Fonds durables : la gueule de bois des investisseurs

Le rebond espéré de l’investissement durable n’aura pas lieu cette année. La thématique verte n’a pas résisté à la hausse des taux et son sort semble lié à celui des valeurs de croissance. Pire encore, le secteur phare des énergies renouvelables est même plombé par de sombres perspectives.
La montée des taux et la réglementation ont porté un rude coup au modèle économique du secteur de l'énergie renouvelable, notamment l'éolien.
La montée des taux et la réglementation ont porté un rude coup au modèle économique du secteur de l'énergie renouvelable, notamment l'éolien. (Crédits : BORJA SUAREZ)

Après l'euphorie, la gueule de bois. Les investisseurs sont en effet en plein doute sur l'investissement durable. Après des années fastes, la performance n'est clairement plus au rendez-vous. L'indice iShares Global Clean Energy ETF a chuté de 30 % depuis janvier et près de 60 % depuis son plus haut en janvier 2021.

En Europe, les performances du « top 20 » des fonds durables, comme Nordea Global Climate, font également grise mine en 2023, après avoir accusé de lourdes pertes en 2022, selon les statistiques de Morningstar. Enfin, selon les données compilées par Jefferies, au 30 septembre, seulement 23% des fonds européens ESG ont battu leur indice de référence, contre 38% des fonds européens non ESG.

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Les énergies renouvelables ont été de fait particulièrement touchées. « Le secteur a subi une tempête parfaite : deux années de hausse des taux d'intérêt, un alourdissement des taxes, des problèmes d'approvisionnement, une concurrence accrue des majors et une multiplication d'avertissements, en raison notamment de prix qui ne sont plus attractifs sur l'éolien aux Etats-Unis », résume Karen Georges, gérante actions chez Ecofi, lors d'un séminaire organisé lundi dernier par EOS Allocation. Ce qui se traduit par exemple par la chute en Bourse du leader mondial de l'éolien Orsted de 50% depuis le début de l'année suite à une prévision à la baisse de ses résultats (profit warning).

Prime verte envolée

Certes, les énergies renouvelables ne représentent pas tout l'univers de l'investissement durable, mais elles pèsent néanmoins lourd dans les portefeuilles. Cette correction a, en tout cas, déstabilisé de nombreux investisseurs et ouvre une période difficile pour les investissements thématiques dans le domaine de la durabilité. Certains même y voient une lente érosion des valorisations qui pourrait s'étaler sur plusieurs années.

« Dans le renouvelable, il y a une bulle qui est en train de se dégonfler. Mais, plus globalement, les gérants s'accordent à penser qu'il sera difficile de retrouver une performance tant que les taux d'intérêt n'auront pas baissé », avance Pierre Bermond, directeur chez EOS Allocation.

« Après une année 2022 très difficile, nous nous attendions cette année à une reprise à la faveur d'une baisse des taux d'intérêt... qui n'a pas eu lieu. Sans compter les tensions géopolitiques persistantes », confirme Matthieu Silva Santos, directeur de la clientèle privée chez Goodvest, une plateforme de distribution de fonds alignés sur les Accords de Paris. « Dans notre univers, la prime verte a disparu, avec une valorisation moyenne de 17 fois les résultats estimés, ce qui correspond au point bas de mars 2020. C'est bien tout l'univers de la transition qui a été corrigé », constate de son côté Adrien Dumas, directeur de la gestion chez Mandarine Gestion.

Une collecte divisée par treize

Pour autant, selon le dernier rapport Global Sustainable Fund Flows de Morningstar, les fonds durables résistent... du moins en Europe, qui concentre 85% des encours « verts » dans le monde. Les fonds durables européens ont ainsi collecté 15,3 milliards de dollars au troisième trimestre 2023, un montant cependant en recul de 40 % par rapport au trimestre précédent. Ces fonds contribuent d'ailleurs pour les deux tiers de la collecte de l'ensemble des fonds européens.

Le tableau est moins flatteur aux Etats-Unis où une vague « anti ESG », alimentée par le Parti Républicain, commence à produire ses effets : le pays connaît en effet son quatrième trimestre de décollecte sur les fonds durables. Au total, dans le monde, les fonds durables ont attiré sur le trimestre 13,7 milliards de dollars, un chiffre bien éloigné du pic à plus de 180 milliards de dollars atteint au premier trimestre 2021. L'encours total des fonds durables est estimé à 2.700 milliards de dollars.

