Les hedge funds et la gestion alternative mieux encadrés en Europe

Le vote du Parlement européen met un terme à dix-huit mois de lobbying et de négociations sans précédent. Mais le texte ne sera pas appliqué avant 2013.
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Le Parlement européen, en session plénière, a adopté à une très large majorité (513 voix pour, 92 contre et 3 abstentions) la directive sur la gestion alternative, dite AIFM (alternative investment managers funds),  jeudi à Bruxelles. Tous les grands groupes parlementaires, à l'exception des Verts, ont apporté leur voix au texte porté par Jean-Paul Gauzès, eurodéputé et rapporteur de cette directive (lire ci-contre). Avant d'être promulguée, elle devra être ratifiée par le Conseil européen au prochain Ecofin et passer entre les mains des juristes-linguistes. Son application est prévue en...2013, soit trois ans après son adoption, « la réactivité européenne étant sans commune mesure avec celle des marchés financiers », regrette Jean-Paul Gauzès.

Si l'eurodéputé s'est déclaré « heureux d'être arrivé au bout », cela n'a pas été sans peine. Jusqu'à la fin, des tensions auront été palpables et de citer un désaccord avec le président de la commission bancaire et financière belge qui s'est réglé autour « d'un jus d'orange ».

Dix-huit mois auront été nécessaires pour trouver un accord entre le Conseil, la Commission et le Parlement, qui ont tenu 18 trilogues (12 formels et 6 informels). Jean-Paul Gauzès a, de plus, participé à 198 réunions officielles avec les lobbyistes, en particulier l'Efama et l'Evca qui défendent respectivement les intérêts des industries de la gestion d'actifs et du « private equity » en Europe. Sans compter les rendez-vous avec les politiques de tout bord. Au total, pas moins de 1690 amendements auront été déposés.

Craintes de Geithner

Il est vrai que cette directive a déchaîné toutes les passions. Et ce, dès le premier texte proposé en avril 2009 par Charlie McCreevy, ancien commissaire au Marché intérieur. Texte dont Michel Barnier, son successeur, a hérité, rendant les négociations plus difficiles. Les anglo-saxons voyaient dans cette directive une volonté de « tuer la City ». Ce à quoi Jean-Paul Gauzès a répondu qu'« il n'en avait pas les moyens ». Par la plume de Tim Geithner, secrétaire d'État au Trésor américain, les États-Unis ont aussi exprimé leurs craintes et leurs désaccords avec l'Europe. Michel Barnier a dû traverser l'Atlantique pour les assurer que la réglementation proposée n'était pas « discriminante » comme le pensait Tim Geithner. Les relations avec la France ont aussi été compliquées jusqu'à ce que Paris accepte le principe du passeport pour les pays tiers, proposition déjà présente dans le texte d'avril 2009.

L'artisan de cette réforme

« Je n'ai jamais souhaité être député européen. Je ne pensais pas que cela pouvait être possible ». Aujourd'hui, Jean-Paul Gauzès (eurodéputé PPE, parti populaire européen) ne le regrette pas. Après six ans d'implication dans des dossiers aussi complexes que les services de paiement, les agences de notation ou la gestion alternative (directive dite AIFM) ? et ce, sans maîtriser l'anglais au grand dam des Anglo-saxons ? l'homme est resté reconnaissant. « C'est Antoine Rufenacht qui m'a propulsé. Je lui dois tout. » L'ancien maire du Havre, deux fois secrétaire d'État sous des gouvernements de Raymond Barre et directeur de campagne de Jacques Chirac en 2002, lui a proposé de devenir élu européen. Ancien avocat, ancien directeur juridique et fiscal de Dexia, l'expérience politique de Jean-Paul Gauzès se résumait jusqu'alors au seul échelon local : il est maire de Sainte Agathe d'Aliermont, petite commune de Seine Maritime, depuis 1983.

Aujourd'hui, Jean-Paul Gauzès ne boude pas sa satisfaction. « Nous touchons à des problèmes concrets et nous avons de réels pouvoirs. Rapporteur d'une directive, un député européen peut laisser son empreinte ou une marque collégiale sur le texte qui lui est confié », souligne-t-il. A l'issue du vote sur AIFM, l'homme se dit fier d'avoir « participé » au renforcement de la régulation financière, notamment sur les ventes à découvert, et du rôle de la future autorité européenne des marchés (ESMA). Le tout en « rassemblant beaucoup de collègues et notamment parmi les socialistes, ce qui crédibilise encore plus le texte ». La tâche requiert de la diplomatie et parfois de faire des compromis. « Nous sommes des délibérants. Chaque soutien doit se gagner ». Y compris au sein de son propre groupe. Son expérience d'avocat n'est probablement pas un désavantage en la matière.

