Procès Kerviel : suivez en direct le huitième jour d'audience

La huitième journée du procès en appel de Jérôme Kerviel a commencé ce mercredi 20 juin. La présidente de la Cour, qui n'a jusque là pas ménagé l'ancien trader, condamné le 5 octobre 2010 à cinq ans de prison, dont trois fermes, ainsi qu'à 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts, entend aujourd'hui différents témoins à la barre.
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Jérome Kerviel est sous le coup de trois chefs d'accusation : abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé, faux et usage de faux. Son procès en appel a commencé lundi 4 juin. Suivez en direct la huitième journée d'audience couverte par notre journaliste Laura Fort, avec les clés pour comprendre le procès. Retrouvez le compte-rendu de la première journée d'audience, le compte-rendu de la deuxième journée d'audience, le compte-rendu de la troisième journée d'audience, le compte-rendu de la quatrième journée d'audience, le compte-rendu de la cinquième journée d'audience, le compte-rendu de la sixième journée d'audienceet le compte-rendu de la septième journée d'audience.

Mercredi 20 juin

19h50. L?audience est levée. Elle aura été marquée le matin par l?énervement de Me David Koubbi et ses éclats de voix avec la présidente de la Cour. Un absent aura par ailleurs été à déplorer : Me Julien Dami le Coz, collaborateur de Me Koubbi.
Rendez-vous demain jeudi 21 juin pour la suite du procès et l?audition de nouveaux témoins, comme celui de Daniel Bouton, patron de Société Générale, à l?époque des faits.

19h30. "Ce sera le témoin le plus bref"

Le dernier témoin de la journée est maintenant entendu à la demande de la défense : Paul Opitz, consultant en gestion des risques.
Mireille Filippini, la présidente de la Cour lui demande : Quels risques ?
Paul Optiz : Surtout pas le risque de marché, ça je n?y connais rien. Mais les risques opérationnels comme les incendies, les grèves? Me David Koubbi, avocat de Jérôme Kerviel l?interroge : Cela sera le témoin le plus bref. Vous m?avez contacté par mail. Vous avez assisté à un déjeuner dont je souhaiterais que vous vous expliquiez devant la Cour.
Paul Optiz : Les 23, 24, 25 janvier 2008, j?assistais à Honfleur à un colloque de risk managers. Il était environ 14h45. Une personne à côté de moi a téléphoné puis interpellé la directrice des assurances de la Société Générale qui était là, Mme Burlet, en lui disant que l?affaire avait éclaté. Elle a répondu que tout était sous contrôle et que les pertes seraient plus faibles que prévues. Suite à quoi cette personne lui demande comment la Société Générale a pu laissé passer une telle affaire. Elle a répondu que cette opération ne pouvait pas être le fait d?une seule personne mais d?une équipe.
Mireille Filippini intervient : Cette dame, soumise au secret professionnel, l?aurait donc levé ?
Claire Dumas est appelée à la barre par la présidente : Je découvre cette information. Le jeudi à 8h du matin, il y avait eu une conférence de presse pour communiquer sur la perte massive. A ce stade, le jeudi, il n?a jamais été délivré comme message aux équipes que la ligne hiérarchique était impliquée.
Mireille Filippini au témoin : Bien, la Cour vous libère.

19h00. "Le problème, c?est que les marchés fonctionnent à la voix, comme un marché aux bestiaux"

