Daniel Bouton : "M. Kerviel a transformé la Société Générale en banque casino"

La neuvième journée du procès en appel de Jérôme Kerviel a commencé ce jeudi 21 juin. La présidente de la Cour, qui n'a jusque là pas ménagé l'ancien trader, condamné le 5 octobre 2010 à cinq ans de prison, dont trois fermes, ainsi qu'à 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts, entend aujourd'hui différents témoins à la barre, parmi lesquels Daniel Bouton, ancien président de la banque.
Copyright AFP

Jérome Kerviel est sous le coup de trois chefs d'accusation : abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé, faux et usage de faux. Son procès en appel a commencé lundi 4 juin. Suivez en direct la huitième journée d'audience couverte par notre journaliste Laura Fort, avec les clés pour comprendre le procès. Retrouvez le compte-rendu de la première journée d'audience, le compte-rendu de la deuxième journée d'audience, le compte-rendu de la troisième journée d'audience, le compte-rendu de la quatrième journée d'audience, le compte-rendu de la cinquième journée d'audience, le compte-rendu de la sixième journée d'audience, le compte-rendu de la septième journée d'audience, et le compte-rendu de la huitième journée d'audience.

Jeudi 21 juin

16h55.  La salle est bondée, la chaleur y est pénible. La présidente de la Cour appelle Daniel Bouton à témoigner, qui entre par une porte latérale de la salle avec une petite sacoche violette. PDG de Société Générale à l'époque des faits, il est aujourd'hui consultant indépendant dans le domaine des services financiers, administrateur de Veolia et consultant pour une université française.

Dans un costume gris sombre, Daniel Bouton, bras croisés, revient en détail sur les faits de janvier 2008, d'une voix monocorde : "Dans l'après-midi du vendredi, on m'apprend quelque chose qui est un peu terrorisant : une écriture n'est pas reconnue dans les comptes. Il est possible qu'il y ait un faux dans les écritures de la banque. L'économie de marché est fondée depuis 150 ans sur la confiance. Il n'y a pas pire pour une banque de découvrir une écriture fallacieuse. Le trader revient spontanément de week-end pour s'expliquer. Dans la nuit du samedi au dimanche, Philippe Citerne, numéro 2 de la banque d'investissement, m'apprend que J. Kerviel raconte qu'il a fait gagner 1,4 milliard d'euros à la banque. C'est un peu sans précédent. Mais le ciel nous tombe sur la tête quand on apprend les positions de 50 milliards d'euros. A partir du dimanche, on va essayer d'organiser des équipes d'encadrement pour traverser cette épouvantable tempête.

Je prends à ma charge le travail un peu désagréable de communication aux deux autorités de tutelle. Nous organisons un débat interne pour voir quelles positions on peut prendre. Nous ne pouvons pas aller voir nos actionnaires, nos déposants, pour leur dire qu'on a une position dissimulée de 50 milliards d'euros. C'est mortel.

Nous décidons donc de déboucler. Mais l'AMF ne nous donne pas beaucoup de temps. A partir du lundi, les conditions de marché sont telles, que le volume de pertes va nécessiter une recapitalisation. C'est une opération extrêmement difficile car les conditions de marché sont très tendues. La petite équipe à laquelle je rends encore hommage, nous allons prendre nos billets d'avions et nos petites valises, pour faire le tour des investisseurs. Nous réussissons le marché à souscrire cette augmentation de capital. Nous savons là que ce ne sera pas mortel pour la banque. Encore une fois, toutes mes excuses aux actionnaires, grands ou petits, qui ont souffert."

Mireille Filippini, présidente de la Cour lui demande : Comment expliquez-vous ce qui a pu se passer ? Elle relit alors les conclusions de la Commission bancaire qui a pointé un certain nombre de dysfonctionnements dans le système de contrôle interne de la banque.
Daniel Bouton : J'ai approuvé le principe de construction de petites équipes de traders qui devaient prendre de petites positions. Cela permettait de dérisquer sensiblement le risque opérationnel. Ceci étant, plus il y a d'opérations, plus il y a de problèmes d'ajustement de moyens entre le front-office et le back-office. Mais tout ça ne protège pas contre ce risque-là (il montre Jérôme Kerviel).

Quand l'homme avec lequel vous travaillez vous enfume complètement, il faut avoir une autre organisation pour s'en apercevoir, et nous ne l'avions pas. Il nous manquait une centralisation par nom du trader. Si on l'avait eu, on aurait vu le nombre anormal d'annulations passées. Il nous manquait probablement aussi une cellule anti-fraude. Nous étions organisés en boîtes, et il fallait qu'on ait une cellule anti-fraude qui traite le problème du risque opérationnel en se disant : « il peut y avoir un Kerviel ».

