L'industrie aéronautique, à l'arrêt pour cause de crise sanitaire, joue son avenir sur la transition énergétique. Son image, auprès des jeunes en particulier, s'est dégradée comme le montre le mouvement « honte de prendre l'avion » parti de Suède et elle doit accélérer sa transformation pour ne plus passer pour un « pollueur » et tenir ses engagements de division par deux de ses émissions de CO2 en 2050 par référence à 2005. Pourtant, le secteur s'estime injustement un bouc-émissaire car il ne représente que 2% du total mondial des émissions de gaz à effet de serre, et ses industriels, depuis plusieurs années, investissent massivement pour réduire leur empreinte carbone. Sans doute ont-ils aussi besoin de mieux mener la bataille de la communication.
Réunis pour la première fois tous ensemble à l'occasion du Paris Air Forum, vendredi 20 novembre, à l'initiative de La Tribune, les patrons de Safran, d'Airbus, d'Air France, d'Aéroports de Paris et de Total ont profité de ce débat pour détailler leurs initiatives et leurs avancées, de même qu'ils ont fait part des progrès à réaliser. Non seulement en termes de technologies, mais aussi en matière de réglementation et d'infrastructures. « Au-delà des nouveaux fuselages, plus légers, les avions sont aujourd'hui capables d'incorporer 50% de biocarburants, a ainsi souligné Guillaume Faury, directeur général d'Airbus, or il n'est utilisé qu'à hauteur de 0,01% ». Comment, dès lors, en accélérer l'utilisation ? « Nous savons faire des biocarburants, répond Patrick Pouyanné, PDG de Total, mais il faut une obligation, un mandat pour créer une filière ». Autrement dit, une réglementation plus stricte, de nature à enclencher un cercle vertueux d'offre et de demande.
La major pétrolière, qui a annoncé au printemps dernier son ambition de devenir une entreprise « multi-énergies et d'atteindre la neutralité carbone en 2050, compte ainsi sur la législation européenne, qui devrait être mise en place à la faveur d'un Green Deal, visant à faire de l'Union un continent climatiquement neutre en 2050, puisque le transport aérien a été exclu des Accords de Paris sur le climat en 2015... Et Total se prépare déjà. La société planche sur la production d'hydrogène vert et surtout, elle va convertir sa raffinerie de Grandpuits, en Seine-et-Marne, en site de production de biocarburants. Qui devrait être opérationnel dans quatre ans environ.
Safran, de son côté, travaille à réduire la consommation de fuel, quel qu'il soit, de ses moteurs. « Nous pouvons aller jusqu'à 40 % d'économies sur les avions qui seront mis en service en 2035 », détaille ainsi Philippe Petitcolin, directeur général du groupe. Et là encore, il espère que la réglementation, au moins au niveau européen, récompensera ces investissements, qui ne s'amortissent que sur plusieurs dizaines d'années.
Convertir les flottes
Restera aux compagnies aériennes à convertir leur flotte. Une perspective délicate compte tenu de leur situation financière actuelle. Mais Ben Smith, le directeur général d'Air France-KLM, y travaille déjà, de même qu'il réfléchit au coût pour les voyageurs. La technologie, couplée aux biocarburants, alourdira fatalement le prix. Reste à savoir comment l'absorber, par des économies de carburants certes, avec des avions neufs moins consommateurs, mais aussi sur l'ensemble de l'écosystème, voire sur le prix des billets.
Jusqu'où pourront aller les compagnies aériennes ? En tout cas, Ben Smith ne souhaite pas, comme d'autres le préconisent, qu'un prix plancher soit imposé sur les billets, afin de limiter les activités des compagnies low cost. « Au contraire, la concurrence nous fera progresser », dit-il. Concurrence entre compagnies, mais aussi entre pays. A cet égard, les panélistes se souviennent d'un projet de taxe carbone européenne, abandonnée en 2012, notamment sous la pression américaine. « Il faut au moins une taxe dans l'espace européen », insiste cependant Patrick Pouyanné.
Et au-delà de créer un « level playing field » dans l'Union, les acteurs du secteur aérien estiment que c'est uniquement en faisant bloc, ensemble, qu'ils relèveront les défis climatiques, chacun faisant sa part. Et c'est vrai également pour les aéroports, eux aussi engagés dans la réduction des émissions de Co2, et qui pourront se doter, comme l'envisage Augustin de Romanet, PDG du Groupe Aéroports de Paris, aussi bien de nouveaux modes de traction des avions sur le tarmac que de capacités de stockage d'hydrogène. Car il faut se préparer à l'arrivée de ruptures technologiques : Airbus y travaille avec plusieurs projets d'avions à hydrogène dit ZEROe qui pourraient bien révolutionner la forme des avions et réconcilier transport aérien et écologie. A condition de développer une filière d'hydrogène vert... Bref, pour l'aviation, qui n'a cessé d'innover en un siècle et quelque, c'est à une transition complète qu'il faut s'atteler pour que l'avion continue de jouer son rôle, celui de connecter les cultures et les économies du monde. Au prix le plus bas possible.
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