Robert Tellez, cadre chez Natixis, N-4 ou 5 selon lui, et président d?une société de gestion, témoigne maintenant à la demande de Me David Koubbi, avocat de Jérôme Kerviel.
Me David Koubbi : Pourquoi avez-vous accepté d?être cité et de témoigner ?
Un brin nerveux, très expressif, avec un cheveu sur la langue, Robert Tellez se lance : J?ai lu tout le dossier et ce qui traîne sur Internet, et j?ai noté des absences notables compte tenu de mon expérience.
DK : Quelle expérience ?
RT : J?ai passé 5 ans à la Banque de France puis une douzaine d?années au contrôle au Matif [Marché à terme des Instruments Financiers, ndlr], puis enseigné à Dauphine.
DK : Vous estimez que vous êtes un expert sur le contrôle ?
RT : Oui, le contrôle, je connais bien.
DK : Est-ce que les techniques de dissimulation de J. Kerviel, vous les qualifieriez de sophistiquées ?
RT : Non.
DK : Les opérations auraient-elles été possibles sans que personne ne s?en rende cpte ?
RT : C?est difficile à imaginer.
DK : Pour quelles raisons ?
RT : Dans les dossiers, il y a beaucoup de choses, mais pas l?essentiel. Mon grand étonnement est le suivant : il existe un domaine d?information financière, dans lequel on doit trouver le matériau pour savoir qui était au courant des opérations. Ce matériau, c?est la comptabilité. La Commission bancaire ne dit pas qu?il y a eu faux bilan, ne dit pas que la comptabilité était corrompue, que la piste d?audit a été rompue. Mais il suffisait d?ouvrir les livres comptables et les pièces d?origine, les tickets d?opération par exemple. Le problème, c?est que les marchés fonctionnent toujours à la voix. On en est toujours au marché aux bestiaux.
DK : Pourriez-vous nous dire ce que vous savez des rapprochements de résultats et des arrêtés d?écriture ?
RT : On fait des arrêtés comptables une fois par mois dans les banques. Il est communiqué au régulateur et fait l?objet de comités internes.
DK : Que pensez-vous des systèmes de contrôle de la Société Générale ? Pouvait-elle ignorer les positions de son trader ?
RT : Avant cette affaire et le rapport de la Commission bancaire, la réputation des systèmes de contrôle de Société Générale était excellente, donc j?ai du mal à me faire une idée.
Me Reinhart fait un signe aux journalistes : il tourne l?index sur sa tempe pour montrer que le témoin ne tourne pas rond...
Un brin farfelu, très théâtral, au final peu crédible, pas sûr que Robert Tellez ait aidé la défense à marquer des points.
La partie civile ne lui a pas posé de questions.

18h10. "En 2008, Société Générale s?est déclarée en perte fiscale de 10 milliards"

La Cour entend comme témoin Dominique Ledouble, expert comptable et commissaire aux comptes, à la demande de Société Générale.
Me Jean Veil, avocat de la banque, lui demande d?abord de détailler son expérience professionnelle. Il a notamment été président de l?Ordre des experts comptables et enseigne l?audit et le commissariat aux comptes.
JV : Je voudrais savoir si vous avez pris connaissance de l?avis de Michel Tudel, également commissaire aux comptes, sur la déduction fiscale de 1,7 milliard d?euros accordée par Bercy en 2008 suite aux pertes subies par la banque ?
Droit comme un I, Dominique Ledouble répond avec aplomb : Ce que j?en sais, c?est ce qui en a été rapporté par les agences de presse. D?après ce que j?ai compris, il y a un gain de 1,4 milliard et une perte de 6,3 milliards, donc la Société Générale se déclarait en perte. Et sur l?exercice 2008, elle s?est au total déclarée en perte fiscale de 10 milliards.
JV : L?appréciation que Michel Tudel porte, est liée à une appréciation du Conseil d?Etat. Pensez-vous qu?elle s?applique à la Société Générale ?
DL : Sur les 4,9 milliards d?euros de pertes, il y a 3,6 milliards d?euros qui correspondent au débouclage de la position. La banque a déclaré une perte fiscale de 10 milliards. Il en reste suffisamment qui n?ont rien à voir avec J. Kerviel pour justifier de ce remboursement. Sur la décision du Conseil d?Etat, elle est fondée sur la théorie de l?acte anormal de gestion et sur une carence manifeste du système de gouvernance. Il est difficile de considérer que le débouclage est un acte anormal de gestion.
JV : Partagez-vous alors l?avis de Michel Tudel ?
DL : J?ai tendance à dire que la direction générale et le conseil d?administration de la banque ont respecté les règles de gouvernance comme le dit le Conseil d?Etat. Je ne pense pas qu?on puisse prouver qu?il y a eu une carence manifeste de leur part. L?autre question c?est : est-ce qu?il y a eu carence manifeste du système de contrôle interne. Mais ce n?est pas tout à fait ce que dit le Conseil d?Etat.
JV : Donc en résumé la loi fiscale a été correctement appliquée ?
DL : Oui.
Me David Koubbi, avocat de Jérôme Kerviel, s?avance : Vous avez indiqué précédemment que la Société Générale avait une assurance et qu?elle n?a pas été couverte. Y a-t-il eu déclaration de sinistre et demande de couverture?
DL : Ce que je ne sais pas c?est si la demande a été faite. Mais le fait que la personne coupable de fraude ne se soit pas enrichie explique que l?assurance n?ait pas joué.
DK : Pourquoi Michel Tudel n?a pas témoigné ?
DL : Je ne sais pas.
DK : Avant de déduire, n?aurait-il pas été en pure orthodoxie fiscale d?attendre de savoir si la hiérarchie est impliquée ou non ? A la période où la décision a été prise par Bercy, c?est curieux de décider avant de savoir si la hiérarchie est impliquée? DL : Je ne connais pas le timing dans lequel ça a été fait.

