Havana Club : Bacardi refuse de céder face à Pernod Ricard

L'ancien roi cubain du rhum, qui aujourd'hui produit depuis Porto Rico, a annoncé avoir saisi un tribunal de Washington. Il s'oppose à une dernière décision des autorités américaines qui autorise la commercialisation aux Etats-Unis de la marque Havana Club par une co-entreprise entre Pernod Ricard et l'entreprise d'Etat cubaine Cuba Ron, une fois que l'embargo contre l'île communiste sera levé. Bacardi affirme avoir été exproprié de cette marque.
Giulietta Gamberini
Depuis 1993, lorsque Cuba Ron s'est associé dans le cadre d'une joint-venture avec Pernod Ricard pour une reprise en main de la marque Havana Club, ses ventes ont explosé en Europe. (Photo: dans un bar de la Havane, des bouteilles de rhum décorées avec les drapeaux américain et cubain, en novembre 2015)

La guerre qui oppose Bacardi à la joint-venture entre l'entreprise d'Etat cubaine Cuba Ron et Pernod Ricard, concernant l'utilisation aux Etats-Unis de la marque Havana Club, n'est pas close. Bacardi a annoncé mardi 15 mars s'être opposé à la dernière décision en la matière, prononcée en janvier par le bureau des marques et des brevets des Etats-Unis (USPTO).

Sur fond de réchauffement des relations diplomatiques entre La Havane et Washington, cette autorité a en effet finalement reconnu le droit du gouvernement cubain de vendre son rhum Havana Club sur le territoire américain dès que l'embargo contre La Havane sera levé, et ce (après une deuxième décision prononcée en février), jusqu'en 2026. Or, Bacardi, qui s'était immédiatement opposé à cette décision devant le Bureau américain pour le contrôle des avoirs étrangers (OFAC), vient de déposer un recours devant un tribunal de Washington dans lequel il affirme être propriétaire de la marque. Le vice-président du groupe, Rick Wilson, s'en est expliqué dans un communiqué:

"Nous sommes vraiment désolés de devoir utiliser le temps et les ressources du système judiciaire américain", a-t-il déclaré, tout en estimant nécessaire de faire respecter les droits "de ceux qui ont été victimes de confiscations de leurs biens" après la révolution castriste de 1959.

 Une marque nationalisée par Castro

Créée à la fin du XIXe siècle à Cuba par un industriel du sucre, puis nationalisée après la révolution menée en 1959 par Fidel Castro, la marque Havana Club est, pendant des décennies, restée confidentielle en dehors des pays de l'ancien bloc soviétique. Ce qui a permis à l'ancien roi du rhum cubain, Bacardi, exilé aux Bermudes après l'arrivée au pouvoir de Fidel Castro, et qui affirme avoir acheté les droits sur la marque avant l'avènement au pouvoir des "Barbudos", de commercialiser son nectar sous ce nom aux Etats-Unis. Même si les autorités castristes avaient réussi, dès 1976, à enregistrer la marque aux Etats-Unis, Bacardi y était protégé par l'embargo imposé depuis 1962 par le gouvernement américain contre l'île communiste.

La situation s'est corsée en 1993, lorsque Cuba Ron s'est associée dans le cadre d'une joint-venture avec Pernod Ricard pour une reprise en main de la marque. Grâce au savoir-faire commercial du géant français des spiritueux, les ventes ont explosé en Europe, où le rhum est exporté à travers un organisme nommé Cubaexport.

Une autre marque, Havanista, enregistrée par Pernod Ricard et Cuba Ron

Dès 1998, Bacardi est alors parvenu à obtenir l'adoption d'une loi (dite "Bacardi Bill") soumettant l'enregistrement de toute marque précédemment nationalisée à une autorisation de l'administration américaine. La joint-venture franco-cubaine Cuba Ron-Pernod Ricard, qui devait renouveler l'enregistrement de la marque Havana Club tous les dix ans depuis 1976, a donc pu le faire en 1986, 1996, mais pas en 2006, à cause de ce Bacardi Bill. Tout se battant en justice contre le caractère rétroactif de cette loi -dans le cadre d'un contentieux arrivé jusqu'à la Cour suprême, qui, en 2012, s'est déclarée non apte à l'examiner-, Cuba Ron et Pernod Ricard ont aussi enregistré aux Etats-Unis une autre marque, Havanista, afin de pouvoir quand même y distribuer leurs produits dès la levée de l'embargo. Les enjeux sont énormes, comme l'expliquait en 2015 à "La Tribune" Jérôme Cottin-Bizonne, directeur de la joint-venture:

"Le marché américain du rhum (...) est non seulement le premier du monde, totalisant à lui seul 40% des ventes globales, mais il est aussi souvent celui qui dicte les tendances. Même si nous sommes déjà présents dans plus de 120 pays, y accéder permettrait ainsi à la marque de devenir véritablement globale."

La levée de l'embargo incertaine

Mais, même si Havana Club, qui dit "être en train d'analyser" le contenu de la plainte déposée à son encontre par Bacardi le 15 mars, parvenait à gagner cette énième bataille judiciaire - bataille qui porterait donc sur la question de fond de la propriété de la marque-, la solution du conflit, comme son origine, sera essentiellement politique. Pour que la commercialisation du rhum cubain aux Etats-Unis soit effective, il faudra en effet que l'embargo contre l'île soit levé. Or, malgré les divers allègements des restrictions commerciales contre La Havane décidés par Obama -qui se rend le 20 mars à Cuba pour la première visite d'un président américain sur l'île communiste depuis 1928-, cette mesure ne peut être levée que par le Congrès, aujourd'hui dominé par les républicains.

A quelques mois de la présidentielle qui désignera son successeur, Obama s'est néanmoins dit optimiste, déclarant le 14 mars dans un entretien accordé à la chaîne CNN en espagnol:

"Je suis profondément convaincu qu'à un moment durant le mandat du prochain président, qu'il soit démocrate ou républicain, l'embargo sera effectivement levé (...)."

Giulietta Gamberini

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