La menace n'était pas en l'air quand Sébastien Lecornu se disait prêt mardi, lors d'une conférence de presse, à recourir à « des réquisitions, le cas échéant, ou [à] faire jouer le droit de priorisation » si les « cadence[s] et [les] délais de production » des munitions (missiles et obus) n'étaient pas tenus par les industriels de l'armement. Très clairement, le ministre des Armées n'avait pas opté pour des tirs de sommation mais des tirs à balles réelles.
Dès vendredi, le décret sur la sécurité des approvisionnements des forces armées était publié dans le cadre de la loi de programmation militaire. Puis, très vite, le ministre a dégainé. Premier visé, le missilier MBDA (détenu par Airbus, le britannique BAE Systems et l'italien Leonardo), sommé par le ministre de constituer des stocks minimaux de composants pour accélérer les cadences de fabrication du missile Aster (défense aérienne) fabriqué par MBDA en France et en Italie ainsi que par Thales. Ce qui, pour tous les industriels, qui ne jurent que par des flux de production tendus, est une hérésie. Car les stocks mobilisent de la trésorerie.
Des opérations en mer Rouge
Mais, pour le ministre, il y a urgence. Urgence à livrer très rapidement à l'Ukraine des missiles de la famille Aster (15 et 30), très efficaces pour neutraliser les engins balistiques russes qui menacent Kiev et ses environs. Soit une bulle de 100 à 200 kilomètres protégée par le système sol-air franco-italien SAMP/T, armé des redoutables Aster. « L'enjeu, ce sont les munitions » pour les Ukrainiens, affirme Sébastien Lecornu à La Tribune Dimanche. En l'occurrence, Kiev demande des Aster supplémentaires en très grand nombre pour contrer les attaques quotidiennes des Russes. Il apparaît crucial pour les Ukrainiens de se montrer endurants face à ce rouleau compresseur. Ce qui exige de l'épaisseur dans les stocks de missiles.
Outre l'Ukraine, MBDA doit également fournir rapidement la Marine nationale, qui utilise actuellement des Aster dans le cadre de l'opération militaire Aspides, lancée par l'Union européenne en mer Rouge pour protéger le trafic maritime, très menacé par les missiles et les drones houthis. Une grande première pour la marine, qui a tiré 22 Aster depuis le début de cette opération. Et Sébastien Lecornu, qui a passé commande de plus de 400 missiles, dont vraisemblablement une centaine pour les Ukrainiens, veut des résultats de la part de MBDA.
Produire davantage et plus vite
Critiqué à plusieurs reprises par le ministre, le missilier a fait des efforts. Il a déjà réduit le temps de production des Aster de 26 % depuis le début de la guerre. En 2022, il fallait compter quarante-deux mois entre la commande et la livraison, un délai tombé à un peu plus de trente mois aujourd'hui. Pas suffisant pour le ministre, qui n'a pas eu la patience d'attendre 2026, date à laquelle le missilier ambitionne de pouvoir fabriquer un Aster en moins de dix-huit mois. D'autant que, selon nos informations, les trop longs délais de livraison de MBDA l'ont fait éliminer de compétitions lancées par certains pays d'Europe de l'Est pressés d'obtenir des missiles sol-air face à la menace russe. Ce qui a beaucoup agacé Sébastien Lecornu - et c'est peu de le dire.
Le ministre ne cesse de rappeler que la pérennité du modèle de l'industrie d'armement française passe par des commandes à l'exportation. Le ministre a donc ordonné à MBDA de constituer des stocks minimaux de composants et de matières premières afin de réduire au plus vite les délais. Pour un industriel, en règle générale, les approvisionnements représentent environ 50 % d'un cycle de production, l'autre moitié étant consacrée à l'assemblage final réalisé chez le maître d'œuvre. Avant la guerre en Ukraine, ces approvisionnements n'étaient lancés par les fabricants d'armement qu'une fois la commande en poche. Et les délais de livraison n'étaient pas une priorité pour les pays acheteurs. D'autant que les outils de production des entreprises du secteur en France et en Europe étaient dimensionnés pour de faibles quantités.
Ainsi, Dassault Aviation ne produisait qu'un Rafale par mois environ (11 par an). Ce qui permettait aux industriels de conserver des chaînes d'assemblage et les savoir-faire des salariés (développement et production) sur le temps long. Mais aujourd'hui, avec le conflit en Ukraine et l'apparition de nombreuses crises dans le monde, Sébastien Lecornu veut que les groupes d'armement produisent davantage et plus vite. Un changement complet de paradigme par rapport au monde d'avant. Les demandes du ministre nécessitent d'énormes investissements industriels pour les groupes d'armement, qui exigent en retour toujours plus de visibilité à moyen et long terme. En clair: des commandes.
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