité sur les routes. C'est juste contraire aux statistiques collectées depuis des années. Nous savons ainsi clairement que mettre un volant aux mains de jeunes hommes est accidentogène. Les statistiques sont absolument imparables.

Comment peut évoluer le monde de l'assurance face à des risques de moins en moins assurables ?

T.M. L'assurance doit couvrir des phénomènes aléatoires et cette frontière entre événements aléatoires et événements non aléatoires est de plus en plus floue. Les lignes peuvent même bouger avec les progrès de la connaissance. Si, demain, grâce à l'analyse du génome, nous pouvons prédire avec certitude une maladie et son coût, comment pourrait-on l'assurer ? Qu'est-ce qui relève de la solidarité - un risque certain qui va toucher votre voisin - ou de l'assurance qui concerne un risque aléatoire qui peut vous concerner ? En réalité, nos concitoyens font de moins en moins la différence. Pourtant, c'est bien à l'État d'organiser la solidarité, qui peut passer par l'obligation à souscrire à une assurance. C'est le cas pour les catastrophes naturelles, cela n'a pas été le choix pour les récoltes. Il faut souligner que l'État n'a pas pu trouver de réponse sur les pandémies et que les réflexions sur les risques cyber sont encore balbutiantes.

F.S. C'est une question avant tout politique. Que vous habitiez en ville ou à la campagne, vous payez la même chose et c'est obligatoire pour les catastrophes naturelles. Si vous voulez embarquer une dose de solidarité dans l'assurance, il faut s'interroger sur son caractère obligatoire. Cela dépend des secteurs concernés.

Cela renvoie donc à l'éternelle question : qui paye ?

Nous pouvons dire aux personnes touchées qu'elles n'ont pas de chance car elles ont une maison sur un terrain argileux. Comme la grande majorité de celles construites dans les années 70 et 80. C'est la posture à l'américaine : aides toi et le ciel t'aidera ! L'autre solution repose sur la solidarité nationale, un soutien public en disant que vous n'êtes pas responsable du réchauffement climatique. Entre les deux, il y a tous les systèmes intermédiaires où la charge est répartie entre les différents acteurs, l'assuré, l'assureur et l'État. Paradoxalement, le sujet sécheresse est presque plus important à court terme que celui des inondations. Le ministère de l'Intérieur a déjà pris au titre de 2022 plus de 6000 arrêtés de catastrophe naturelle, pour l'essentiel en raison de la sécheresse, soit trois fois plus que l'année précédente.

Avez-vous le sentiment d'être écouté par les autorités françaises, voire européennes ?

Notre métier reste très mal compris. Et beaucoup de décisions sont prises sur la base d'expériences individuelles malheureuses. L'assurance entre souvent dans la catégorie des dépenses contraintes et dans le contexte actuel d'inflation et de pression sur les revenus des ménages, les responsables politiques sont tiraillés entre la nécessité d'assurer une forme de stabilité du système financier et de l'autre, de ménager le pouvoir d'achat de leurs électeurs. Pourtant, et peu de gens en ont conscience, l'assurance dommages de particuliers en France est la moins chère d'Europe, notamment grâce à la montée en puissance des mutualistes qui n'ont pas d'actionnaires à rémunérer. Le niveau de rentabilité sur le marché de l'assurance de dommages en France est bien inférieur à ce qui se pratique dans les autres pays européens.

L'assurance doit-elle être le pilier du financement de la transition écologique, comme semble le souhaiter les pouvoirs publics ?

T.M. En investissant l'épargne de nos assurés dans la transition écologique ce n'est pas à l'assureur que l'on demande des efforts mais bien à l'assuré en lui faisant prendre plus de risques avec potentiellement moins de rendement à court terme ! Si tout le monde est d'accord pour faire supporter le même effort à ses assurés, c'est neutre sur le plan concurrentiel. Alors pourquoi pas et c'est même plutôt une bonne idée. Plus de la moitié de l'empreinte carbone des assureurs est générée par ce qu'ils financent, l'essentiel du reste étant la réparation des sinistres. Ensuite, il faut s'interroger sur les supports d'investissement. Tant qu'ils sont liquides, cela ne pose pas de problème. Mais nous demander aussi d'investir dans des actifs non liquides à l'heure où les taux remontent fortement peut poser problème, du moins sur les contrats qui assurent la liquidité, comme l'assurance-vie, sur les fonds en euros mais aussi sur les unités de compte dont c'est bien l'assureur qui en garantit la liquidité. On ne peut pas prendre un risque de liquidité sur l'assurance-vie.

Seriez-vous favorable à la création d'un fonds Tibi ciblé sur la transition écologique ?

T.M. Il faut toujours faire attention de ne pas lever plus d'argent que de projets. Sinon, vous pouvez créer les conditions d'une bulle.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 11
à écrit le 11/07/2023 à 23:31
Signaler
Il aurait fallu réfléchir en 2017 avant de mettre le bulletin de vote pour Macron et juste regarder le résultat de 5 ans dictatorial pour celui de 2022... Maintenant que Macron a détruit le porte feuille des citoyens français, il reste que mes vôtre...

à écrit le 11/07/2023 à 11:26
Signaler
"anti_racaille" Tu parles un petit gros blond chauve à lunettes oui ! ^^

à écrit le 11/07/2023 à 10:08
Signaler
C'est quoi ce titre? Selon les principes déontologiques de cette activité, l'assurance repose sur le principe même de la solidarité. Un grand nombre de personnes ou d’entreprises exposées aux mêmes risques versent leurs primes à une caisse commune qu...

le 11/07/2023 à 11:09
Signaler
L'évènement a été impressionnant , l'opinion publique a été impressionnée voir choquée et de ce fait à pris une tournure politique et nos dirigeants détournent l'attention en renvoyant la balle aux assureurs et même si les chiffres sont impressionnan...

le 11/07/2023 à 15:02
Signaler
"l'assurance repose sur le principe même de la solidarité" et du caractère aléatoire, un évènement trop prévisible ne pourra être assuré. Mon assurance auto n'appliquait pas de surprime 'jeune conducteur' en considérant que l'assuré qui va rester cl...

à écrit le 11/07/2023 à 9:45
Signaler
La fuite en avant de la décivilisation? Le socialisme est le chemin de l'esclavage.

à écrit le 11/07/2023 à 9:13
Signaler
le titre est hallucinant! on comprend qu'il faut rendre ca obligatoire, histoire pde payer la casse des hypertolerants de gauche, pour qu'apres qu'ils aient saccage leurs quartiers, on leur reconstruise a neuf pour qu'ils puissent recommencer avec bi...

le 11/07/2023 à 9:49
Signaler
Oui, on dirait une tentative désespéré de repousser la fin du Reich social-gauchiste de quelques années.

à écrit le 11/07/2023 à 8:07
Signaler
Et ça se rembourse comment une famille dont l'enfant a été exécuté par la police ?

le 11/07/2023 à 9:56
Signaler
vu les degats qu a causé Adama Traoré ou le petit ange Nahel, on devrait demander a la famille de payer. Le fait qu ils aient ete rappelé a leur createur prematurément a evité des dizaines de victimes (le fameux nael a faillit ecraser un pieton et un...

le 11/07/2023 à 11:12
Signaler
Ton commentaire est dégoulinant de bile on a du mal à percevoir un raisonnement cohérent là dedans du coup.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.