Me François Martineau : Un témoin affirmait ce matin qu'il valait mieux que la Société Générale avoue ses pertes de « rogue trading » que ses pertes liées aux subprimes... DB : Ca c'est n'importe quoi. Les bras m'en sont tombés quand j'ai lu la théorie du complot. C'est du même niveau que lorsqu'on nous dit pour le 11 septembre que les images de l'avion qui rentre dans les tours sont des fausses. Vu le niveau où la chaîne des opérations sur les taux et la chaîne des produits dérivés se rejoignent, la personne qui peut être le comploteur, c'est moi, Citerne ou Mustier, si cette théorie doit prospérer. Cette ligne de défense de J. Kerviel n'a pas plus de plausibilité que les précédentes.
Me Reinhart : Comment expliquez-vous cette défense ?
Daniel Bouton : Il s'est enfermé dans un système où il ne peut pas se dire la vérité à lui-même, à sa famille ou à ses amis bretons. Et on a en France beaucoup plus de facilité à croire le petit jeune que le méchant gros banquier.
Me Frédéric Karel Canoy, qui représente les petits actionnaires : Vous avez dit « en tant que président je suis responsable de tout », ça vous honore et vous ajoutez des excuses pour les « actionnaires petits et gros ».Regrettez-vous aujourd'hui le terme de « terroriste » dont vous aviez qualifié Jérôme Kerviel en première instance ?
Daniel Bouton : Le montant de 50 milliards est un montant létal et échappe à la raison. J'aurais peut-être pu m'abstenir, mais ce type de positions n'était le fait que d'un « voleur ».
Me Daniel Richard : Qu'est-ce que la bonne et la mauvaise spéculation ?
DB : C'est M. Kerviel qui a transformé la Société Générale en banque casino. Notre métier n'est pas de prendre des positions directionnelles. Le métier dans une salle de marchés, ce sont des gens qui arrivent à gagner des sommes petit à petit.
Daniel Bouton cite alors un edito de Muriel Motte dans Les Echos du jour : « les titres des banques ne veulent plus rien dire aujourd'hui ». Et déclare : Une affaire comme Kerviel n'améliore pas le niveau de confiance des marchés et des épargnants dans le système bancaire en général.
DR : N'avez-vous pas un peu pêché par angélisme ?
DB : On peut penser que les back-office étaient peut-être insuffisants en face de Delta One.
C'est le problème de toutes les entreprises confrontées à des cycles d'activité considérables. A la fin de la bulle, le nombre d'opérations est extraordinairement élevé et nous ne savons pas recruter suffisamment vite. La coïncidence terrible, c'est que des opérations étaient toujours cliquées par M. Kerviel tout en envoyant des SMS terribles à Moussa Bakir [courtier de Fimat, ex-Newedge, filiale de courtage de Société générale, qui exécutait les ordres boursiers passés par Jérôme Kerviel et échangeait avec lui de manière intensive].
DR : Pourquoi n'avez-vous pas distribué d'actions gratuites pour dédommager les salariés de la banque de détail ?
DB : Je n'y ai pas pensé.
Me Jean Veil, avocat de Société Générale, reprend la main : La Cour revient régulièrement sur le problème des effectifs. Est-ce que vous avez une idée de ce qui se passait en même temps en 2007 à la BNP ?
DB : Bien entendu nous comparons nos effectifs par rapport aux autres grandes banques. Les effectifs de back-office de Société Générale étaient tout à fait en ligne avec les autres.

Lire la suite

Et retrouvez notre dossier spécial sur l'affaire Kerviel, les clés pour comprendre le procès (noms, définitions), les analyses de Valérie Segond et de François Lenglet après le verdict de 2010, ce que sont devenus les protagonistes de l'affaire, les plaintes déposées par Me David Koubbi (avocat de Jérôme Kerviel) et par Me Jean Veil (avocat de Société Générale), le témoignage de l'ancienne conseillère en communication de Jérôme Kerviel, et le contexte politique dans lequel s'inscrit le procès.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 21/06/2012 à 20:14
Signaler
Je ne sais pas d?où il sort ce Bouton mais c?est Astérix le Gaulois en manque de la potion magique des divers dictionnaires ! S'il utilise le mot "terroriste" sans connaitre la définition, ce qui l'oblige à s'excuser 2 ans plus tard, que peut-on dire...

le 22/06/2012 à 18:16
Signaler
Vous semblez bien mieux maîtriser la BD que le sujet et le procès. Persistez....dans la BD.

à écrit le 21/06/2012 à 19:00
Signaler
d'accord J.KERVIEL a pris la banque pour un casino , il porte prejudice a LA SOCIETE GENERALE une des plus grandes banques Française , nous en patissons tous les employes ,les clients actionnaires aussi -

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.