Comment le champagne Billecart-Salmon a tourné le dos à la finance londonienne

SERIE D'ÉTÉ. SAGAS D'ENTREPRISES FAMILIALES DANS LE GRAND-EST (2/4) - Avec 2 millions de bouteilles, sa production n'est pas réellement confidentielle. Le champagne Billecart-Salmon cultive toutefois la réputation de sa rareté, et conforte son implantation dans la haute gastronomie, sous la houlette de Mathieu, qui représente la septième génération.
Mathieu Roland-Billecart, président du directoire de Billecart-Salmon à Mareuil-sur-Aÿ (Marne).
Mathieu Roland-Billecart, président du directoire de Billecart-Salmon à Mareuil-sur-Aÿ (Marne). (Crédits : Olivier Mirguet)

Il a mis un terme volontaire à sa carrière débutée dans la finance londonienne pour rentrer au bercail. En accédant début 2019 à la direction de la maison de champagne familiale à Mareuil-sur-Aÿ, après le départ en retraite de son oncle, Mathieu Roland-Billecart a renoué avec l'environnement de son enfance et embrassé un métier qu'il jugeait "plus tangible". Le septième dirigeant de Billecart-Salmon ne s'en plaindra pas. "La gestion d'une maison de champagne n'est pas un sprint, mais un marathon", prévient-il. "A Londres, où j'étais associé en charge des fusions et des acquisitions chez EY, mes clients attendaient leur réponse sous deux heures. Ici, je travaille pour produire des vins toujours meilleurs et pour transmettre l'entreprise à la huitième génération", philosophe-t-il. La finance n'a plus la priorité.

La maison Billecart-Salmon est née en 1818, fondée par deux familles de notables présentes depuis plus de 200 ans dans ce petit village au bord de la Marne. "Au XIXe siècle, le champagne, c'était comme une start-up aujourd'hui. Une activité extrêmement risquée. Après une mauvaise récolte, en une seule saison, on risquait de tout perdre, tout pouvait s'écrouler", reconnaît Mathieu Roland-Billecart.

2 millions de bouteilles par an

En dépit des alertes sanitaires récurrentes sur le vignoble champenois, et au-delà des aléas politiques et économiques qui ont pesé sur ses principaux marchés à l'export (Etats-Unis, Royaume-Uni), la maison se porte bien : 70 millions d'euros de chiffre d'affaires, une production stabilisée autour de 2 millions de bouteilles et une clientèle prête à régler le prix fort. Les ventes sont restées stables en 2020. "Nous n'avons pas souffert du Brexit, bien que la dévaluation de la livre ait amené les Britanniques à payer leurs bouteilles 25 % plus cher. Dans la mesure du raisonnable, nos clients ne sont pas trop sensibles au prix de vente de notre champagne", observe Mathieu Roland-Billecart.

Indépendant sur un marché de niche dominé par des groupes de luxe intégrés, Billecart-Salmon maintient son organisation en circuit court. Les bases d'approvisionnement en raisins sont concentrées dans un rayon d'une vingtaine de kilomètres autour de Mareuil-sur-Aÿ. L'équipe viticole exploite 225 hectares, auxquels s'ajoutent 75 hectares apportés par des tiers sur la base de contrats d'achat pluri-annuels. Le Clos Saint-Hilaire, parcelle d'un hectare située au centre du village et plantée de pinot noir, fait office de vitrine bio. Ses raisins sont vinifiés à part et les bouteilles produites ne sont vendues qu'à des collectionneurs, sur allocation (390 euros l'unité). Le pressoir se trouve à portée de vue de la demeure familiale, la technologie se veut discrète. Un chai climatisé est dédié au vieillissement en barriques à basse température et un second, résolument high tech, a été inauguré en 2018, année du bi-centenaire. Ses 24 foudres sont pilotés à distance pour assurer une température constante de 12 degrés.

Dégustation en famille

"Tout commence toujours par la vigne. On est seulement des vignerons qui ont réussi", plaisante Mathieu Roland-Billecart. "Notre comité de dégustation rassemble des membres de la famille sur trois générations, dont le grand-oncle âgé de 96 ans, mais aussi l'ancien chef de cave. On y décide des assemblages, des durées de vieillissement, des dosages", explique-t-il.

De quelle marge de manœuvre peut-on disposer dans une entreprise familiale, pour imposer sa marque après sept générations ? "Si mes trois grands-oncles disent qu'il faut aller à droite et que je pense que ce serait mieux à gauche, finalement j'irai quand même à droite", reconnaît Mathieu Roland-Billecart, dont la nomination à la présidence de l'entreprise a été suivie immédiatement par la crise du Covid. "L'endettement représente entre 50 % et 60 % des stocks et des investissements", rappelle l'ex-financier. "Les stocks représentent six années de production, soit entre 10 et 12 millions de bouteilles tirées. Je serais incapable en une seule génération de produire un tel stock". Si les visiteurs et les clients ne sont accueillis que sur rendez-vous, la boutique en ligne est opérationnelle depuis 2018. "La demande est supérieure à ce que nous pouvons vendre", reconnaît Mathieu Roland-Billecart. La priorité est accordée aux restaurants gastronomiques, reconnus "fidèles" à l'instar de la table d'Anne-Sophie Pic à Valence, cliente depuis 1959. "Nous refusons de payer pour être référencés dans le circuit CHR, comme le font certains concurrents", prévient Mathieu Roland-Billecart.

Accueillir les visiteurs

La holding familiale, qui regroupe une vingtaine d'actionnaires, a laissé entrer voici une quinzaine d'années un actionnaire extérieur minoritaire, le groupe Frey, présent aussi dans les vignobles du Médoc, la Bourgogne et la vallée du Rhône. "Frey nous a apporté 85 hectares de vignes. C'est une denrée rare", souligne Mathieu Roland-Billecart, qui entend investir chaque année entre 6 millions et 8 millions d'euros pour mener à bien une stratégie d'achat de parcelles, alors qu'un hectare peut valoir jusqu'à 2 millions d'euros. Pour diversifier sa clientèle, le jeune (40 ans) président du directoire promet de s'intéresser tout autant à la Chine, qui représente seulement 3 % des débouchés, qu'à la clientèle de proximité. "Avant la crise du Covid, nous refusions neuf demandes de visites sur dix. Nous allons aménager un espace dédié aux visiteurs sur 800 mètres carrés au centre du village, pour 4 millions d'euros", annonce-t-il.

Pas question, toutefois, de s'engouffrer dans les activités en vogue de l'œnotourisme en Champagne. "Il n'y a pas de place pour un hôtel chez nous", prévient Mathieu Roland-Billecart.

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