15h40. "L?affaire Kerviel, c?est quelque part entre Tchernobyl et le 11 septembre"

La Cour entend comme témoin Philippe Baboulin, ancien N+3 de Jérôme Kerviel et responsable mondial Equity Finance, dont faisait partie Delta One. Cheveux grisonnants, costume gris, cravate bleue, Philippe Baboulin se tient bien droit, mains dans le dos et se présente, la voix grave.
Jérôme Kerviel continue quant à lui à passer en revue des documents.
Philippe Baboulin décrit son activité de l?époque : Le principal enjeu était de développer cette activité en Europe et à l?étranger.
Mireille Filippini, la présidente de la Cour, lui demande : Que pouvez-vous dire de vos relations avec J. Kerviel ?
PB : Pas très régulières, comme pour les autres membres de son équipes. Mon sentiment était celui de quelqu?un de sérieux et professionnel, mais de manière plus personnelle, je le trouvais un peu réservé.
MF : Qu?est-ce que ça veut dire le message « OK bien joué » que vous avez envoyé à J. Kerviel après les justificatifs qu?il avait donnés à l?équipe passerelle ?
PB : Je l?ai remercié d?avoir fait le nécessaire pour fournir ces documents.
MF : Est-ce que le résultat de 55 millions d?euros de J. Kerviel vous a surpris ?
PB : Pendant l?année 2007, tout notre business a fortement augmenté et si je me souviens bien, M. Rouyère [N+2] a décidé d?augmenter légèrement le mandat de J. Kerviel pour l?autoriser à prendre des positions sur les warrants de la concurrence. Et je pense qu?il savait très très bien que ce résultat n?attirerait pas l?attention outre mesure.
MF : Apparemment, J. Kerviel « spielait » en intraday?
PB : Je ne le savais pas.
MF : Est-ce que vous étiez au courant de ses positions fictives ?
PB : Je n?étais absolument pas au courant. Si J. Kerviel le dit, c?est un mensonge éhonté. A aucun moment M. Cordelle [N+1] et M. Rouyère [N+2] ne m?en ont parlé. Si j?avais été mis au courant de quelque manipulation ou dissimulation que ce soit, j?aurais fait exactement ce que j?ai fait le 18 janvier 2008, à savoir voir ma hiérarchie et arrêter immédiatement J. Kerviel.
Me Richard Valeanu, avocat représentant les actionnaires salariés, l?interroge : Vous avez déclaré en première instance : « Je ne suis pas l?activité des traders par manque de temps ». Etiez-vous suffisamment nombreux pour être assez vigilants ?
PB : Nous étions en période de forte croissance.
Me Valeanu : Aviez-vous des difficultés à embaucher ?
PB : On a eu des difficultés à embaucher pour trouver les bons profils.
Mireille Filippini, la présidente, s?interpose : Pourquoi ?
PB : Je pense qu?un avait à peu près le nombre de traders qu?il fallait au front-office. La période la plus critique a été celle de la démission d?Alain Declerck, le prédécesseur d?Eric Cordelle [N+1 de Jérôme Kerviel].
L?avocat général se lève : Parmi les interlocuteurs présents le 18 janvier, avez-vous eu l?impression qu?une quelconque personne avait connaissance des opérations ?
PB : Je suis certain que personne n?en avait connaissance.
Avocat général : Pouviez-vous imaginer que les positions de J. Kerviel étaient couvertes par un desk quelconque ?
PB : C?est de la science-fiction. C?est un mensonge, c?est n?importe quoi.
La président lui demande : Quand êtes-vous parti de la banque ?
PB : J?ai été licencié le 31 décembre 2010, sur un désaccord sans lien avec l?affaire Kerviel.
Me François Martineau, avocat de Société Générale, l?interroge : Quel a été votre ressenti suite à l?annonce des 50 milliards d?euros de positions ?
Philippe Baboulin : C?est immonde.
FM : Vous parliez de Tchernobyl à l?époque ?
PB : Oui, c?est quelque part entre Tchernobyl et le 11 septembre.
Me David Koubbi prend la main : Vous avez instruit M. Rouyère pour piloter le sujet des écarts passerelle. Or il a déclaré lundi qu?il n?avait regardé que la première page du mail. Il a désobéi à une de vos instructions ?
Philippe Baboulin : Pour moi il pilotait.
DK : Est-ce qu?on peut changer en vol le mandat d?un trader ?
PB : Oui, par un process de validation.
DK : C?est quoi le process de validation ?
PB : Je pense que mes N-1 me faisaient une proposition et que je la soumettais à ma hiérarchie.
DK : Vous n?avez suspecté aucune complicité le week-end des 19-20 janvier 2008 ?
PB : Je suis convaincu que personne n?a été au courant.
DK : Pourquoi alors M. Cordelle [N+1] a-t-il été écarté ? Vous ne l?avez jamais suspecté ?
PB : Je n?ai jamais suspecté M. Cordelle de quoi que ce soit. C?est quelqu?un d?honnête. Ce dont je me souviens, c?est qu?on se psoait des questions sur d?éventuelles complicités.
DK : Les conversations enregistrées lors des entretiens ce week-end là l?étaient-elles à des fins de preuves ?
PB : Il était indispensable que les personnes chargées de l?investigation puissent accélérer leurs recherches. Pour moi ça n?était pas à des fins de preuves.
DK : C?était quoi le dispositif ?
PB : C?était probablement une pieuvre [système de conférence téléphonique à plusieurs interlocuteurs situés dans des endroits différents, ndlr].
DK : Que disait le marché avant le 25 janvier, avant que la communication de la banque ne se mette en route ? Est-ce que le marché liait l?affaire à la perte des subprimes ?
PB : Peut-être.
DK : Vous en avez le souvenir ?
PB : Oui certainement.
DK : Ca n?est donc pas une idée nouvelle.
PB : Mais c?est délirant de dire que l?on a utilisé J. Kerviel pour planquer les pertes des subprimes.
DK : Comment ça se fait que tout le monde a été licencié ?
PB : Après une catastrophe pareille c?est normal que toute la ligne hiérarchique soit impactée.
DK : Pourtant sans avoir démérité? Faisiez-vous partie des initiés du débouclage ?
PB : Oui.
DK : Que diriez-vous si 17 milliards d?euros étaient visibles par des non initiés ?
PB : J?ai du mal à répondre sur des sujets que je ne connais pas.
La Cour libère le témoin

