PME : un frein culturel persistant à l'ouverture du capital

Grandir nécessite généralement d'attaquer le marché international et de renforcer ses fonds propres pour s'en donner les moyens. De nombreuses PME familiales demeurent réticentes à accueillir un fonds d'investissement ou à aller se financer en Bourse. Pourtant, la démarche permet bien souvent une accélération de la croissance et un changement de dimension.
Delphine Cuny
Loïc Quentin de Gromard, patron depuis 1985 de Saverglass, une ETI picarde de 430 millions d'euros de chiffre d'affaires et de 3.000 employés, reconnaît qu'il a été « long à convaincre » lorsqu'il a fallu ouvrir le capital à un fonds dans le cadre d'un LBO, après des années d'actionnariat familial.
Loïc Quentin de Gromard, patron depuis 1985 de Saverglass, une ETI picarde de 430 millions d'euros de chiffre d'affaires et de 3.000 employés, reconnaît qu'il a été « long à convaincre » lorsqu'il a fallu ouvrir le capital à un fonds dans le cadre d'un LBO, après des années d'actionnariat familial. (Crédits : DR)

Peut-on financer sa croissance et son déploiement à l'international par le seul crédit bancaire ? C'est l'une des gageures auxquelles sont confrontées de nombreuses PME françaises, notamment familiales, qui souffrent parfois d'un manque de fonds propres bridant leurs ambitions et ont déserté la Bourse.

« J'ai volontairement modéré les opérations de croissance externe et privilégié le désendettement afin que le groupe soit le moins dépendant possible du banquier », avait confié un dirigeant d'une entreprise familiale de plus de 700 salariés lors d'une grande enquête réalisée par Bpifrance.

Afin d'aider les PME à s'orienter vers des financements de plus longue durée (augmentation de capital ou prêt obligataire sur les marchés par exemple), le Medef a lancé en octobre dernier une sorte de « Meetic du financement », une plateforme appelée Medef Accélérateur d'investissement, destinée à connecter les entreprises à des partenaires financiers représentant des moyens d'un milliard d'euros, dont de grands fonds d'investissement reconnus tels que Siparex, Idinvest et Omnes Capital (La Tribune du 2 février). Mais à la question du type de financement souhaité, dette ou capital, très peu d'entreprises avaient coché la case « capital » : l'organisation patronale reconnaît qu'il y a « encore toute une pédagogie de l'ouverture du capital » à réaliser auprès des PME, notamment familiales. Selon l'enquête de 2016 de la BPI, 59 % des PME familiales n'ont jamais ouvert leur capital, hormis à un membre familial. Or elles sont nombreuses dans notre tissu industriel, estimées entre 40.000 et 50.000 en France.

Un regard extérieur bienvenu

Septodont, créée en 1932 et devenue une ETI très internationalisée de 270 millions d'euros de chiffre d'affaires et de 1.500 salariés, leader mondial de la conception de produits anesthésiques dentaires (St-Maurdes-Fossés, Val-de-Marne), est par exemple totalement fermée à une ouverture du capital. Celle-ci peut conduire « à terme, à une perte d'indépendance, voire à une prise de contrôle par un tiers non familial », selon Olivier Schiller, le patron et petit-fils du fondateur de l'entreprise. Il évoque le risque de cession à un nouveau fonds et de délocalisation pour conclure :

« Contrairement à la grenouille qui voulait se faire plus grosse que le boeuf, la sagesse consiste parfois à grandir moins vite, mais en conservant son indépendance. »

Bpifrance insiste à l'inverse : « contrairement à une idée reçue, l'ouverture du capital n'est pas la fin du modèle familial. C'est au contraire un moyen de le pérenniser ». Mais les craintes de perte d'indépendance, d'un formalisme financier trop contraignant ou d'une intrusion dans les affaires familiales restent fortes. Pourtant, l'investisseur apporte souvent un regard extérieur bienvenu pour le dirigeant et un nouveau souffle pour changer de dimension.

Loïc Quentin de Gromard, patron depuis 1985 de Saverglass, une ETI picarde de 430 millions d'euros de chiffre d'affaires et de 3.000 employés, « leader mondial de l'emballage de luxe », du verre haut de gamme pour les spiritueux, peut en témoigner : il a connu d'abord un actionnariat familial, les Desjonquères, qui avaient repris en 1976, auprès de Saint-Gobain, le contrôle de la verrerie de Feuquières, fondée par leurs aïeuls en 1897, puis trois LBO (leveraged buyout, rachat financé par endettement) par des fonds d'investissement en dix ans.

« Le verre est une activité extrêmement capitalistique. Il faut que les actionnaires acceptent la longueur du cycle d'investissement. Je sentais qu'on arrivait un peu aux limites » de ce qu'il pouvait demander à la famille actionnaire, a-t-il confié lors des Rencontres de l'investissement et de l'industrie, organisées début mars par France Invest (l'association des acteurs du capitalinvestissement).

« Les dividendes couvraient l'ISF, mais ils n'en voyaient pas beaucoup la couleur ! Un actionnariat familial peut parfois être paralysé lorsqu'il s'agit de faire des chèques », a-t-il observé.

