Loin des grandes promesses de la COP26, qui s'est achevée samedi dernier à Glasgow, la réalité rattrape les banques européennes. Pour cause, si plusieurs d'entre elles se sont engagées à sortir des hydrocarbures non conventionnels ou à stopper les financements du charbon, leur portefeuille reste très carboné. Trop carboné, selon la Banque centrale européenne (BCE), qui appelle ce lundi la plupart des prêteurs qu'elle supervise à modifier leurs stratégies commerciales « pour tenir compte du changement climatique » et des risques qu'il implique.
Car malgré la mise en place de « mesures initiales », aucune d'entre elles « n'est proche de répondre à toutes les attentes de la BCE » en la matière (exposées dans un guide publié en novembre 2020), fait valoir l'institution de Francfort. En effet, alors qu'environ 112 institutions bancaires, représentant des actifs combinés de 24.000 milliards d'euros, « envisagent de fixer des objectifs d'exclusion pour certains segments du marché », seule « une poignée d'entre elles mentionnent qu'elles envisagent activement d'orienter leurs portefeuilles sur une trajectoire compatible avec les objectifs de l'accord de Paris de 2015 », écrit le membre néerlandais du directoire de la BCE, Frank Elderson dans un article publié sur le blog de la BCE.
« Si une chose ressort clairement des attentes prudentielles que nous avons émises, c'est que nous attendons des banques qu'elles gèrent en fin de compte les risques climatiques et environnementaux (C&E) de la même manière que tout autre risque important auquel elles sont confrontées », ajoute-t-il.
Plans inadéquats
Preuve que le sujet gagne en importance, c'est la toute première fois que la BCE évalue à grande échelle la manière dont les banques européennes adaptent leurs pratiques pour gérer les risques climatiques et environnementaux. Mais si la prise de conscience avance dans le secteur, le compte n'y est pas encore : la moitié des 112 banques évaluées ne s'attendent toujours pas à ce que ces risques aient un « impact significatif » sur leur profil de risque dans les trois à cinq ans. Et autant « n'ont pas prévu d'actions concrètes » pour les intégrer dans leurs stratégies commerciales, quand moins d'un cinquième ont développé des indicateurs de risque clés à surveiller.
« En général, les banques se sont efforcées de répondre aux attentes de la BCE concernant les organes de direction, l'appétit pour le risque et la gestion du risque opérationnel. Cependant, elles sont à la traîne dans des domaines tels que le reporting interne, la gestion des risques de marché et de liquidité, et les tests de résistance », précise la BCE dans un communiqué.
Par ailleurs, si presque toutes ont élaboré des plans pour améliorer leurs pratiques, la qualité de celles-ci « varie considérablement, et les progrès sont trop lents », relève l'institution. « Seul un tiers des banques ont mis en place des plans qui sont au moins largement adéquats, et la moitié n'auront pas achevé la mise en œuvre de leurs plans d'ici à la fin de 2022 », peut-on lire.
La BCE a cependant identifié quelques bonnes pratiques : deux tiers des banques enregistrent des « progrès significatifs » quant à l'intégration des risques liés au climat dans leur gestion du risque de crédit. Et ce, grâce à des mesures telles que des procédures de due diligence renforcées, ou de nouveaux critères de suppression progressive pour limiter les activités de financement fortement exposées aux risques liés au climat. De même, elles « commencent à évaluer les certifications des labels énergétiques lors de l'évaluation des garanties immobilières », bien que la plupart n'incluent pas encore les résultats dans leurs pratiques de prêt et de suivi, affirme la BCE.
Renforcement des exigences
L'appel intervient quelques mois seulement avant la tenue du plus grand test de résistance climatique à ce jour. En effet, le superviseur examinera dès l'année prochaine l'intensité carbone des portefeuilles de prêts et des opérations de négociation, ainsi que la capacité du secteur à faire face aux retombées physiques du changement climatique sur la valeur des actifs.
Et les conséquences pourraient être de taille : les banques qui obtiendront de mauvais résultats pourraient être confrontées à des exigences de fonds propres plus élevées, ce qui éroderait leur capacité à restituer leurs bénéfices aux actionnaires. Tout cela au milieu d'avertissements de plus en plus graves sur le retard du monde dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, alors que près de 80% des énergies consommées restent d'origine fossile. De quoi accroître un peu plus la pression sur les gouvernements et les entreprises, pour qu'ils mettent en œuvre des plans climatiques plus ambitieux.
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