14h15. "Avez-vous eu l'impression d'être manipulée ?"

La Cour entend maintenant comme témoin Marine Auclair, aujourd'hui en préavis de départ, dans le cadre du plan de départs volontaires mis en place par la Société Générale dans sa banque de financement et d'investissement. Bras croisés, elle explique d'une voix timide qu'elle était responsable de l'équipe « passerelle » à l'époque des faits. Une équipe chargée de détecter et de signaler les écarts qui peuvent ressortir du rapprochement entre les résultats comptables et les résultats du front-office. Marine Auclair précise : Nos travaux consistaient essentiellement à traiter des écarts. On était sur une activité en fort développement, et on était régulièrement en écart de 2 milliards d'euros entre el résultat commercial et le résultat comptable.

Mireille Filippini, présidente de la Cour, l'interroge : Est-ce que vous aviez des écarts qui restaient en suspens ?
MA : Oui, on ne pouvait pas résoudre tous les écarts en jours ouvrés.
MF : Vous aviez constatés des écarts assez importants en mars et avril 2007. Expliquez-nous.
MA : Normalement, on est assez autonomes sur la résolution des écarts. Là on ne comprenait ce que ces opérations venaient faire. Dans l'urgence de traiter ces écarts, on a contacté J. Kerviel pour lui demander des précisions. Il nous a donné ces explications en disant que ces opérations servaient à justifier la valorisation économique de warrants. J'ai alerté ma hiérarchie et la sienne. Ces explications nous ont semblé cohérentes. Donc nous avons passé les corrections comptables.
MF : Avez-vous été vérifié les opérations dans Eliot [système d'information qui répertorie toutes les opérations passées par le front-office, ndlr] ?
MA : C'est une personne de mon équipe qui l'a fait.
MF : Un écart de 94 millions d'euros, est-ce que ça vous a attiré l'?il ?
MA : Non, compte tenu des écarts qu'on peut traiter par ailleurs.
MF : Est-ce que vous saviez ce qui rentrait dans les attributions de J. Kerviel ?
MA : Pas dans le détail. Dans notre travail, on traite les écarts de résultats, pas ce que les uns et les autres ont le droit de faire.
MF : Est-ce que les supérieurs de J. Kerviel vous ont répondu ?
MA : C'est Philippe Baboulin [N+3] qui m'a assuré qu'il ferait le nécessaire pour qu'on ait les justificatifs. C'est lui qui a été voir J. Kerviel pour lui demander les justificatifs.
MF : Est-ce que M. Kerviel était coopératif avec vous ?
MA : Oui, très coopératif. A l'époque on travaillait dans un climat de confiance et on pensait qu'on allait tous dans la même direction. Pour nous, ces explications tenaient la route. On n'avait pas de raison de douter.
Pendant ce temps-là, Jérôme Kerviel continue, comme ce matin, à lire des documents, à prendre des notes, à y ajouter des « post-it », relit des documents sur un ordinateur portable... L'avocat général demande au témoin : Avez-vous eu l'impression d'être manipulée ?
Marine Auclair : Non, pas à cette époque. Pour moi, on travaillait tous dans un climat de confiance.
Me François Martineau, avocat de Société Générale la questionne à son tour : J. Kerviel vous aurait dit « je vais sauter si on ne résout pas l'écart passerelle ».
MA : Je confirme. J'ai trouvé cette remarque un peu surdimensionnée par rapport à la situation. On était dans des urgences d'arrêtés de compte. Je n'ai pas fait trop attention.
FM : Quel est votre ressenti de cette affaire aujourd'hui ?
MA : Beaucoup d'amertume. J'ai passé quatre ans à travailler sur les passerelles.
Me David Koubbi, avocat de Jérôme Kerviel, qui semble s'être calmé, s'avance pour l'interroger : Vous dites que vous étiez en confiance, mais vous avez dit en première instance que vous étiez agacée. Pourquoi ?
MA : Parce qu'on n'arrêtait pas de lui dire qu'il « bookait » mal ses opérations. Il disait qu'il s'était trompé ou n'hésitait pas à incriminer son assistant. En ça, oui, ça m'agaçait fortement. Ca lui était égal d'alourdir notre travail par des négligences de booking.
DK : Qui était au courant de votre point de vue des opérations dites fictives ?
MA : Ma hiérarchie, le service des risques, la hiérarchie de JK et la direction financière.
La présidente lui demande alors : Savaient-ils quelle était la raison de ces opérations fictives ?
MA : Oui, bien sûr, on a même fait une réunion avec J. Kerviel, les équipes passerelle et les risques.