« Nous avons démarré un LBO en 2006 avec Natixis Industrie, Natixis Investissement et Crédit Agricole Private Equity. L'expérience a été extrêmement formatrice. On est toujours persuadé que l'on gère très bien. Cela fait progresser », a-t-il estimé.

Cependant, il a reconnu qu'il a été « long à convaincre. Contrairement à ce que je pensais, il n'y a pas d'opposition entre une industrie fortement capitalistique et le travail avec un fonds d'investissement ».

« LBO », un gros mot ?

Après avoir financé une nouvelle usine dans le Pas-de-Calais, pour 60 millions d'euros, les investisseurs ont dû affronter une sévère crise, l'effondrement de 50% du marché, mais ils lui ont assuré « un soutien du début à la fin. Jamais une critique ! Nous avons dû mettre 2.000 personnes au chômage partiel, arrêter trois fours sur cinq. Mais nous avons traversé la crise sans un breach of covenant [non-respect des clauses des contrats de prêts des financements en LBO, ndlr] ».

Nouveau LBO en 2011 avec Astorg Partners qui reprend 75% du capital auprès des fonds et de la famille, pour financer une usine aux Émirats arabes unis et une autre, ultramoderne, à Arques (Pas-de-Calais). Puis un autre encore en 2016, avec le fonds américain Carlyle, le troisième plus grand acteur du private equity au monde, dans l'optique d'attaquer industriellement le marché américain. Ce fut aussi l'occasion d'ouvrir le capital à « plus de 300 collaborateurs-investisseurs » et de verser un supplément d'intéressement.

« Le LBO peut être un gros mot, qui peut faire peur, en termes de montant de dette. Il faut être capable de bien calibrer ces montages financiers » a relevé François Ligier, qui témoignait lors de ce même événement. Le constructeur auto, fondé par son grand-père, le pilote Guy Ligier, qu'il dirige aujourd'hui, a connu deux LBO. En 2008, le fonds 21Partners (de la famille Benetton) lui permet d'acquérir son concurrent Microcar. Le second, en 2016, mené par Siparex et Edify (Somfy), avec le Crédit Agricole (CA Régions Investissement et CA Centre-France Développement) et BNP Paribas Développement, l'a aidé à structurer son conseil d'administration, son organisation et accompagné sa croissance. La moitié du chiffre d'affaires de 140 millions d'euros est désormais réalisée à l'international.

Les fonds de capital-investissement veulent changer leur image et montrer que « le métier d'investisseur dans le non coté a une vraie utilité, il est au service des entreprises, de la croissance économique », insiste Olivier Millet, le président de France Invest et d'Eurazeo PME. Les réticences des chefs d'entreprise semblent se dissiper, puisque plus de 2.000 entreprises françaises (de toutes tailles, y compris les startups) ont ouvert leur capital à du private equity l'an dernier, à comparer à 1.600 en moyenne au cours des dix dernières années. Et la tendance pourrait s'accélérer.

« Historiquement, les entreprises avaient l'excuse fiscale, l'impôt de solidarité sur la fortune : les chefs d'entreprise disaient être empêchés d'ouvrir leur capital en deçà des 25% de détention sous peine de perdre l'exonération de l'ISF sur l'outil de travail. La fin de l'ISF, c'est aussi l'autorisation de vendre et de rester en France, plutôt que de s'installer à Bruxelles », relève Olivier Millet.

Delphine Cuny

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Commentaires 5
à écrit le 28/03/2018 à 11:19
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Si les PME ont besoin de capitaux extérieurs c'est surtout qu'elles sont "rincées" par Bercy depuis des décennies, merci aux gouvernements successifs d'avoir, soit jeté nos petites et moyennes entreprises dans les bras des "zestrangers", soit à la p...

à écrit le 28/03/2018 à 11:10
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Si les PME ont besoin de capitaux extérieurs c'est surtout qu'elles sont "rincées" par Bercy depuis des décennies, merci aux gouvernements successifs d'avoir, soit jeté nos petites et moyennes entreprises dans les bras des "zestrangers", soit à la p...

à écrit le 27/03/2018 à 10:15
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Ouvrir son capital pour perdre son indépendance ? Quel est l'intérêt alors de devenir entrepreneur ? Se faire avaler par la finance ? Les banques n'ont plus intérêt à prêter de l'argent aux PME car elles gagnent beaucoup plus avec la bourse, en prena...

à écrit le 27/03/2018 à 9:50
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y a effectivement un gros probleme culturel! les rentiers de la republique se rendent compte que ce qu'ils ont seme, ca pousse, et qu'en consequence, le chomage pour tous c'est maintenant........... ils cherchent donc des imbeciles pour prendre des ...

à écrit le 27/03/2018 à 9:42
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Oui mais vous avez un gros réseau vous permettant d'imposer une partie de votre volonté à des fonds d'investissements qui s'ils sentent qu'il n'y a pas ou peu de résistance finissent toujours par avaler leurs soit disant associés. Ou pire, regard...

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