Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a tranché : TotalEnergies ne doit plus figurer dans un fonds d'investissement qui se revendique du (nouveau) label ISR (Investissement socialement responsable). La décision peut paraître anecdotique ; elle est pourtant capitale dans l'univers de la gestion d'actifs. Et c'est le résultat d'une intense bataille de lobbying, de plusieurs mois, sinon d'années, qui a vu notamment la position de Bercy fluctuer tout le long de l'été.
Cette décision s'inscrit dans le cadre d'une refonte du label ISR, créé en 2016 sous la houlette de Bercy. A l'époque, l'approche est plutôt innovante mais dans un contexte où la finance durable est encore balbutiante et l'urgence climatique moins prégnante auprès de l'opinion publique. Depuis, le label s'est doucement dévalorisé, malgré quelques ajustements en 2019. Il est jugé à la fois trop généraliste et surtout trop permissif à l'égard du secteur des énergies fossiles.
C'est pourquoi Bercy a décidé, en octobre 2021, de missionner un comité, rassemblant toutes les parties prenantes, sous la présidence de Michèle Pappalardo ancienne Commissaire général au développement durable, pour proposer un nouveau référentiel pour le label ISR et lui redonner une certaine crédibilité auprès des professionnels de la finance, des associations et surtout, auprès des épargnants.
Les hésitations de Bercy
C'est chose faite après deux années de travaux et de consultations. Au printemps dernier, le comité soumet à la consultation de place son projet de nouveau référentiel, avec comme point de fixation : l'exclusion des producteurs d'énergie fossile non-conventionnelle -dont ne fait pas partie TotalEnergies- mais aussi les entreprises investies dans de nouveaux projets fossiles conventionnels, ce qui concerne de facto le géant français.
En juillet, le projet de réforme est arrivé sur le bureau du ministre de l'Economie pour validation. Et puis... plus rien. Une ardente campagne de pression de la part de TotalEnergies, au nom du principe qu'il faut l'aider à financer sa transition énergétique, mais aussi de la plupart « des assets managers », notamment les plus gros, comme Amundi, filiale du Crédit Agricole et leader de la gestion d'actifs en Europe.
Ces gérants étaient prêts à « moderniser » le label mais restaient hostiles à des règles d'exclusion trop contraignantes. En clair, ils voulaient le label ISR et la possibilité de conserver TotalEnergies, « la » valeur de fond de portefeuille de la plupart des fonds diversifiés ISR grand public.
De nombreux fonds sur les 1.174 fonds labellisés ISR (pour un encours total de 773 milliards d'euros) ont des titres TotalEnergies en portefeuille, et ce sont souvent les plus gros fonds. Selon une récente étude d'Epsor, une fintech spécialisée dans l'épargne salariale, 87% des fonds labellisés investissent en 2022 dans au moins une entreprise du secteur des énergies fossiles, contre 80 % en 2021. Et TotalEnergies serait la quatrième entreprise la plus représentée dans les fonds labellisés. La profession de la gestion d'actifs, via notamment l'Association française de la gestion (AFG), est donc montée au créneau durant l'été, semblant convaincre Bercy de ne pas aller trop loin...
Virage sur l'aile
En septembre, la messe était dite : oui à la réforme, non à l'exclusion de TotalEnergies. C'était sans compter la mobilisation des associations pour le climat, comme Reclaim Finance, mais aussi des acteurs de la finance les plus engagés dans la finance durable. « C'était tout simplement une question de crédibilité. On ne pouvait pas garder du Total dans un fonds ISR, même si les avis sont très partagés sur cette question », décrypte un professionnel.
De l'avis des professionnels interrogés par La Tribune, l'exclusion de TotalEnergies était pourtant loin « d'être acquise jusqu'au dernier moment », souligne un professionnel.
« C'est très inattendu comme nouvelle », confirme à La Tribune, Philippe Zaouati, fondateur et directeur général de Mirova, l'un des pionniers de la finance durable en France (groupe Natixis).
Une vraie avancée
La pression sur Bercy s'est singulièrement accentuée ces jours derniers, comme notamment la lettre ouverte adressée la semaine dernière à Bruno Le Maire et signée par 60 personnalités, appelant à exclure du label ISR les entreprises qui développent de nouveaux projets fossiles. La volte-face de Bercy est impressionnante car elle va plus loin que la proposition initiale du comité, en excluant de fait, toutes les entreprises du secteur du gaz et du pétrole.
« C'est une vraie avancée pour tout le développement de l'investissement responsable », se félicite Pascale Baussant, membre du comité, par ailleurs conseillère en gestion de patrimoine, très engagée dans la finance durable. « Pendant plusieurs années, Bercy n'a pas montré un intérêt très fort pour la finance durable. Avec cette réforme, les choses vont peut-être bouger », estime Ladislas Smia, responsable ESG chez MBO+, une plateforme d'investissement. Le nouveau référentiel, qui conservera son caractère généraliste, et dont tous les détails ne sont pas encore complètement arrêtés, doit entrer en vigueur au 1er mars 2024.
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