"Quel dommage que cette audience se termine sans que vous ayez la réponse"

La douzième et dernière journée du procès en appel de Jérôme Kerviel a commencé ce jeudi 28 juin. La présidente de la Cour, qui n'a jusque là pas ménagé l'ancien trader, condamné le 5 octobre 2010 à cinq ans de prison, dont trois fermes, ainsi qu'à 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts, entend aujourd'hui la plaidoirie de la défense.
Me Koubbi arrive au tribunal entouré de Jérôme Kerviel et Tristane Banon - Copyright Reuters

Jérome Kerviel est sous le coup de trois chefs d'accusation : abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé, faux et usage de faux. Son procès en appel a commencé lundi 4 juin. Suivez en direct la douzième journée d'audience couverte par notre journaliste Laura Fort, avec les clés pour comprendre le procès. Retrouvez le compte-rendu de la première journée d'audience, le compte-rendu de la deuxième journée d'audience, le compte-rendu de la troisième journée d'audience, le compte-rendu de la quatrième journée d'audience, le compte-rendu de la cinquième journée d'audience, le compte-rendu de la sixième journée d'audience, le compte-rendu de la septième journée d'audience, le compte-rendu de la huitième journée d'audience, le compte-rendu de la neuvième journée d'audience, le compte-rendu de la dixième journée d'audience et le compte-rendu de la onzième journée d'audience.

Jeudi 28 juin

 

17h30. "Quel dommage que cette audience se termine sans que vous ayez la réponse"

 

L?audience reprend, interrompue pour cause d?un malaise de Jérôme Kerviel, probablement dû à la chaleur étouffante de la salle d?audience. A la reprise, l?ancien trader s?autorise enfin à tomber la veste. Me David Koubbi reprend : « Je souhaiterais attirer l?attention de la Cour sur une sorte d?incongruité de ce dossier, où personne n?a vu passer J. Kerviel dans les écrans de ses radars. Comment expliquerions-nous alors les échanges retranscrits tout à l?heure entre un cadre de BNP Paribas et un vendeur de Société Générale. A l?extérieur on sait, à l?intérieur on ne sait pas ? » Il lit un extrait de cet échange : « Ils ont laissé filer, y?a un truc ».

« Nous ne résoudrons pas cette équation impossible, mais ça nous renseigne sur un point au moins : Qui ment et qui dit la vérité ? Qui a intérêt à mentir ? J. Kerviel n?a aucun intérêt à mentir. Lui a un intérêt à combattre et à donner mandat à ses avocats pour faire la lumière sur cette affaire. Il rappelle une pièce du dossier Sentier 2, sur le « mediatraining » des employés de Société Générale : « lorsque vous êtes en face d?un magistrat, restituez les faits négatifs en les noyant dans les faits positifs et en utilisant la complexité technique », relit-il. Et interpelle la Cour : « On vous enfume, on vous embrouille, parce que ça sert à ça ». Il fait alors l?analogie avec l?affaire Banon : « Ce sont les mêmes dossiers. Vous êtes tous seuls et vous avez un réseau en face ». On comprend mieux la présence de Tristane Banon au premier rang du public, et qui sera même venue jusqu?aux bancs de la défense pendant la pause? Il poursuit : « Quelle offense à la justice que de vous cacher que le même système avait été mis en oeuvre en 1997. Ils ont oublié Mme la présidente. A aucun moment ils ne vous ont dit que cela avait déjà existé. Ca a existé, c?était vu, c?était suivi. Alors, mentir à ce point, pourquoi ? Peut-être que si le ministère public s?était intéressé au fait que les positions attribuées à J. Kerviel n?ont pas bougé du 18 au 21 janvier, peut-être qu?on aurait eu des réponses. Quel dommage que cette audience se termine sans que vous ayez la réponse. Alors il n?y a rien de nouveau ? Si, il y a un dégazage des subprimes en pleine marée noire. » Quelques minutes plus tard, Me Koubbi élève la voix : « Pourquoi des témoignages anonymes ? Parce que les gens ont peur de perdre leur emploi. Et les personnes licenciées avec des bonus, ce n?est pas le prix du silence ? Ce que les banquiers nous servent pour désengager leur responsabilité, je n?y crois pas. La Société générale est partout. Vous ne trouverez pas un prof d?université privée pour venir dire ce qu?il pense. Parce que si tu parles, tu ne travailles plus, si tu parles, je ne finance plus ta chaire. Le fil rouge à la générale, c?est pas le contrôle, c?est le business.

