Les fonds de LBO militent pour un « partage de la valeur » avec les salariés

Élu jeudi 14 juin, le nouveau président de France Invest (ex-AFIC), Dominique Gaillard, président du directoire du leader français du capital-investissement Ardian France, nous livre ses priorités pour son mandat à la tête de l’organisation des professionnels du non-coté. En haut de la liste, améliorer l’image du private-equity auprès des entreprises familiales et des salariés, en proposant à ces derniers une quote-part de la plus-value de cession. Ce qui nécessiterait la création d’un mécanisme fiscal incitatif.
Delphine Cuny
Dominique Gaillard, le président du directoire d'Ardian, le numéro un français du capital-investissement, a été élu à la tête de l'association professionnelle France Invest pour deux ans. Il aimerait généraliser le principe du partage de la plus-value avec les salariés.
Dominique Gaillard, le président du directoire d'Ardian, le numéro un français du capital-investissement, a été élu à la tête de l'association professionnelle France Invest pour deux ans. Il aimerait généraliser le principe du partage de la plus-value avec les salariés. (Crédits : Benjamin Boccas)

LA TRIBUNE - Vous venez d'être élu pour deux ans. Maintenez-vous l'objectif de 20 milliards d'euros levés en 2020 afin de dépasser le capital-investissement britannique, fixé par votre prédécesseur ?

DOMINIQUE GAILLARD - J'entérine complètement cet objectif 2020 fixé par Olivier Millet ! Il sera atteint sans aucun doute : le capital-investissement français a déjà levé 16,5 milliards d'euros en 2017. Lorsqu'on allait voir un investisseur au fin fond du Texas il y a quelques années, on avait droit au "French bashing". Maintenant, c'est le "French loving" !  C'est largement dû à l'effet Macron.

Par ailleurs, après la crise, les grands investisseurs, les fonds de pension comme Calpers et Calstrs, les fonds souverains ou les "family offices" [sociétés de gestion de grandes fortunes familiales, ndlr], se sont rendu compte que le capital-investissement était la classe d'actifs qui avait le mieux résisté, en termes de performance et de moindre volatilité. Ils ont décidé d'allouer encore plus d'argent au non-coté après la crise. Les grandes sociétés de gestion lèvent des fonds toute l'année : chez Ardian, 35 personnes se consacrent au "fundraising". C'est plus difficile pour les acteurs de taille modeste, qui sont obligés de se tourner vers Bpifrance, les family offices, les grands assureurs français. Il y a aussi les entités publiques comme l'Erafp (qui gère le régime de retraite additionnelle de la fonction publique), le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) ou Agirc-Arrco qui aimeraient investir plus dans le non-coté mais sont souvent limités par des ratios d'emprise très faibles sur leurs encours [1% à 2%, ndlr], statutairement ou réglementairement.

Nous discuterons avec les pouvoirs publics, notamment le Trésor, dans le but d'alléger ces contraintes. Lever ces restrictions permettrait de débloquer des centaines de millions d'euros qui iraient directement vers les petits fonds français. C'est une action ayant un impact plus rapide que le fléchage des encours de l'assurance vie vers le non-coté, qui demandera un effort de longue haleine. C'est un sujet auquel je suis très attaché.

Quelles sont vos priorités pour votre mandat ?

J'ai en tout 18 propositions que j'aimerais faire progresser pendant mon mandat de deux ans. L'une d'entre elles, très importante, consiste à continuer à prêcher la bonne parole auprès des patrons et actionnaires des entreprises familiales, qui demeurent réticents à l'égard du capital-investissement. Depuis 15 ans, les deux tiers des opérations de capital-transmission consistent en une vente d'un fonds à un autre. Nous voulons expliquer à ces chefs d'entreprises familiales qu'ouvrir son capital ne revient pas à faire entrer le loup dans la bergerie. C'est un formidable accélérateur de croissance, nos intérêts étant alignés puisque nous voulons aider l'entreprise à prendre de la valeur.