12h15. "Si ça continue comme ça, je fais appel au bâtonnier !"

Me Koubbi, avocat de Jérôme Kerviel, souhaite faire écouter une minute de l'enregistrement d'une conversation.
Me Koubbi demande à Christophe Mianné [N+6], entendu comme témoin : Vous êtes sous serment, vous dites que la Société Générale passe des opérations fictives pour que personne sauf les initiés ne voient ces expositions aux risques. Or des non initiés en discutent entre eux des 17 milliards d'exposition. Pourquoi ? Et attention à ce que vous dites.
La présidente de la Cour l'interrompt : On n'intimide pas un témoin !
Me Koubbi s'échauffe de nouveau, s'énerve contre la présidente de la Cour.
Sur les 17 milliards, Christophe Mianné arrive finalement à répondre qu'il ne sait pas de quoi on parle.
Me David Koubbi : C'est bien M. Kahn qui a débouclé ?
CM : Oui.
Me Koubbi fait alors écouter un autre enregistrement, où une autre licence que celle de M. Kahn est citée. Claire Dumas, représentante de la banque, s'avance pour répondre aux questions de Me Koubbi à ce sujet.
Mais celui-ci entame à nouveau un débat, de nouveau tendu, avec la présidente.
De son côté, Me Jean Veil, avocat de Société Générale, se gausse de ces chamailleries.
Me Koubbi ne décolère pas.
Mireille Filippini, la présidente, menace alors Me Koubbi : Si ça continue comme ça, je fais appel au bâtonnier !
Enervée, la présidente suspend l'audience.
 

10h55. "Ca faisait longtemps que vous ne m'aviez pas engueulé Mme la présidente !"

