« Sera maître du monde celui qui sera maître de l'air », écrivait au début du 20e siècle Clément Ader, pionnier de l'aviation, en partant du principe que la liberté d'action dans le domaine aérien et la maîtrise du ciel étaient un préalable à toute action militaire. Ce qui a bien été le cas en Irak ou en Libye, par exemple, où les moyens aériens de la France et de ses alliés leur ont donné un avantage certain pour les opérations. En Ukraine, en revanche, les avions et les hélicoptères de combat sont moins visibles depuis le début de l'invasion...
La défense aérienne a pris le dessus sur les avions
Pourquoi la Russie n'a-t-elle pas eu la maîtrise du ciel ? « La voulait-elle ? », se demande le général Emmanuel Boiteau, général de brigade aérienne et directeur du Centre d'études stratégiques aérospatiales à l'Armée de l'air et de l'espace. De fait, « dans la grammaire stratégique russe, la supériorité aérienne n'est pas spécialement mise en avant. Et l'absence de ce concept de supériorité aérienne lui a été très coûteuse dès le début de l'opération. » Sur la tentative de prise de Hostomel, par exemple.
Cependant, « on ne voit pas tout dans les images relayées à la télévision. Les avions continuent à opérer », nuance-t-il. Ainsi, « vous avez chaque semaine quelques avions et hélicoptères abattus, et quelques centaines de drones, le ciel joue un rôle », précise le général Boiteau. Par ailleurs, « aujourd'hui, dans la défense aérienne, qui englobe tous les moyens - avions de chasse, guerre électronique, systèmes sol-air... -, il y a prépondérance du système défensif sur le système offensif actuellement, et particulièrement en Ukraine », décrypte-t-il. Et puis, rien n'est figé... « Le combat pour la supériorité aérienne continue », avance-t-il.
Faiblesses tactiques et techniques russes
L'Ukraine, justement, s'est montrée résiliente en matière de défense aérienne. « A l'évidence, les Russes ont sous-estimé les Ukrainiens à tous points de vue », confirme le général de division Pierre-Joseph Givre, directeur du Centre de doctrine et d'enseignement du commandement. Or les Ukrainiens, en termes de défense aérienne au sens large du terme, sont très au point. Grâce à leur connaissance de la manière de fonctionner des Russes, « ils se sont préparés, ont dissimulé leurs stocks et leur défense sol-air, entre autres, et ont même fait de la déception », ajoute-t-il.
Dans le même temps, côté russe, une aviation qui ne vole pas la nuit se traduit par peu de vols tactiques, peu de bombes non guidées, avec pour conséquence que les avions doivent voler bas... Et donc une vulnérabilité accrue. « Les pilotes russes sont tombés dans de très nombreuses embuscades tendues par les Ukrainiens », résume-t-il.
Même son de cloche de la part du général Fabrice Talarico, commandant en second de l'ALAT (Aviation légère de l'armée de terre). Si davantage de recul est nécessaire pour des analyses approfondies - « on ne sait pas tout », dit-il - le premier enseignement de cette guerre est que la doctrine russe est en effet très différente de la française. « L'aérocombat à la française, c'est la manœuvre des hélicoptères de l'armée de terre intégrée dans la manœuvre terrestre », explique-t-il. Ainsi, « on évitera les zones de contact autant que faire se peut, car c'est là que se concentre la menace - missiles, drones, artillerie... », détaille-t-il. Autre enseignement, un combat à haute intensité implique « d'intensifier la coopération interarmées », poursuit-il.
« Les Russes ont mal employé les hélicoptères », abonde le général de division (2S pour deuxième section) Patrick Bréthous, conseiller défense du président d'Airbus Helicopters, Bruno Even. « Leurs appareils ne sont pas faits pour du combat haute intensité, dans ce qu'on appelle de nos jours les opérations multi-domaines », avance-t-il. En clair, ils « ne leur permettent pas d'être engagés dans des modes d'action manoeuvrantes, près du sol, la nuit et par mauvaise météo », explique-t-il. Ce qui fait toute la force des hélicoptères occidentaux...
« Chez Airbus Helicopters, nous continuerons à travailler sur une différenciation technologique permettant d'être meilleur que l'adversaire, ce qui passe par les commandes de vol électrique, par de la furtivité, de la légèreté pour nos appareils qui autorisent le vol tactique, un équipement en 100 % vol de nuit, des contre-mesures électroniques, de la liaison de données qui permet le commandement et aussi, ce qui est nouveau, la coopération avec les drones », énumère-t-il.
Couple drone-hélicoptère
Nouveauté en effet, les hélicoptères de combat doivent désormais composer avec l'arrivée des drones sur les champs de bataille. « La complémentarité entre drone et hélicoptère est évidente », affirme Patrick Bréthous. Ainsi, si les drones prennent de la place dans certaines opérations, « les hélicoptères seront toujours utiles pour des raids dans la profondeur, de l'évacuation sanitaire, de la manœuvre logistique, sur les arrières, sur les fronts », dit-il.
Le conseiller défense de Bruno Even en est convaincu. « Il faut absolument que les hélicoptères soient capables au minimum de se coordonner avec des drones et au mieux, d'opérer avec eux », assure-t-il. Autre piste d'avenir, « nous avons déjà mis en place un certain nombre d'automatismes et d'interfaces homme-machine qui permettent de faciliter le pilotage d'un hélicoptère », ajoute-t-il, et donc de détacher le commandant de bord du pilotage pur pour qu'il se consacre entièrement à la mission.
L'humain au cœur de la décision
En fait, tout l'enjeu, dans la guerre de haute intensité et les combats aériens de demain, où la menace ne cessera d'augmenter, sera la place de l'intelligence artificielle et de l'humain. « Il faut qu'on garde l'homme dans la boucle », tranche cependant le général Boiteau. « En cas de brouillage intensif ou d'attaques cyber sur les réseaux, par exemple, là où le combat est le plus âpre, l'humain sera au cœur de la décision - avec ses règles d'engagement et son niveau de risque consenti. L'intelligence humaine sera donc assistée d'IA pour lui apporter de la masse et des capacités supplémentaires. »
Dans cette course de vitesse, « l'IA est incontournable, renchérit le général Givre. Pour cibler tactiquement l'adversaire plus vite qu'il ne nous cible. » Ce qui passe, entre autres, par la captation et l'exploitation de données, puis leur transmission aux effecteurs les plus efficients. En somme, une « IA généralisée », selon son expression, avec, en appui, une hybridation des connectivités et une augmentation des débits pour l'image... Et de conclure : « L'homme va rester dans la boucle pour dire 'go' ou 'no go' ». Car une défaite se résume souvent en deux mots : trop tard...
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