Nous voulons battre en brèche les idées fausses et rassurer : nous ne sommes pas là pour être intrusifs ou imposer un "reporting" pointilleux. Nous devons trouver les bons cénacles où rencontrer ces patrons d'entreprises familiales et leur faire entendre les témoignages d'autres chefs d'entreprise qui ont bénéficié de l'expérience d'un fonds. Nous allons mettre en place un groupe de travail chez France Invest pour effectuer ce travail de conviction auprès des entreprises familiales.

La France a trois fois moins d'ETI que l'Allemagne. Nous savons faire grandir les PME en ETI mondiales : j'ai en tête au moins une quinzaine d'exemples d'entreprises qui ont grandi à la faveur de trois ou quatre LBO successifs, à l'image de Fives (ex Fives-Lille), des labos Cerba, de Ceva santé, pour n'en citer que trois. Il y aura malheureusement toujours quelques rares investissements qui tournent mal et ternissent l'image du secteur malgré toutes les belles histoires. Ce n'est pas forcément un problème de surendettement, d'ailleurs : cela peut être dû aussi à une rupture de marché, une mauvaise anticipation de la digitalisation, la concurrence d'Amazon dans la distribution, par exemple.

Comment pensez-vous redorer cette image des fonds de private equity ?

Il est important de faire mieux accepter notre rôle dans la société française, auprès des différentes parties prenantes, et en particulier d'améliorer notre image auprès des salariés des entreprises, qui restent souvent très réticents à voir un fonds entrer au capital. Nous avons pour cela besoin d'un schéma fiscal attractif et facile à mettre en musique, pour le partage de la valeur. Il existe depuis longtemps des solutions pour les managers, mais les salariés sont souvent les parents pauvres des opérations qui génèrent de belles plus-values. C'est un sujet qui me tient à cœur. Chez Ardian, depuis une dizaine d'années, nous rétrocédons aux salariés entre 2% et 5% de la plus-value réalisée à la revente, cela représente en tout plusieurs dizaines de millions d'euros. Mais le mécanisme actuel est compliqué fiscalement et peu incitatif. Nous voudrions mettre en place un mécanisme qui permette de considérer que les salariés détiennent des actions dès le premier jour et ne soient taxés qu'à la sortie, sur la plus-value, à 30%, au taux de la « flat-tax ».

C'est une disposition que nous espérons voir figurer dans la loi Pacte dans son volet sur l'actionnariat salarié. Ce type de mécanisme nous permettrait de convaincre les membres de France Invest que ce principe de partage de la valeur est gagnant-gagnant.

Propos recueillis par Delphine Cuny

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CHIFFRES CLÉS DE FRANCE INVEST

6.300 entreprises françaises (startups, PME, ETI) en portefeuille
2.100 entreprises ont ouvert leur capital en 2017
200 milliards d'euros de chiffre d'affaires générés par ces entreprises
1,8 million d'emplois dans les entreprises du portefeuille
300 fonds membres employant plus de 4.000 personnes en direct
16,5 milliards d'euros de capitaux levés par les fonds en 2017
10,1% de rendement net par an depuis 1987 (hors fonds infrastructure et dette)

Delphine Cuny

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Commentaires 3
à écrit le 17/06/2018 à 19:11
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L'idée que la dimension trop familiale de l'entreprise limite son développement parait logique. D'un autre côté il y a l'aspect paternaliste qui peut rassurer, ou le verrouillage du capital qui protège des prédateurs. Mais protègent-ils vraiment sur ...

à écrit le 15/06/2018 à 23:10
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Les actionnaires n'ont pas plus de sincérité qu'un homme politique, et les voeux de partage de la valeur restent des voeux, inutile de se bercer d'illusions. ils veulent 9% de rendement après impots, c'est juste l'esclavage mondial des sociétés de s...

à écrit le 15/06/2018 à 8:42
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La finance me fait penser à l'agriculture biologique, beaucoup d'intermédiaires pour nous la vendre mais peu de production et donc un manque cruel de véritables travailleurs. Ça ne sert à rien du coup, on pédale dans le vide. La rente est aliénan...

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