Me David Koubbi, avocat de Jérôme Kerviel, file longuement la métaphore de l'automobiliste et du poids lourd chauffard qui fait Paris-Nice en une heure sans que les gendarmes le voient. Puis fait une comparaison hasardeuse et à peine voilée avec la corpulence de Claire Dumas, représentante de la banque. Laquelle réplique : Il y a deux choses que je ne dis pas : combien je gagne et combien je pèse.
Me David Koubbi interroge le témoin : Etes-vous gêné que la défense, en dehors de toute instruction, apprenne qu'il y a eu des fraudes qui impliquaient le même déboucleur, les mêmes intervenants et les mêmes alertes sur les écarts de méthode ? C'est contrariant, non, de découvrir ça en appel ?
Christophe Mianné [N+6] : Je ne vois pas le rapport entre quelqu'un qui fait une opération fictive, qui ne met pas en péril la banque, et quelqu'un qui en fait des dizaines.
DK : Vous parlez de la taille, je parle du principe.
Me Koubbi s'agace et martèle le fait que Société générale a caché à la justice le fait qu'il y ait eu une autre fraude, traitée par les mêmes personnes. Il poursuit quelques minutes plus tard : Vous avez dit que si vous aviez vu les commissions versées à Fimat [ex-Newedge, filaile de courtage de la banque avec qui J. Kerviel traitait], ça aurait été une alerte.
CM : Oui ça aurait été une alerte, parmi une quarantaine d'autres.
DK : Pourquoi la Société Générale paie-t-elle tous les mois les commissions ? M. Cordelle et M. Rouyère validaient le CPM [comptes de pilotage mensuel, ndlr] des commissions... La présidente de la Cour et Me Koubbi s'échangent une volée de bois vert, la présidente appréciant peu de se voir dire qu'elle ne connaît pas certains points et termes du dossier.
Me Koubbi conclut l'échange par : Ca faisait longtemps que vous ne m'aviez pas engueulé Mme la présidente !
Après que Me Koubbi s'est fait apostrophé par Me Reinhart, la présidente relève, cynique : Au cas où la Cour n'aurait pas compris, Me Koubbi nous décode ce que disent les témoins.
Me Koubbi continue : Y a-t-il une corrélation entre rémunération et efficacité ?
CM : La rémunération est le résultat d'une décision de la direction et différentes qualités interviennent.
DK : La compétence est-elle en lien avec la rémunération ?
CM : Oui parmi d'autres qualités.
DK : J'ai lu que vous faisiez partie des banquiers les mieux payés d'Europe. J'imagine que vous êtes très compétent. Sous votre compétence, M. Cordelle et M. Rouyère nous disent qu'ils ne lisent pas tous les mails, ne voient pas les alertes, etc... Apparemment, il y a beaucoup d'incompétents à la Société Générale. Comment jugez-vous votre équipe descendante et comment vous vous situez vous-même ?
CM : Je pense qu'ils ont tous montré ce qu'ils savaient faire sur une longue période. Ils ont été sanctionnés. Cette année-là, ils n'ont pas été bons.
Un peu plus tard, la présidente, énervée, élève de nouveau la voix : Vous parlez de quelque chose dont la Cour n'a pas eu connaissance, c'est aberrant !
Me Koubbi surenchérit : Tout comme c'est aberrant que quelqu'un soit condamné à 5 milliards d'euros sans la queue d'une expertise !
Christophe Mianné essaie timidement de reprendre sa réponse, mais Me Koubbi fulmine : Vous pouvez m'écouter maître ?
Mais Me Koubbi insiste maintenant pour avoir les pièces que la Société Générale avait promises.
La présidente coupe court aux apostrophes : La Cour suspend, ça va nous calmer !
Me Koubbi sort en criant à l'adresse de la partie civile : Filez-nous vos pièces !

10h00. "Les salariés de la banque de détail étaient-ils beaucoup plus contrôlés que les traders ?"

