Missiles : MBDA face au défi inédit d'augmenter brutalement ses cadences de production

MBDA est devant un mur. Un mur de commandes que le missilier doit livrer au plus vite. Produire plus et plus vite est l'enjeu prioritaire de MBDA en 2024 et au-delà.
Michel Cabirol
« Le grand changement depuis février 2022, c'est que brutalement le temps s'est mis à compter », a expliqué mercredi le PDG de MBDA, Eric Béranger.
« Le grand changement depuis février 2022, c'est que brutalement le temps s'est mis à compter », a expliqué mercredi le PDG de MBDA, Eric Béranger. (Crédits : MBDA)

Le missilier MBDA a engrangé des commandes « extraordinaires » en 2022 et 2023, notamment dans le domaine de la défense sol-air. Son principal défi est aujourd'hui de livrer plus et plus vite. Pas simple quand l'outil industriel de MBDA - mais aussi de toute l'industrie d'armement européenne - était jusqu'ici dimensionné pour un temps de paix. Livrer rapidement n'était pas vraiment une priorité des pays occidentaux mais depuis février 2022 et l'invasion de l'Ukraine, le temps s'est accéléré pour les gouvernements, qui se sont aperçus benoîtement que les stocks de munitions et de missiles de leurs armées étaient à des niveaux ridiculement bas. Aujourd'hui, le temps est même devenu LA priorité des priorités. « Le grand changement depuis février 2022, c'est que brutalement le temps s'est mis à compter », a admis mercredi le PDG de MBDA Eric Béranger lors de la conférence de présentation des résultats du groupe.

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La guerre en Europe a frappé à la porte de MBDA

Effectivement, depuis la guerre en Ukraine, les gouvernements exigent des livraisons beaucoup plus rapides et les industriels sont sommés de trouver des solutions rapides pour accélérer leurs cadences de production. « En fait nous n'avons qu'un seul défi (...) c'est d'être capable de produire plus et plus vite, de livrer plus rapidement à des prix acceptables », a fait observer Eric Béranger. L'exemple de MBDA est d'ailleurs très édifiant. Le carnet de commandes de MBDA est aujourd'hui stratosphérique  (28 milliards d'euros) et, en même temps, le missilier a dû mal à le dégonfler en raison d'un outil industriel qui n'est plus adapté à la nouvelle donne mondiale. « Depuis mon arrivée chez MBDA en 2019, le carnet de commandes a augmenté de 50 %, le chiffre d'affaires de 40 %, mes effectifs de 30 % », a-t-il expliqué.

Cette accélération est principalement intervenue lors de deux dernières années, car avant, la période du Covid-19 avait plutôt rasé gratis... D'autant que l'an dernier, l'impact de la guerre en Ukraine a très clairement fait vibrer les téléphones des commerciaux de MBDA. Ce qui n'avait pas été le cas en 2022 ou très marginalement. L'année 2023 a amplifié la « prise de conscience » des pays européens face à l'arrivée de la guerre sur le sol européen, a estimé Eric Béranger. Ainsi « 66 % de nos exportations ont été destinées à des États européens, hors de nos pays d'implantation (France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni et Espagne, NDLR) », a précisé le PDG.

« La force remet de plus en plus en question les droits internationaux et je pense que c'est le changement fondamental qui génère beaucoup de réactions et de demandes de la part de nos clients », a analysé le PDG de MBDA, évoquant notamment des « demandes en termes de besoins opérationnels urgents ».

MBDA promet une accélération des cadences

Cet enjeu de livrer plus rapidement est aujourd'hui un enjeu crucial pour la crédibilité de MBDA à terme auprès de ses clients. Car ce qui fait aujourd'hui sa force - un portefeuille de missiles qui couvre tout le spectre opérationnel ou presque - pourrait se transformer en une vulnérabilité si le missilier n'arrivait pas à livrer beaucoup plus vite. Le niveau de book-to-bill (ratio commandes - 9,9 milliards d'euros - sur chiffre d'affaires - 4,45 milliards d'euros), qui a été encore supérieur à deux en 2023, doit baisser. Ainsi, l'année dernière, MBDA n'a pas été encore capable d'augmenter son chiffre d'affaires proportionnellement à ses prises de commandes. Pour autant, MBDA y travaille et s'est fixé des objectifs de production.

Pour le missile sol-air très courte portée Mistral 3, MBDA souhaite multiplier par quatre ses cadences de production en 2025, par rapport à 2022 : 10 Mistral par mois en 2022, 20 en 2024, puis 40 par mois en 2025). L'objectif est d'atteindre une réduction de près de 50% du cycle de production entre 2022 et en 2025 : de 27 mois en 2022 à 15 mois en 2025 (24 mois aujourd'hui). C'est aussi le cas pour le missile antichar MMP (Akeron). L'objectif de MBDA est de multiplier par 2,5 ses cadences de production en 2025, par rapport à 2022 (20 Akeron par mois en 2022, 25 Akeron en 2024 et 50 en 2025). Le missilier a pour objectif d'atteindre une réduction de près de 40% du cycle de production du MMP en 2025 par rapport à 2022 (34 mois en 2022, 25 mois aujourd'hui et 21 en 2025). Par ailleurs, le missile antichar léger Enforcer, qui a été mis en production de série fin 2023 en Allemagne, doit atteindre une production annuelle à quatre chiffres dès 2026.