Dans son élément

Inconnu à son arrivée au Parlement européen, il ne fait aucun doute qu'il est aujourd'hui dans son élément. Pour preuve, ses « collègues », comme il les appelle et ce, quelle que soit leur couleur, l'ont élu eurodéputé de l'année 2009 dans la catégorie affaires économiques et monétaires. Et lui ont laissé le soin d'adapter le règlement Agences de notation à la nouvelle supervision européenne.

Et après ? Jean-Paul Gauzès ne s'interdit pas de reprendre un gros dossier d'ici à la fin de son mandat (en 2014) si ses collègues lui renouvellent leur confiance. Quant à un troisième mandat européen, rien n'est exclu même si l'intéressé rappelle qu'il aura alors 67 ans.

L'avis d'un gérant de hedge funds

La Tribune - Christopher Fawcett, vous êtes senior partner chez Fauchier Partners, gérant de hedge funds. Dans l'ensemble, le texte sur la directive AIFM est-il satisfaisant ?

Christopher Fawcett - Le texte final est plus réaliste, pragmatique que la version proposée en avril 2009 en n'imposant plus, par exemple, que le dépositaire du fonds soit domicilié en Europe. Sur ce point, le texte clarifie les fonctions et les responsabilités du dépositaire et introduit aussi davantage de transparence notamment sur le pricing du portefeuille. De plus, les investisseurs pourront continuer à investir dans des produits non-européens, le régime de placement privé demeurant au moins jusqu'en 2017.

- Quels sont le ou les points pénalisants pour votre industrie ?

- Là où cette directive a un impact négatif c'est sur la compétitivité de l'Europe. Pour un certains types de stratégies d'investissement, de gérants, notamment des single hedge funds, elle est restrictive. Ces derniers pourraient être tentés de s'installer en Asie, aux États-Unis ou en Suisse, des places qui offrent, en plus, une fiscalité moins lourde et aucune contrainte sur la rémunération des gérants. Cela entraînerait une baisse de l'emploi et des recettes fiscales, surtout au Royaume-Uni qui représente 80 % de l'industrie en Europe. Par ailleurs, les hedge funds non-européens n'ont pas forcément besoin de lever des capitaux en Europe. Personne n'est contre une meilleure réglementation, mais pourquoi ne pas l'étendre à l'ensemble des intervenants de marché afin d'avoir un « level plyaing field » (traitement équitable).

L'avis des investisseurs français

La Tribune - Pierre de Fouquet, vous êtes membre du pôle « Affaires publiques » de l'Afic, association française des investisseurs en capital. A vos yeux, le texte sur la directive AIFM est-il satisfaisant ?

Pierre de Fouquet - En résumé, on peut dire que le pire a été évité. L'industrie pourra faire face aux mesures proposées dans la version définitive. Avec le vote, nous sortons enfin d'une longue période d'incertitude qui aura duré plus de dix-huit mois. Hélas, la directive n'apporte aucune évolution favorable pour l'industrie du capital-investissement. Le seul point positif est la mise en place d'un cadre stable et harmonisé en Europe.

- Quel sera l'effet sur la compétitivité de votre industrie ?

- La directive va entraîner des coûts supplémentaires, tant pour les fonds que pour les sociétés en portefeuille. Le plus gênant réside dans les obligations de communication imposées par la directive. Toutefois, la donne ne changera pas radicalement pour les gestionnaires de fonds français, qui sont déjà soumis à des règles précises, sur la question du dépositaire comme sur celle du minimum de fonds propres à détenir dans la société de gestion.

- Que pensez- vous du seuil retenu pour l'application du texte ?

Le périmètre d'application du texte est une aussi une déception. Une clause permet certes aux fonds gérant moins de 500 millions d'euros d'échapper aux nouvelles règles. Mais, si ces derniers souhaitent exercer leur activité ailleurs en Europe, par exemple pour y lever des fonds, ils devront s'y soumettre, avec tous les coûts induits.

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