Me Jean Reinhart, avocat de Société Générale, continue à questionner le témoin, Christophe Mianné [ancien N+6] : Est-ce que vous imaginez que J. Kerviel n'ait pas pu connaître la limite des 125 millions ?
Christophe Mianné : Pour moi, tout trader doit connaître ses limites. Je pense que c'est absolument impossible qu'il n'ait pas connu cette limite.
JR : Est-ce que c'est supportable de garder des positions aussi importantes?
CM : Pour moi c'est un ovni de ce point de vue-là. Je ne pense pas qu'on peut tenir aussi longtemps, sauf si on s'en fout.
Mireille Filippini, la présidente de la Cour lui demande : Comment n'avez-vous pas pu voir les alertes ?
CM : On n'a pas été bons mais on a été honnêtes.
JR : Est-ce que les équipes étaient suffisantes ? Qu'est-ce que vous avez modifié depuis ?
CM : Les budgets étaient augmentés tous les ans. L'erreur est d'avoir fait confiance. Depuis, nous avons fait signé des mandats extrêmement précis. Nous avons fait des séances de formation sur les fraudes, une tour de contrôle a maintenant une vision transversale de tous les supports, les commissions sont calculées plus rapidement, les contreparties internes sont plus surveillées. Il y a eu une fraude comparable chez UBS. Ca prouve que dans une très grande banque, ça peut arriver. On a dépensé environ 100 millions d'euros et je crois que les contrôles sont nettement renforcés.
JR : Vous aviez présenté votre démission ?
CM : Nous présentons une lettre de démission le lundi avec nos excuses, ce que J. Kerviel n'a jamais fait. Puis la banque m'a demandé si je pouvais reconstruire, et j'ai accepté. Je voulais laver l'honneur de ce département.
JR : Une question nous taraude, c'est le mobile de J. Kerviel. Pourquoi a-t-il agi ainsi ?
CM : Le mobile est clairement le fait de vouloir un bonus. Mais après, pourquoi aller sur des positions gigantesques ? Je pense que c'est quand on se croit plus fort que le marché.
Mireille Filippini, la présidente de la Cour, demande : J. Kerviel avait fait 11 millions de résultats en 2006, 55 millions en 2007. Ca ne vous a pas inquiété ?
Christophe Mianné : Pour fixer les objectifs, on prend le réalisé, on enlève des situations ou des deals exceptionnels, et on estime la croissance du marché. Donc le fait qu'il réalise un résultat supérieur aux objectifs fixés ne m'étonne pas à l'époque. A posteriori, c'est un peu beaucoup.
MF : Qui a choisi M. Cordelle [N+1] pour le mettre à cette place ?
CM : Je le connaissais assez bien. On a cherché longtemps quand M. Declerck [ancien N+1] est parti. Cela s'avère a posteriori une erreur qu'il n'ait pas d'expérience dans le trading. Mais il avait un certain nombre d'autres qualités. Après, il n'a pas fait assez attention au résultat et à la trésorerie.
Me Daniel Richard, avocat représentant les salariés actionnaires de la banque, s'avance à son tour : Vous avez dit tout à l'heure « On n'a pas été bons mais on a été honnêtes ». Qu'est-ce qui se serait passé si vous aviez été malhonnêtes ?
CM : Je ne suis pas là pour faire de la science-fiction. Nous avons été sur une longue période considérés comme les meilleurs. Mais comment voulez-vous que je dise qu'on a été bons avec une perte de 5 milliards ? J'ai la conviction que l'ensemble des équipes ont fait tout ce qu'elles pouvaient. Je ne sais pas ce que ça veut dire d'être malhonnêtes.
DR : Diriez- vous que les salariés de la banque de détail ont été les premières victimes ?
CM : La réputation de la banque a été gravement entachée et le sera pour des années. Les gens en agence ont reçu des crachats... Tout le monde était actionnaire et tout le monde a perdu de l'argent. Oui il y a eu un préjudice. Il y a eu une période très dure qui a duré environ 6 mois. Mais je ne pense pas qu'on puisse non plus considérer que c'est notre problème numéro un aujourd'hui.
DR : Les salariés de la banque de détail étaient-ils beaucoup plus contrôlés que les traders ?
CM : Il y a des sanctions aussi bien dans la banque de détail que dans la banque d'investissement. Je ne crois pas qu'il y ait des différences majeures même si j'avoue qu'on a un peu trop fait confiance.
Me Frédéric Karel Canoy, avocat représentant les actionnaires, intervient : D'après vous, il y a combien d'actionnaires ?
Christophe Mianné : Je ne sais pas, 500 000 ?
Me Canoy : D'après vous, peut-on penser qu'il y a eu un préjudice moral aussi pour les actionnaires ?
CM : Il y a une chose tangible, qui est le préjudice financier. Mais pour les actionnaires, ils savent que, quand ils investissent, qu'il y a un risque.
Me Canoy : Donc les actionnaires, c'est de la piétaille, on s'en fout complètement ?

