Ariane 6, le "new deal" industriel

L’industrie en prenant davantage de risques, a obtenu la maîtrise d’œuvre d’Ariane 6, le futur lanceur européen. La puissance publique se recentrant sur la maîtrise d’ouvrage. Quel rôle jouera l’État dans cette filière de souveraineté ?
Michel Cabirol
"Une maîtrise d'ouvrage forte devient indispensable dans les programmes financés par les États" (Jean-Yves Le Gall, président du CNES))

La filière spatiale européenne dans le domaine des lanceurs est aujourd'hui sur le pas de tir d'une évolution industrielle sans précédent. Une rupture qui est d'ailleurs concomitante au développement du futur lanceur européen, Ariane 6, dont le premier lancement de qualification est prévu en 2020. Si cette évolution (révolution ?) semble nécessaire pour optimiser la filière afin qu'elle poursuive la course en tête face à l'émergence de concurrents redoutables, dont notamment l'américain SpaceX et sa famille de lanceurs Falcon, quelle sera la place de l'État dans une filière de souveraineté nationale. Car seule la puissance publique, à l'image de la Russie et des États-Unis, peut assurer une pérennité sur le long terme, ne serait-ce qu'en termes d'investissements.

La réussite du secteur spatial européen tient à la place et au rôle déterminant des États dans un pilotage jusqu'ici maîtrisé de bout en bout. La France et l'Europe ont su, à travers un ensemble d'entreprises et de centres de recherche dont certains placés sous sa responsabilité, insuffler une véritable dynamique de succès. Depuis le triste jour de l'échec du vol 517, Arianespace a réussi à fin mai 65 lancements consécutifs d'Ariane 5 pour le plus grand bonheur de ses clients et de la filière industrielle européenne. Bref, Ariane 5, en dépit d'un début carrière laborieux et difficile, s'est révélé être un pari technologique gagnant, Arianespace restant toujours le leader du marché de lancement de satellites.

Ariane, une marque puissante

Pour le directeur général délégué d'Airbus Group, Marwan Lahoud, il fallait ce changement pour se mettre au niveau des fameux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ainsi que de SpaceX, lancé par le milliardaire Elon Musk. "Entre 1979 et aujourd'hui, a-t-il expliqué début mai à l'Assemblée nationale, les agences d'État - le Centre national d'études spatiales et son homologue allemand, le DLR, ou encore l'ESA - ont eu un rôle essentiel dans la mise sur les rails des programmes de lanceurs, mais la nouvelle situation exigeait de modifier la pratique et d'industrialiser la conception, la fabrication et le lancement des lanceurs spatiaux. Ce fut la décision prise en décembre par les États membres de l'ESA".

Du coup, avec Ariane 6, un projet à 4 milliards d'euros, les industriels ont pris le pouvoir. Et la co-entreprise Airbus Safran Launchers (ASL) a pris ses "responsabilités en finançant une partie du développement", a précisé le président du GIFAS. Début décembre, il était prévu que l'industrie investisse 400 millions d'euros dans le développement du lanceur mais certaines conditions ne seraient pas réunies, estiment certains responsables de la filière industrielle. C'est toujours en discussions. "Ce sera toujours un lanceur Ariane, marque puissante, et les comportements ne changeront pas : aujourd'hui, les étages sont assemblés aux Mureaux et les lanceurs achevés à Kourou, sans que rien soit fait pour retarder ceux qui servent à lancer les satellites de nos concurrents", avait rappelé Marwan Lahoud.

Une initiative d'ailleurs soutenue par le président du CNES, Jean-Yves Le Gall, qui considèrent que "l'industrie devient de plus en plus mature". Et de préciser en février dans une audition à l'Assemblée nationale qu'elle "doit être davantage responsable, comme elle l'est aux États-Unis, car c'est la clé de la compétitivité, et donc du succès". La création d'ASL ? "Il est clair qu'une telle rationalisation de l'industrie spatiale européenne s'impose si nous voulons résister au choc de la compétition dans laquelle nous sommes engagés, en particulier avec SpaceX". D'autant que la fabrication d'Ariane 5 est disséminée sur 25 sites différents en Europe... tandis que celle du Falcon 9 de SpaceX, est concentrée sur un seul. "Dans l'usine que cette entreprise possède en Californie, on voit des tôles entrer d'un côté et des fusées sortir de l'autre", a résumé Jean-Yves Le Gall.

Et l'État ?

La puissance publique aura encore sa place dans le dispositif. "Une maîtrise d'ouvrage forte devient indispensable dans les programmes financés par les États. Nous avons repensé nos méthodes pour Ariane 6, bien différentes de celles qui prévalaient pour Ariane 5. L'ESA et le CNES assurent la maîtrise d'ouvrage, Safran et Airbus la maîtrise d'œuvre"., a expliqué le patron du CNES. Pourquoi pas. Cela marche déjà dans la défense avec la direction générale de l'armement (DGA), qui expertise les programmes réalisés sous la maîtrise d'œuvre des industriels. Mais cette expertise devra absolument être préservée pour ne pas franchir la ligne blanche. C'est d'ailleurs clair au CNES : "Nous ne signerons pas un chèque en blanc à l'industrie", a expliqué Jean-Yves Le Gall.

Le CNES a d'ailleurs conclu un accord avec l'Agence spatiale européenne (ESA), "aux termes duquel la direction des lanceurs du CNES interviendra en tant que direction technique afin que le lanceur soit exactement celui que nous avons spécifié. De son côté, l'industrie prendra davantage de risques et bénéficiera d'une certaine marge de manœuvre pour s'organiser et produire le lanceur dans les meilleurs délais". En clair, le développement d'Ariane 6 sera piloté par les États et réalisé par le privé.

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Michel Cabirol

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Commentaire 1
à écrit le 12/06/2015 à 8:21
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"Nous avons repensé nos méthodes pour Ariane 6, bien différentes de celles qui prévalaient pour Ariane 5. L'ESA et le CNES assurent la maîtrise d'ouvrage, Safran et Airbus la maîtrise d'œuvre". Marrant ça, on firait exactement la définition des tache...

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