Les ambitions de Valérie Pécresse pour l'industrie spatiale française

Dans une interview accordée à La Tribune, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, en charge de l'espace, Valérie Pécresse, dévoile plusieurs nouveaux projets en matière spatial : évolution du capital d'Arianespace avec la possible entrée des pays membres de l'Agence spatiale européenne, déménagement de la direction de lanceurs du CNES à Paris, modernisation du lanceur Ariane 5, financements d'Ariane 6 et de nouveaux programmes spatiaux grâce au grand emprunt...

Les industriels de la filière spatiale, notamment Astrium, estiment que la France et l'Europe n'investissent pas assez. Que leur répondez-vous ?

Nous nous donnons tous les moyens de consolider le leadership français en matière spatiale contrairement à ce qui peut a été dit sans doute un peu légérement. Avec le rapport Bigot,Collet-Billon et d'Escatha sur le lanceur du futur, le plan d'investissements d'avenir, la hausse du budget du CNES et les 70 millions supplémentaires donnés à l'ESA, la France fait un effort financier très important. On est au-delà de ce que devait espérer initialement l'industrie spatiale. Bien au-delà. Aujourd'hui la France met deux fois le budget allemand en termes d'investissements publics.

Avez-vous fait les arbitrages pour les investissements d'avenir ?

Dans le cadre des investissements d'avenir, le gouvernement a fait une place spécifique à l'espace. Nous allons utiliser une partie de l'argent de ce plan (35 milliards d'euros), pour aller de l'avant en matière de politique spatiale. Nous avons 500 millions d'euros, dont 250 millions pour les études et un démonstrateur d'Ariane 6 et 250 millions pour les nouveaux programmes satellitaires, notamment internationaux. Certains sont dans les cartons depuis trop longtemps. D'ores et déjà, des projets intéressants ont été déposés : le programme d'altimétrie océanique SWOT, une coopération franco-américaine ; un projet franco-allemand Merlin sur la climatologie et l'environnement pour la mesure du méthane.

Justement sur les lanceurs, que faut-il privilégier : Ariane 6 ou la modernisation d'Ariane 5, certains estimant qu'il n'y aura pas assez d'argent pour faire les deux...

Le Grand emprunt permet à la France de mettre sur la table les financements nécessaires pour tenir tous les engagements que l'on a pris lors de la ministérielle de l'ESA en 2008 : les engagements de modernisation d'Ariane 5 et le lancement d'une réflexion sur les alternatives technologiques sur la base du rapport Bigot, Collet-Billon et d'Escatha, sur un lanceur de nouvelle génération plus adapté aux besoins du marché à l'horizon 2025. C'est vrai qu'au départ nos partenaires allemands étaient inquiets de notre envie de pousser Ariane 6. Ils avaient la crainte que la France ne respecte pas les engagements pris sur la modernisation d'Ariane 5.

Cette inquiétude est-elle donc non fondée ?

La place de leader mondial d'Ariane 5 est une place qui doit être en permanence consolidée. L'Europe a le premier lanceur mondial. Et même si Ariane 5 cumule 52 vols réussis consécutifs, il faut se rappeler que le système a eu des problèmes techniques au printemps. On ne fera donc pas l'économie du plan de modernisation d'Ariane 5 pour maintenir ses performances dans un marché toujours plus concurrentiel. J'ai rassuré mes homologues allemands en leur disant à plusieurs reprises que les engagements de la ministérielle seraient intégralement tenus par la France.

Ce qui veut dire que vous faites une rallonge budgétaire à l'ESA ?

Effectivement, la France donnera 70 millions supplémentaires de financements pour le budget de l'ESA en 2011. En outre, le budget du CNES va augmenter de 15 millions d'euros en 2011 et le nouveau contrat d'objectifs sera signé dans les prochaines semaines. C'est exceptionnel : nous sommes dans une période où le budget de l'Etat est très contraint, or nous consacrons 500 millions d'euros pour des investissements spatiaux. La France est aujourd'hui dans une vraie dynamique de politique spatiale et elle va bien au-delà des engagements qu'elle s'était fixés. Nous voulons vraiment faire du spatial un outil de stratégie industrielle et de recherche.

 

Avez-vous privilégié pour le programme Météosat Thales Alenia Space ?