9h15. "On se demande si on va avoir les reins assez solides pour ne pas mettre la clé sous la porte"
Me David Koubbi avait demandé à ce qu'un nouveau témoin soit entendu, au sujet des enregistrements qu'il affirme avoir été coupés.
La Cour a décidé que ce témoin lui ferait une attestation par écrit.
Elle entend comme premier témoin Christophe Mianné, aujourd'hui directeur adjoint de la banque d'investissement de Société Générale. A l'époque des faits, il était le N+6 de Jérôme Kerviel et avait 1400 personnes sous ses ordres.
Cheveux poivre et sel, la voix calme et posée, à l'aise voire presque nonchalant, Christophe Mianné assure : Je n'avais jamais rencontré M. Kerviel avant le fameux 18 janvier.
Mireille Filippini, présidente de la Cour commence à l'interroger sur l'importance des positions directionnelles de l'ancien trader.
Jérôme Kerviel, lui, lit des documents, les surligne.
CM : On ne peut pas avoir de positions directionnelles importantes car on ne peut pas avoir la moindre idée de ce qui va se passer sur les marchés. Tous les trois mois, je faisais un « speech » pour souligner l'importance de la régularité des résultats. Je voudrais expliquer que c'est quelque chose qui n'est pas concevable. Je vais vous raconter une petite anecdote. Quand j'avais 2 ans d'expérience, j'ai fait un meast pricing, je me suis trompé de prix, ça a coûté 2 millions de francs à la banque et j'ai cru que j'allais me faire virer. Donc je ne sais pas ce que c'est des positions de 2 milliards.
MF : Pensez-vous que M. Cordelle et Rouyère étaient au courant et vous cachaient ces agissements ?
CM : Je les ai vu agir sous stress et je n'ai aucun doute sur eux. Sur cette fable du complot, j'aurais forcément été au courant. J'aimerais qu'on me dise un nom, qui est ce desk fantôme. Il n'y a pas la moindre trace. C'est du grand n'importe quoi. Je ne comprends pas cette théorie. Je pense que les choses sont malheureusement beaucoup plus simples.
MF : Pouvez-vous nous parler des limites ?
CM : Une limite, ça se respecte, sauf s'il y avait une bonne raison pour augmenter une limite de manière exceptionnelle. Mais il y a une différence entre rouler à 135 km/h ou à 50 000 km/h.
MF : Avez-vous été avisé des alertes sur les écarts ?
CM : Non. Ce que nous avions, c'était ce qu'on appelle la « passerelle » [équipe chargée de détecter et de signaler les écarts qui peuvent ressortir du rapprochement entre les résultats comptables et les résultats du front-office] et je savais qu'il y avait des écarts résiduels à traiter.
MF : A quel moment avez-vous entendu parler de Jérôme Kerviel ?
CM : Le vendredi vers 11h30, Luc François [N+5] vient me voir en me disant qu'il y a des deals « bizarres » et qu'une réunion va être organisée. Je parle à Claire Dumas vers 21h30, qui décide de mettre en place une « task force ». Nous avons un « conf call » vers 14h le samedi. Puis nous réfléchissons à comment trouver une aiguille dans une botte de foin, dans Eliot [système d'information qui répertorie toutes les opérations passées par le front-office]. Nous décidons d'écouter ce que dit M. Kerviel. Et ce qui m'a frappé c'est que J. Kerviel sait qu'il va être découvert et qu'il garde sa position. Il sait qu'on va savoir et il refuse obstinément de nous aider.
MF : Le samedi, vous saviez qu'il y avait un gain d'1,4 milliard d'euros ?
CM : Oui, mais on ne croit pas au père Noël, donc on se disait qu'il y avait forcément autre chose. J. Kerviel était dans le déni complet, c'est ce qui m'a frappé le plus.
MF : Quelle est votre réaction ?
CM : Une énorme peur que la banque soit en faillite. On sait que si quelqu'un à l'information, la banque est morte, qu'on doit déboucler, qu'on n'a pas le choix, qu'il faut le faire très discrètement. On sait que ça va être terrible si le marché part à la baisse, et évidemment il part à la baisse. Et on se demande si on va avoir les reins assez solides pour ne pas mettre la clé sous la porte.
Me Reinhart, avocat de Société Générale, lui demande : C'est une affaire qui vous a traumatisé ?
La gorge serrée par l'émotion, Christophe Mianné répond : C'est 20 ans de travail.

Et retrouvez notre dossier spécial sur l'affaire Kerviel, les clés pour comprendre le procès (noms, définitions), les analyses de Valérie Segond et de François Lenglet après le verdict de 2010, ce que sont devenus les protagonistes de l'affaire, les plaintes déposées par Me David Koubbi (avocat de Jérôme Kerviel) et par Me Jean Veil (avocat de Société Générale), le témoignage de l'ancienne conseillère en communication de Jérôme Kerviel, et le contexte politique dans lequel s'inscrit le procès.

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Commentaires 4
à écrit le 29/06/2012 à 21:43
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Quand quelqu'un dira t il dans cette affaire que quand vous balancez 50 MILLIARDS d'UROS EN TITRES en 3 JOURS sur le marché indiciel (DAX/CAC..) ça va forcément faire du - 10% au regard de la capitalisation européenne x Vix de ref. Ce procès est ...

à écrit le 20/06/2012 à 13:56
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Non mais attend il faut qu'elle se calme la Filipin!!! Elle n'est pas dans sa bétaillère... Me Koubi dans son Ministère sait parfaitement bien son rôle! Les menaces proférées de la Cour sont complètement mal fondées

le 20/06/2012 à 15:23
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je suis pas spécialiste en droit mais Koubi il pousse le bouchon tres loin sa facon de parler aux temoins et à la juge sont trés limites Il a demandé d ecouter des bandes de conversations de 8h le tribunal loue le matos pour qu il puisse le faire mai...

à écrit le 20/06/2012 à 13:43
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Grand merci Laura Fort pour la retranscription du proces à La tribune. C'est tres interressant de "voir" le déroulement du proces de J.Kerviel. J'ai deux petites choses à dire sur ce proces. -la première, je trouve que le tribunal ne fait pas assez ...

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