Un cercle de feu était dressé autour de J. Kerviel. Pourquoi était-il sous le coup du droit pénal et les autres du droit social ? Si on faisait du droit pénal pour tout le monde, alors ça remontait jusqu?à M. Bouton. » Il présent alors trois hypothèses sur le fait que l?assurance contre la fraude n?ait pas joué.
« Hypothèse 1 : La Société générale n?a pas fait sa déclaration de sinistres aux assurances. Hypothèse 2 : Elle l?a fait et l?assurance dit que ça n?est pas une fraude. Hypothèse 3 : La pire, elle l?a fait et l?assureur a couvert. » Il passe ensuite au sujet de la déduction fiscale de 1,7 milliard d?euros dont la banque a bénéficié. Puis passant du coq à l?âne, évoque les résultats de J. Kerviel (55 millions d?euros en 2007), beaucoup plus importants que les résultats moyens des autres traders (entre 3 et 5 millions d?euros).
Et revient au sujet de l?assurance : « On ne sait même pas si c?est couvert ou pas, si c?est une nouvelle escroquerie au jugement ou pas. Mais M. Kerviel l?avait compris. Il avait fait 35 demandes d?actes pendant l?instruction. 35 refus ».

Jérôme Kerviel fait de nouveau un aller-retour. Son avocat tourne en boucle, revient sur des arguments déjà évoqués, comme la fraude de 1997 ou le « mediatraining ». Il conclut : « Je pense à ceux qui nous écoute et qui se disent : il y a combien de schizophrènes dans cette affaire, combien de hamsters, combien de double maléfique. Tout est conduit pour que la Cour reçoive le maximum de crasse attachée à M. Kerviel. A aucun moment je n?ai souhaité offenser la Cour ou le ministère public, mais le mandat que j?ai reçu est de ne faire l?économie de rien pour que la justice ne s?égare pas.

Il cite une pièce versée au dossier : un mail du numéro 2 de Renault qui charge Me Reinhart, avocat de Société Générale. Me Koubbi relève : « Voilà donc que certains avocats ont le pouvoir que d?autres n?ont pas dans des dossiers qui sont toujours les mêmes dossiers, des dossiers de réseaux. » La présidente le coupe : « Nous n?avons reçu aucun ordre de qui que ce soit je vous rassure » Me Koubbi termine sur la personnalité de J. Kerviel, son éducation et ses proches. « Cet homme-là, que vous jugez, est devenu, ce qui me gêne, un ami, un ami cher. Le temps qui nous sépare de votre délibéré le laisse en prison. C?est la prison où tu ne fais pas d?enfants, où tu n?as pas le droit de faire de projets, de te promener avec ta campagne. Je suis honoré que nous ayons pu annoncer cette défense. Je vous demande pour terminer, Mme le président, Madame Messieurs de la Cour, de faire en équité, de faire en droit, de faire en bon sens, de faire en vérité, la mission noble qui est la vôtre et de prononcer la relaxe pure et simple. Et si vous deviez le condamner, je souhaiterais que la Cour envisage de le condamner à une chose à laquelle Jérôme pourrait survivre. » A 18h50, Me Koubbi en termine. Le public applaudit et la présidente tonne : « On n?applaudit pas dans une cour, on est pas au spectacle ici ! » J. Kerviel se lève et remercie la Cour de son écoute, dit qu?il n?est pas d?un naturel bavard. « A aucun moment je n?ai menti. Quand ma mère m?a dit « je sais que tu n?as pas pu faire ça », je me suis senti relaxé. Je pense également aux salariés du réseau Société Générale et je leur demande pardon. Je remercie mon équipe de défense et le cabinet pour son investissement. » La Cour remet son arrêt en délibéré. Elle le rendra le mercredi 24 octobre.

15h50. "Société Générale me fait penser à un escargot qui s?etonne d?être arrivé à la fin de sa trace"

Me David Koubbi plaide à son tour. Il commence d?une voix calme, posée, voire grave : « Je n?imaginais pas en mars, lorsque J. Kerviel nous a constitués, que j?arriverai devant vous dans l?état dans lequel je me trouve. Au plan moléculaire, la seule question qui nous intéresse est : la banque savait-elle ? Si la banque ne savait pas, les faux sont bien des faux, l?abus de confiance est bien un abus de confiance, l?introduction frauduleuse une introduction frauduleuse. Dans l?hypothèse où elle savait, tout cela n?est qu?une mascarade. Il vous a été dit que la défense ne respecte rien par principe. Pour une raison simple : rien n?a été respecté dans ce dossier. Il y a dans cette affaire un certain nombre d?anomalies qui hurlent dans nos oreilles plus qu?elles ne chuchotent.
Cette histoire est vraie parce que je l?ai inventée : c?est la ligne d?attaque de la Société Générale. Et à chaque fois qu?un intérêt politique, qu?un intérêt industriel est effleuré, les choses se mettent à décaler et plus personne n?est dans son rôle. » Me Koubbi ménage ses effets et fait des pauses marquées entre ses arguments.

« La partie civile, Société Générale, a menti dès l?origine de l?instruction. On vous a dit qu?Eliot recensait toutes les opérations, des petits, des grands, des gros, des chauves. Il y aurait tout dans Eliot. Non Mme la présidente, Eliot c?est comme Google. Quel serait l?intérêt de garder tous les deals de tous les desks dans le monde, si l?on ne peut jamais aller y chercher ce que l?on veut ? » Il égratigne alors les témoins de la partie civile : « Que la vieille dame Société Générale soit aveugle, on comprend, mais qu?elle embauche des sourds et qu?elle choisisse un muet pour faire passer sa thèse? » Un peu plus tard : « Les questions que la défense demande à la Cour de se poser est : qui a permis dans cette affaire qu?une réforme du droit positif ait lieu en vol ? Qui a permis que J. Kerviel ait pu être condamné à 4,9 milliards d?euros de dommages et intérêts correspondant à un préjudice totalement déclaratoire ? » Me Koubbi commence à s?échauffer en parlant du fait que lui et ses collaborateurs aient été dénigrés, accusés de ne pas faire du droit.

