Les dépôts à vue, dont les fonds peuvent être en totalité ou en partie retirés à tout moment, coûtent de plus en plus chers aux banques. La crise sanitaire et les périodes de confinement ont généré en effet une épargne « subie » sans précédent, largement investie dans les dépôts à vue concrètement les comptes courants. Selon les calculs de BPCE et de la Banque de France, les ménages Français ont placé l'an dernier sur leurs comptes courants près de 74 milliards d'euros, soit un excédent de placement de 40 milliards par rapport à la moyenne des années 2018 et 2019.
Une bonne nouvelle pour les banques qui trouvent ainsi une ressource abondante ? Non, au contraire. Les banques commerciales sont en effet tenues de placer leurs dépôts excédentaires auprès de la Banque centrale européenne (BCE), qui les rémunère à un taux d'intérêt négatif depuis 2014, aujourd'hui fixé à -0,5%. En clair, les banques doivent payer la banque centrale pour leurs dépôts réglementaires. Et la facture s'alourdit au fur et à mesure que les dépôts à vue augmentent.
Le maintien dans la durée de cette politique de taux négatif, réaffirmée aujourd'hui par la BCE, dans un monde où le taux d'épargne s'accroît plus vite que le taux d'investissement, promet aux banques une dégradation continue de leur rentabilité. Certes, la BCE a mis en place des mesures pour limiter l'impact des taux négatifs, comme le système de tiering, qui exonère du taux négatif une partie des dépôts bancaires.
Mais, c'est surtout le guichet de prêts de long terme (TLTRO), qui permet aux banques d'emprunter auprès de la BCE à taux négatif (jusqu'à -1%) qui semble jouer le rôle de principal contre-feu pour amortir le choc. C'est du moins l'une des conclusions de l'étude sur l'impact les taux négatifs, réalisée chaque année, par la fintech allemande Deposit Solutions
Une charge de 2,5 milliards pour les banques françaises
Selon l'étude, la facture des taux négatifs s'élève, en 2020, à 8,5 milliards d'euros pour les banques européennes, « un montant record ». L'an dernier, la fintech allemande avait évalué cette charge à 6,7 milliards pour l'année 2019. Au total, la mise en place à partir de 2014 de la politique des dépôts à taux négatifs de la BCE aura coûté aux banques européennes quelque 33,7 milliards d'euros.
Tous les pays de l'eurozone ne sont pas logés à la même enseigne. Les banques allemandes (2,7 milliards) et françaises (2,5 milliards) supportent 60 % de cette charge en 2020. Un pourcentage relativement stable dans le temps qui s'explique par le poids important des dépôts et de l'épargne bancaire dans le bilan de ces banques.
En France, cette charge équivaut à 6,4 % du résultat opérationnel avant impôts, une part qui grimpe à 17% pour les banques allemandes, dont les performances financières sont, il est vrai, nettement moins flatteuses.
Effet amortisseur
Mais l'utilisation intensive du programme TLTRO par les banques françaises, italiennes, allemandes et espagnoles a pu alléger la facture finale de la politique monétaire. Selon l'étude, ce programme a permis aux banques européennes de générer 8,4 milliards d'euros de revenus d'intérêt, dont 70% sont concentrés sur les banques françaises, italiennes et allemandes. Au total, le solde entre la charge des taux négatifs et les revenus d'intérêt procurés par le TLTRO est différent selon les pays.
Côtés perdants, les banques françaises montrent un solde négatif de 400 millions d'euros et les banques allemandes de plus d'un milliard d'euros. Les banques italiennes apparaissent en revanche « gagnantes », avec un solde positif de 1,5 milliard, tout comme les banques espagnoles (un milliard).
« Le programme TLTRO de la BCE s'est avéré être une mesure efficace pour contrebalancer les charges d'intérêt négatives », surtout pour les banques d'Europe du Sud, pointe ainsi l'étude. Mais, prévient Tim Sievers, fondateur de Deposit Solutions, «la voie empruntée par ces banques est dangereuse car elles deviennent fortement dépendantes du financement de la banque centrale et risquent de faire face à un mur de dette lorsque ces prêts arriveront à échéance ».
Un défi persistant
Les taux négatifs de la BCE restent donc un défi persistant pour les banques, surtout celles dont les dépôts ou l'épargne bancaire sont élevés. Une des solutions envisagées était de taxer les dépôts à vue afin d'inciter les clients à orienter leurs excès de liquidités vers des produits financiers. De timides tentatives ont été menées en 2019 par quelques banques privées (Pictet, UBS...), et encore, au-delà d'un seuil très élevé, généralement de 100.000 euros.
Mais les banques de détail se sont bien gardées de suivre le mouvement, notamment en France où la Banque de France n'a pas caché son opposition face à de telles initiatives. La néobanque N26 a cependant franchi le pas, mais sur une infime partie de ses clients (ceux dont les dépôts sont supérieurs à 50.000 euros). Encore faut-il qu'ils ne soient pas souscripteurs de la formule premium !
En Allemagne, plusieurs banques régionales ou des caisses d'épargne appliquent, avec mesure, des taux d'intérêt négatif à certains de leurs déposants, sans conséquence d'ailleurs sur leur comportement en matière d'épargne.
Cette question reste une source de tension entre le secteur bancaire et l'opinion publique, déjà échaudée par l'augmentation constante des frais bancaires, notamment sur la tenue des comptes courants. Une facturation qui est un moyen sans doute plus efficace pour amortir le coût de la politique monétaire de la BCE.
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