En revanche, les objectifs pour réduire les cycles de production du missile antiaérien et antibalistique Aster sont plus difficiles à atteindre en raison d'un programme réalisé en coopération avec l'Italie. « Nous avons progressé plus rapidement avec le Mistral qu'avec l'Aster. Mais nous y travaillons », a reconnu Eric Béranger. L'organisation de la production de ce missile n'est pas optimale avec des composants devant « franchir les Alpes à plusieurs reprises » au cours de sa fabrication. Le ministre des Armées Sébastien Lecornu reproche régulièrement à MBDA les longs délais de production de l'Aster 30, d'une portée de plus de 100 kilomètres. « Nous avons réduit le temps de production des missiles Aster de 26% », a avancé le PDG du missilier. Il fallait compter 42 mois entre la commande et la livraison en 2022, délai qui doit tomber à « moins de 18 mois » en 2026 tandis que les cadences de production doivent augmenter de 50% par rapport à 2022, selon Eric Béranger. In fine, le cycle de production en 2026 sera réduit de plus de deux fois par rapport à 2022.

L'Aster « a été développé pendant la période des dividendes de la paix, pendant laquelle le temps n'était pas important », a rappelé le patron de MBDA. « L'accent était mis avant tout sur la performance et la répartition du travail » entre Français et Italiens.

Enfin, pour le missile britannique surface-air CAMM (Common Anti-Air Modular Missile), un des best-sellers actuel de MBDA, l'objectif est de multiplier les cycles de production par 3 dès 2026 par rapport à 2022.

Comment MBDA va augmenter ses cadences

La solidité financière de MBDA (498 millions de résultat opérationnel courant en 2023) permet à Eric Béranger d'investir avec l'accord de ses trois actionnaires (Airbus, BAE Systems et Leonardo). Outre le recrutement de 2.600 personnes en 2024 (comme en 2023), le missilier, qui emploie déjà 15.000 personnes, est en train d'investir 2,4 milliards d'euros, dont près de 1 milliard d'euros sur les sites français, entre 2023 et 2028. Pour le patron du missilier, ces « 2,4 milliards prévus sont un minimum ».

MBDA doit réfléchir entre prendre plus de risques sur le plan industriel pour capter beaucoup plus de commandes ou finalement augmenter raisonnablement ses cadences de production comme il le fait aujourd'hui. Dans le second cas, le risque à terme est de ne pas pouvoir répondre à tous les appels d'offres demandant des délais de livraisons rapides. Le site anglais de Bolton près de Manchester a pour ambition de doubler sa capacité grâce à un investissement de l'ordre de 500 millions d'euros. En Italie, l'usine de Fusaro va doubler ses capacités de missiles de défense aérienne CAMM-ER grâce à la mise en place d'une nouvelle ligne d'assemblage.

Pour l'heure, MBDA constitue des stocks afin de réduire ses délais de production. Le missilier dispose ainsi de 80 tonnes d'aciers spéciaux en stock « quand nos besoins annuels sont de 4 à 5 tonnes » ainsi que suffisamment de titane pour pouvoir produire « plusieurs milliers de missiles », a-t-il expliqué. « Nous avons augmenté significativement nos réserves de composants électroniques », a-t-il également précisé. S'il ne constate « pas de pénuries », Eric Béranger a toutefois relevé une « grande tension de la chaîne de fournisseurs et nous voyons des délais s'allonger ». Face à cette avalanche de prises de commandes, MBDA doit faire exploser sa production...

Michel Cabirol

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Commentaires 4
à écrit le 15/03/2024 à 18:25
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Il faut remercier les financiers. Après avoir délocalisé et renforcé le pouvoir de nuisance des dictatures. Aujourd'hui, on passe à la caisse. Ce n'est pas l'argent qui pourra créer des capacités de productions en occident.

à écrit le 14/03/2024 à 18:12
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Bonjour, bon ils y a 5 millions de français sans travail, beaucoup ons de beaux bagages intellectuelle... Donc , ils ne devraient pas être difficiles de produire plus... Le problème ne vient ils pas des composants électroniques produite sur l'île d...

le 15/03/2024 à 9:15
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"beaucoup ons de beaux bagages intellectuelle" quel pourcentage ? On va devoir construire des EPR, il faut aussi de bons bagages intellectuels, améliorer l'isolation des logements, construire des électrolyseurs pour produire de l'hydrogène, les gens ...

à écrit le 14/03/2024 à 13:49
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Pas un problème : faites comme toute la fine fleur des grands groupes français : faites fabriquer en Chine. Ils ont des usines là-bas, c'est fou !

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