Certains industriels ont fait part de leur inquiétude sur le processus de sélection de Météosat Troisième Génération. Mais sur ce programme, la France a demandé à ce qu'il y ait un audit indépendant sur l'impartialité de la procédure. Cet audit accepté par l'Allemagne, a renforcé la crédibilité de l'ESA en montrant l'impartialité totale de la procédure de l'appel d'offres. Aujourd'hui, il est évident que les industriels Thales et Astrium doivent se rapprocher pour évoquer d'éventuelles coopérations. Mais à un moment donné, quand il y a une sélection, il y a une sélection. C'est vrai que la critique même de l'impartialité de l'appel d'offres a fait beaucoup de mal à la capacité de réconcilier les protagonistes après.

 

 

Quand visez-vous la signature de Météosat ?

Nous sommes en train de finaliser. Mon seul souhait : il faut apaiser les tensions qui sont nées de la compétition. En même temps, il faut admettre que l'Etat est derrière son industrie spatiale à 1000 %. Quand il y a une procédure d'appel d'offre impartial, on accepte les résultats. Puis on essaie de monter des partenariats avec les concurrents d'hier.

 

Que voulez-vous faire d'Arianespace ?

Arianespace doit garder son leadership mondial sur le marché des lanceurs. Avec la recapitalisation, nous voulons renforcer sa structure financière. Ce processus ayant été adopté à l'unanimité en septembre, il faut le mener à terme. Il prendra du temps, mais je suis assez confiante.

 

N'y a-t-il pas un projet de faire évoluer le capital d'Arianespace ?

Nous sommes ouverts à cette évolution. L'ESA travaille avec l'ensemble des partenaires sur l'évolution possible de la gouvernance d'Arianespace. C'est un geste fort que fait la France.

 

L'évolution du capital d'Arianespace se fait sous l'impulsion de l'ESA et non pas du CNES...

Le CNES y travaille aussi. Jean-Jacques Dordain et Yannick d'Escatha travaillent main dans la main. D'ailleurs, en termes de rapprochement, nous allons déplacer à Paris la direction des lanceurs du CNES basée à Evry avec celle de l'ESA, qui par son statut ne peut pas déménager hors de Paris. La logique de ce rapprochement est de développer des synergies. En revanche, Arianespace ne viendra pas. Cest une question de financement.

 

Cela n'avait-il pas du sens de mettre toute la filière lanceur sous un même toit ?

Cela avait du sens mais budgétairement. C'était beaucoup plus cher. J'ai besoin que les ingénieurs travaillent dans de bonnes conditions. Déménager est réellement un processus de réorganisation extrêmement lourd. Si j'ai 20 millions à mettre, je préfère les mettre dans la recapitalisation d'Arianespace que de le mettre dans un nouveau siège où chacun se sentira à l'étroit.

 

Pour cette évolution de l'actionnariat d'Arianespace, recherchez-vous des partenaires financiers ?

Pour l'instant, nous ne sommes pas à ce stade de réflexion. Tout est ouvert. C'est évident aujourd'hui que nous pensons aux Etats. L'arrivée de partenaires privés et/ou financiers n'est pas à l'ordre du jour. Nous sommes plutôt sur l'objectif de recapitaliser avec les pays membres de l'ESA, éventuellement via les agences spatiales.

 

Mais l'objectif n'est-il pas de faire sortir les industriels fournisseurs, comme Astrium du capital d'Arianespace ?

Nous n'en sommes pas à ce stade de réflexion. Il y a eu une difficulté pour la fixation des prix au moment de l'achat des derniers lanceurs Ariane 5. D'un côté, les industriels estimaient qu'ils ne pouvaient pas aller plus bas en termes de prix et, de l'autre, Arianespace affirmait qu'il ne pouvait pas vendre les lancements. Ce système est complexe du fait que des fournisseurs sont actionnaires.

 

Le CNES resterait-il au capital, l'ESA se substituant à lui ?

Non pas l'ESA. Ce sera soit le CNES soit l'Etat français qui portera cette participation. Tout dépendra de la structure que choisiront nos partenaires qui veulent monter dans le capital d'Arianespace. Nous sommes vraiment dans une négociation. Nous avons franchi un pas, à savoir que nous sommes ouverts sur l'évolution du capital d'Arianespace. Avec une place plus forte accordée aux Etats partenaires de l'ESA, c'est-à-dire aux donneurs d'ordres, nous aurons une vision plus politique par rapport aux fournisseurs.

 

Le programme Megasat sera-t-il financé sur les 250 millions d'euros accordés aux applications satellitaires ?

Non. Megasat est positionné sur un appel à projet spécifique : la desserte à très haut débit des zones rurales qui est dotée de 250 millions d'euros au titre du volet numérique des investissements d'avenir. Je souhaiterai que dans le cadre de cet appel à projet il puisse y avoir au moins de 50 à 100 millions d'euros dédiés à la recherche dans des applications satellitaires.. La question du satellite sur le très haut débit est un programme majeur pour les industriels et l'aménagement du territoire. Il y a un effet structurant pour la filière de lancer ce programme.