Puis il développe à nouveau la thèse de la couverture de J. Kerviel pour la banque pour camoufler ses pertes liées aux subprimes : « Il valait mieux pour la banque être idiots que complices. Lors de l?éclatement de l?affaire, tout le marché et tous les titres de presse disent que ça ne marche pas et beaucoup parlent des subprimes. Nous sommes dans la situation où la défense doit se comporter comme un magistrat instructeur. Date à date, la banque n?a pas été inquiétée pendant une semaine. C?est comme une scène de crime qui n?aurait pas été vue pendant une semaine. Pourquoi a-t-il été nécessaire de re-caractériser a posteriori J. Kerviel ? Parce que la fable servie aux journalistes, aux marchés a été retouchée. On doit éviter qu?il y ait une affaire Société Générale. Qui de la Société Générale ou de la défense indique à M. le gouverneur de la banque de France que M. Kerviel est en fuite ? Qui ment et pourquoi ?

Alors oui nous avons dû faire des projections. Mais nous ne sommes pas le juge d?instruction, Mme la présidente. » Me Koubbi parle maintenant d?une voix forte « Faites un peu l?archéologie des pièces du dossier. Pourquoi J. Kerviel a-t-il été traité de terroriste ? Un Coran a été découvert chez lui, et l?on parle alors de la branche française d?Al-Qaida.
Ce que l?on ne doit jamais faire lorsqu?on raconte des fadaises, c?est se mettre à y croire. J?ai bien entendu M. l?avocat général demander : pourquoi faire des opérations fictives si la banque savait ? Mais vous connaissez les environnements de non-dits, M. l?avocat général. J?ai lu que ceux qui sont là-haut [ils montrent du doigt le poulailler, où sont installés les journalistes] disent qu?il n?y a pas de preuve à cette thèse, mais ont-ils déjà été traders ? Savaient-ils ce qui se passait ?

SF504 était la licence de M. Cordelle, mais il n?a pas de licence de trading et il n?a pas d?automate de trading. Rien ne tient dans ce dossier parce que tout a été monté et la Société Générale me fait penser à un escargot qui s?étonne d?être arrivée à la fin de sa trace. »...

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Et retrouvez notre dossier spécial sur l'affaire Kerviel, les clés pour comprendre le procès (noms, définitions), les analyses de Valérie Segond et de François Lenglet après le verdict de 2010, ce que sont devenus les protagonistes de l'affaire, les plaintes déposées par Me David Koubbi (avocat de Jérôme Kerviel) et par Me Jean Veil (avocat de Société Générale), le témoignage de l'ancienne conseillère en communication de Jérôme Kerviel, et le contexte politique dans lequel s'inscrit le procès.

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Commentaires 8
à écrit le 29/06/2012 à 17:29
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Salle des marchés = salle de jeux, Bouton a envoyé son équipe autour de la table, Kerviel a misé et il a perdu, le véritable responsable et aussi le coupable est donc le commanditaire de ces jeux de hasard Monsieur le PDG Bouton.

à écrit le 29/06/2012 à 12:20
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lol c'est Tristane Banon sur la photo!! Et Dodo la Saumure il était souffrant?

à écrit le 29/06/2012 à 12:03
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Oubliez un peu sarko ! Veil est son avocat et alors....la vedette c'est koubbi !

à écrit le 29/06/2012 à 11:33
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Ce procès est bâti sur du vent. Un trader qui fait des profits énormes et qui se plante n'est pas un voleur ! Un constructeur automobile qui fait des voitures électriques invendables devra-t-il faire mettre en prison son patron alors qu'il a touché, ...

à écrit le 28/06/2012 à 22:01
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Ca fait douze jours que vous publiez le meme article dans lequel on apprend absolument rien de plus que dans l'article d'avant. L'absence de commentaires témoigne du fait que vos lecteurs ressentent de la lassitude.

le 28/06/2012 à 23:14
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L'honneur de la France et de sa justice se joue dans ce procès. Aucune preuve sérieuse et indiscutable ne permet d'accuser J. Kerviel et le jugement de première instance est une honte pour notre pays. Je suis choqué que les médias puissent entériner...

le 29/06/2012 à 9:36
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Parler de l'honneur des juges, de république bananière et encore et toujours des sempiternels lobbis... C'est votre commentaire qui est grotesque.

le 29/06/2012 à 10:36
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Et le dossier de la SG lui est solide ?!!! Est-ce qu'il reposent sur des éléments plus tangibles ? Qu'est-ce qu'il y a, à part des témoignages de salariés de l'entreprise managé par la terreur ? Le système avait besoin d'offrir au peuple la tête d'...

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