Style croissance

Les fonds durables avaient bien performé avant et pendant la crise sanitaire. « C'est surtout le style croissance qui a bien performé entre 2010 et 2020. Lorsque vous excluez le secteur énergie, les services aux collectivités, l'automobile et parfois le secteur financier, par définition vous privilégiez des valeurs de croissance plutôt que le secteur dit « value » (défensives, plus stables ndlr). Or, nous avons vu le style croissance se retourner avec la hausse des taux. La sous performance de l'ESG s'explique davantage par son profil valeur de croissance que par une remise en cause plus fondamentale de l'approche ESG », plaide Mathieu Silva Santos.

Difficile en effet de faire une performance en 2023 sans être surexposé au secteur pétrolier ! Toutefois, certains fonds ESG ont réussi à tirer leur épingle du jeu grâce à leur surexposition sur certaines valeurs de technologie, comme Microsoft ou Nvidia.

Mieux diversifier

Les perspectives de l'investissement durable semblent donc liées à l'évolution des taux. Pour autant, les fondamentaux laissent espérer un rebond. « Nous sommes aujourd'hui revenus sur des niveaux de valorisations attractifs sur la thématique climat et environnement. De plus, des plans d'investissement massifs dans la transition écologique ont été votés aux Etats-Unis et le seront prochainement en Europe, ce qui devrait soutenir ces secteurs », estime Matthieu Silva Santos.

Bref, le potentiel de croissance est toujours là. « Il y a toujours un effet décalage. Le marché achète les annonces qui ont plutôt tendance à geler les projets dans un premier temps le temps de la mise en œuvre. Mais ce décalage ne remet pas en cause l'intérêt à long terme de ces projets », souligne Hervé Guez, directeur des gestions chez Mirova (Natixis).

Cette passe difficile, notamment avec des entreprises « vertes » constamment sous pression, devrait également inciter les investisseurs à mieux diversifier leur portefeuille. « C'est difficile aujourd'hui de tenir les positions. Mais l'investissement durable reste une thématique porteuse à long terme, j'en suis toujours convaincue, et l'investissement durable peut également se chercher ailleurs que dans les actions, comme les obligations vertes, les fonds sur les infrastructures, les terres agricoles ou bien la rénovation urbaine », insiste Pascale Baussant, fondatrice du cabinet de conseil en gestion de patrimoine Baussant Conseil, et auteure de plusieurs ouvrages sur l'investissement en faveur du climat.

L'essor des fonds à impact permet également de mieux diversifier les portefeuilles, notamment vers les secteurs « value », y compris les producteurs d'énergie (sous réserve de leur implication dans la transition). Mais, finalement, cette crise que traverse l'ESG est une bonne chose en permettant de faire le ménage dans un secteur de la gestion qui a sans doute grandi trop vite.

L'effet choc de la réforme du label ISR en France

On s'en doutait mais pas avec une telle ampleur : la réforme du label ISR en France, qui exclut de fait les producteurs d'énergies fossiles des portefeuilles, devrait toucher près de la moitié des 1.200 fonds actuellement labellisés ISR, selon une étude de Morningstar, publiée mercredi. Cette réforme du label doit entrer en application le 1er mars prochain mais le cahier des charges doit être publié d'ici la fin du mois.

Selon Morningstar, 45% des fonds ISR ont « une exposition au secteur énergétique traditionnel ». Certains fonds sont même exposés à hauteur de 14% au secteur des énergies fossiles. Au total, c'est 7 milliards d'euros qui sont investis dans le secteur via les fonds ISR. TotalEnergies est présent dans 161 fonds ISR. Morningstar estime même que 1,6% du capital du pétrolier est détenu par des fonds ISR. Parmi les entreprises les plus concernées par l'exclusion apparaissent Neste, GTT, Eni, Technip Energies, Repsol, Galp Energia, BP, Shell ou encore Equinor.

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Commentaires 5
à écrit le 16/11/2023 à 16:48
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Sans connaître Quoi que ce soit en terme de fonds de placement. Vu le rendement d'une éolienne qui au mieux est de 50% mais plus proche des 30 , à 5 millions d'euros l'éolienne pour une machine de 5MW pour avoir 100% de rendement machine il faut in...

le 17/11/2023 à 8:37
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"plus le carburant de l'éolienne qu'est le vent cela devient un peu moins intéressant pour des investisseurs. " Remarque judicieuse, les financiers ne pouvant pas se faire du fric sur la matière première vont de toutes façons bouder cette énergie. Tr...

à écrit le 16/11/2023 à 13:48
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Faire confiance à Macron et son gouvernement, on perd déjà à l'avance.

à écrit le 16/11/2023 à 10:37
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les fonds a novlangue et a bave morale, on sait ce que ca vaut.........ca sera bien de faire des comparaisons entre les fonds durables et les fonds perissables, les fonds a impact et les fonds sans impact sur rien, les fonds responsables et les fonds...

le 16/11/2023 à 16:33
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Et les fonds sans fond.

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