 

Comment pouvez-vous lutter contre les constructeurs qui font monter les tarifs en raison du Grand Emprunt ?

C'est au Comité d'évaluation et au Commissariat général aux investissements d'avenir de veiller à ce que l'on paye le juste prix

Le programme Galileo est-il enfin sur les rails ?

On a pris un peu de retard sur le lanceur russe. Les premiers lancements Soyouz avec les satellites Galileo sont prévus en mars 2011. La première mise en service est prévue en 2014. Avec seulement 18 satellites sur les 27 au total, l'Europe n'aura qu'une disponibilité du service à hauteur de 95 % du temps. Elle aura le service ouvert, le service public réglementé, le service recherche et sauvetage mais pas le service commercial, qui sera seulement à l'essai. Il sera disponible quand il y aura les 27. L'Europe doit aussi passer trois marchés : infrastructures de mission au sol, infrastructures de contrôle au sol, et exploitation. C'est prévu d'ici à la fin de l'année.

 

Quel est le regard de la France sur la montée en puissance de l'Union européenne et sur les frictions ESA/UE ?

La présidence française a beaucoup oeuvré pour qu'il y ait une vraie prise de conscience européenne en matière spatiale. La ligne budgétaire pour l'espace est un réel progrès. Que ce soit pour GMES ou sur un programme d'application satellitaire, les bénéficiaires seront européens. Cela veut donc dire que les financements devront être européens. Avec la première délibération du Parlement européen sur GMES, l'Europe commence à se doter d'une vraie identité politique en matière spatiale. Elle va prendre dans les années à venir le leadership. En revanche, il faudra régler la question très sensible du retour géographique, qui ne peut pas être balayée d'un coup de baguette magique. L'Europe l'a déjà fait sur Galileo mais il faut désormais simplifier les procédures. Nous avons une marge de progression ! La logique est d'aller sur ces programmes satellitaires d'application spatiale pan européenne avec des financements européens.

 

Quand la commission va-t-elle communiquer sur son ambition en matière de politique spatiale ?

La Commission fera une communication au mois d'octobre. Le conseil Espace est quant à lui prévu le 23 novembre. Entre-temps il y aura la conférence sur l'exploration, le 21 octobre à Bruxelles qui permettra d'affiner les positions européennes sur ce dossier.

 

Quels sont les objectifs de la France en matière d'exploration spatiale ?

Il faut définir notre ambition au niveau européen. Est-ce qu'on s'engage avec les Américains dans des coopérations internationales ? Les Etats-Unis sont vraiment dans une ouverture d'esprit inédite sur les missions internationales, comme j'ai eu l'occasion de le constater au cours de mon entretien avec Charles Bolden l'administrateur général de la NASA à Washington. Nous devrons décider le 21 octobre si l'Europe peut se lancer dans des projets internationaux avec les Etats-Unis.

 

Les industriels français estiment que la commission privilégie les petits aux gros industriels. Quel est votre sentiment ?

Ce débat sur la politique industrielle européenne est récurrent. Il est légitime que les industriels français et allemands s'en préoccupent. Car effectivement la politique de concurrence européenne se focalise sur la concurrence intra européenne. Or, la France souhaite créer des champions européens et suffisamment solides pour concurrencer les champions chinois, américains... Et c'est vrai que quelquefois les industriels estiment que les règles de concurrence les empêchent de grossir et de gagner des marchés. C'est une interrogation que se posent non seulement les industriels de l'espace mais aussi tous les industriels européens. C'est une vraie question qu'il faudra un jour poser comme une question politique à tous les Etats membres de l'UE : quelle est la finalité de la politique de la concurrence européenne ?

 

Cela veut-il dire que vous privilégiez une fusion Astrium et Thales pour faire un champion européen ?

La question n'est pas à l'ordre du jour, mais elle est posée. Elle ne concerne pas uniquement la France, ce qui suppose des réflexions avec nos partenaires qui n'ont pas été engagées. Quand certains industriels évoquent publiquement ce dossier, on voit bien qu'ils ont l'envie de construire un seul champion européen qui aurait les marchés européens.. En même temps, la France est obligée d'avoir une vraie de concurrence pour ne pas être dans la main d'un seul fournisseur. Je ne dis pas que la question est tranchée mais elle se pose..

 

 

 

 

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