Paris, labo de l'innovation ouverte

Dans le cadre de dispositifs ad hoc, tels que DataCity au Numa ou Urban Lab chez Paris&Co, la ville, ses habitants, des startups et de grands industriels inventent ensemble la « smart city », en expérimentant leurs innovations in situ.
Dominique Pialot

Grâce à l'algorithme prédictif développé par Craft AI, les gardiens d'immeuble sont prévenus trente minutes à l'avance du passage des camions-poubelles. Mine de rien, cela leur permet de réduire de moitié la durée pendant laquelle les bacs à ordures encombrent trottoirs et rues. Cette trouvaille est née de l'interaction entre la startup, Suez et la Ville de Paris, menée sous l'égide du Numa. L'ancien accélérateur de startups Silicon Sentier, né sous forme associative en 2000 et aujourd'hui implanté dans onze bureaux, dont quatre en France, s'est fixé pour mission de répondre, via l'innovation technologique, aux enjeux globaux à l'horizon 2030, qu'il s'agisse d'alimentation, de santé, d'éducation, d'énergie et autres ressources. Rien d'étonnant si plusieurs programmes sont dédiés à la ville.

DataCity, qui lance sa troisième édition, regroupe la Ville de Paris, des entreprises partenaires - acteurs de la ville - et des startups recrutées via des appels à projet thématiques portant sur les grands enjeux urbains : énergie, environnement, mobilité, logistique, services aux touristes et aux citoyens, bâtiments intelligents, etc.

La première phase du programme est consacrée à la recherche de partenaires et à la définition des challenges auxquels est confrontée la Ville de Paris, aussi divers que l'affluence dans les transports en commun, le comportement des automobilistes aux carrefours, l'implantation de bornes de recharge pour les véhicules électriques, les leviers d'animation d'un quartier grâce à ses commerces, l'élaboration de parcours pour les sportifs ou la livraison d'objets en réemploi à l'échelle d'un quartier. Cette étape permet de s'assurer que les solutions développées correspondent à un vrai besoin.

L'évaluation des ressources disponibles susceptibles de nourrir les startups, notamment les données et les terrains d'expérimentation, permet de renseigner les appels à projet, qui aboutiront à la sélection d'une startup pour chaque challenge identifié.

Durant la phase d'expérimentation, d'une durée de trois mois, l'exploitation de jeux de données mises en commun par les entreprises partenaires et la Ville de Paris ainsi que l'accès à un territoire ouvert à la startup doivent permettre d'aboutir à la cocréation de solutions et d'en valider la viabilité économique et technique.

Se protéger des enjeux internes

« Cette externalisation de l'innovation permet de la protéger des enjeux internes à la grande entreprise », souligne Emmanuel Léger, responsable de DataCity pour le Numa. Les équipes n'interagissent pas avec les seules directions de l'innovation ou les chief data officer, mais également avec les représentants des métiers. « C'est ce qui fait la valeur du dispositif », complète Emmanuel Léger.

CityMakers, un programme consacré à la mobilité et lancé en partenariat avec Renault, est calqué sur la même méthodologie. Il a donné naissance à neuf expérimentations, dont cinq en partenariat avec la Ville de Paris, qui portent aussi bien sur l'emplacement et la puissance des bornes de recharge des véhicules électriques que sur le comportement des utilisateurs desdits véhicules.

Plusieurs développements sont aujourd'hui à l'étude, ou, pour certains, déjà engagés. Ainsi, dans le cadre d'un partenariat avec le réseau de villes C40, Numa a l'ambition de déployer DataCity dans 40 villes (pas nécessairement membres du réseau). Ce sera fait d'ici à la fin de l'année à Singapour, Bangalore et Barcelone, qui devraient être rejointes par 10 autres métropoles dans le courant de 2018. Des réflexions sont également en cours concernant les autres villes françaises.

Parvenir à faire travailler ensemble les grandes entreprises et les startups mais aussi les groupes entre eux, un vrai défi à atteindre en seulement dix mois, n'est pas le moindre bénéfice des dispositifs mis en oeuvre au Numa. C'est ce que les équipes désignent par « collaboration radicale ».

L'ambition est similaire chez Paris&Co. L'agence de développement économique et d'innovation de Paris, premier réseau français d'incubateurs, a pour mission « d'agir avec les entreprises pour transformer durablement la cité ». Un objectif qui passe par l'incubation de startups, leur mise en relation avec des grands groupes et l'expérimentation de solutions innovantes à Paris, autour de thématiques telles que l'immobilier de demain, la mobilité et la logistique, l'adaptation au changement climatique ou l'économie circulaire sous un angle industriel (réutilisation des matériaux de chantiers, etc.).

« Notre rôle est notamment d'accompagner une multitude d'allers-retours entre les petits et les grands », souligne Loïc Dosseur, directeur général adjoint de Paris&Co.

Paris & Co abrite notamment l'Urban Lab, son laboratoire d'expérimentation urbaine, qui permet à tout entrepreneur, de la startup au grand groupe, de transformer Paris et sa métropole en terrains de jeux, dans une logique d'innovation ouverte avec les habitants et les décideurs.

200 innovations testées depuis 2010

Des appels à projet sont émis à une échelle nationale, voire internationale, pour sélectionner les porteurs d'innovation. Les parcours accompagnés, qui leur permettent de sortir du cadre scientifique pour tester leurs projets en milieu ouvert, sur des terrains privés ou publics mis à leur disposition avec l'aide d'Urban Lab, sont très opérationnels. Quelque 200 innovations ont ainsi été testées depuis 2010, autour du sport, du tourisme, de l'édition, de la santé et de l'alimentation. Elles durent en moyenne six mois, « ce qui permet de dépasser l'effet "waouh" et de récolter suffisamment de données et de retours d'expériences notamment quant à l'appropriation d'un dispositif par ses usagers », précise Albane Godard, qui dirige l'Urban Lab. Cela permet de décider soit de refaire un prototype, soit de commercialiser ou d'industrialiser la solution. « La thématique de la smart city suscite le débat parmi l'ensemble des acteurs », témoigne-t-elle. « Nous ne nous cantonnons pas au tout numérique, qui n'est pas une fin en soi », ajoute Loïc Dosseur.

Parmi les expérimentations en cours, les Alchimistes, qui testent sur le site des Grands Voisins (Paris XIVe) une méthode de valorisation des biodéchets limitant les odeurs et autres nuisances grâce à une accélération du processus. Ou encore BIL (base intelligente de logistique), un petit porteur électrique inventé par une PME, abrité à l'intérieur d'un 19-tonnes pour effectuer le dernier kilomètre en centre-ville.

Les relations entre startups ou PME et grands groupes évoluent au fil de ces initiatives. « Il y a encore quelques années, les grandes entreprises étaient très condescendantes », se rappelle Albane Godard. Aujourd'hui, ayant compris que l'inspiration, les méthodes, l'agilité et, de plus en plus, un savoir-faire robuste, se trouvent chez les petits, elles sont plus ouvertes et mieux structurées pour l'open innovation. Grâce à des catalyseurs comme le Numa ou Paris&Co, la smart city est aujourd'hui un thème de prédilection de l'innovation ouverte.

Dominique Pialot

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