Groupe Bouygues : Olivier Roussat, un directeur général résilient

Olivier Roussat a fait ses preuves lors des crises qu’il a traversées chez Bouygues depuis ses débuts, il y a près de trente ans.
Olivier Roussat dans les locaux du siège du groupe, à Paris, le 14 mai.
Olivier Roussat dans les locaux du siège du groupe, à Paris, le 14 mai. (Crédits : © LTD / Albert Facelly pour La Tribune Dimanche Paris)

C'est l'un des patrons les plus discrets du CAC 40. Direct, efficace, tenace, et de son propre aveu parfois rancunier, Olivier Roussat se tient à l'écart des cercles huppés pourtant prisés de beaucoup de dirigeants français. Il faut dire que cet ingénieur de 59 ans occupe une place un peu à part dans cet univers. Nommé directeur général du groupe Bouygues en 2021, il pilote en effet un géant mondial, mais aussi une entreprise familiale. Et pas n'importe laquelle. Ce champion du BTP fondé en 1952 par Francis Bouygues et qui s'est diversifié depuis dans les médias, les télécoms, l'énergie et les services possède l'une des cultures internes les plus fortes, tous secteurs confondus. En outre, Martin Bouygues, 72 ans, demeure président de l'ensemble, alors que deux de ses enfants travaillent dans le groupe depuis plusieurs années.

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« Olivier Roussat ne cherche pas à être le maître du palais, estime un proche qui connaît bien l'entreprise. Il respecte la légitimité familiale tout en écrivant sa propre histoire. » Venu en 1995 d'IBM, ce diplômé de l'Insa de Lyon est entré dans le groupe chez Bouygues Telecom, une filiale créée un an plus tôt par Martin Bouygues : « J'avais déjà une expérience de la gestion d'équipes chez IBM, où j'avais entre autres travaillé sur l'ancêtre d'Internet. Ma mission consistait à prendre en charge le "cockpit", c'est‑à‑dire le centre de fonctionnement de ce nouvel opérateur. » À l'époque, BT ne compte que six techniciens de maintenance, et la France deux autres opérateurs : l'historique France Télécom et SFR, lancé en 1987. Olivier Roussat grimpe les échelons rapidement, du moins selon les critères du groupe, où les progressions fulgurantes ne sont pas le genre de la maison. Nommé directeur réseau en 2003, il rejoint le comité de direction de Bouygues Telecom la même année.

« J'ai eu de la chance », assure ce père de deux enfants pour expliquer son ascension régulière. Le 17 novembre 2004, sa « chance » se traduit paradoxalement par une gigantesque panne de l'opérateur. De 5 h 50 du matin à minuit ce jour-là, BT ne répond plus. Le sujet fait l'ouverture des journaux télévisés mais permet au jeune ingénieur de rencontrer le PDG du groupe. « C'est la façon dont cette panne a été gérée qui m'a fait connaître », raconte-t-il.

Un lien se noue entre le grand patron et celui qui deviendra PDG du pôle télécoms en mai 2013. Il ne se démentira pas, au contraire, au fil d'autres crises intenses, provoquées d'abord par l'arrivée en 2012 d'un quatrième opérateur - Free - qui déclenche une guerre des prix avec ses tarifs plus bas que ceux de ses concurrents, puis par l'échec du rachat de SFR suivi par celui de la fusion avec Orange. Il faut restructurer. En deux plans successifs, l'entreprise se sépare de 2 000 salariés, sur un effectif total de 6 000 personnes. Beaucoup doutent de ses capacités de survie. Olivier Roussat élabore un plan de redémarrage à trois ans, qui atteint son objectif avec un an d'avance. « Il maîtrise jusqu'à la troisième décimale d'un modèle financier », souligne un ancien du groupe.

« Je l'ai rencontré chez Bouygues Telecom, se souvient Grégoire Chertok, la star des fusions-acquisitions, associé gérant chez Rothschild & Cie. Je l'ai vu grandir et prendre sa place. De l'épaisseur et du charisme. Il a une qualité assez rare : celle d'être un homme de détails mais doté d'une vision globale. » Pour le banquier, Bouygues est une exception française au sens où le groupe offre à ses salariés la possibilité d'y effectuer une carrière entière, y compris jusqu'au sommet, comme dans nombre d'entreprises allemandes. L'actuel DG de Bouygues en est la preuve.

Martin Bouygues, pour sa part, a très tôt réfléchi à sa succession et a tiré parti de ses voyages pour rencontrer de « hauts potentiels ». Notamment lors de son rituel périple en Asie au début du printemps. Olivier Roussat fait partie des invités, avant d'en devenir l'un des piliers à partir de 2015. La « chance », là encore, lui permettra de grimper lors de réorganisations internes successives. « Mon âge a souvent joué en ma faveur », confie-t-il. Ses résultats plaident pour lui, ainsi bien entendu que sa capacité de travail et son calme face aux tempêtes. Le dirigeant, très tôt sensibilisé à l'équilibre hommes-femmes au sein des entreprises, a également su féminiser un groupe initialement né dans la construction, secteur masculin s'il en est. « Il a de vraies valeurs humaines, précise Richard Viel, aujourd'hui président du PMU et ancien PDG de Bouygues Telecom. Ceux qui en étaient dépourvus, il s'en est séparé. Il est aussi patient qu'exigeant. Ses années chez IBM lui ont inculqué la culture du résultat. » « Je me moque des études qu'ont faites les uns ou les autres, assène le DG du groupe. Ce qui compte, c'est leur capacité à travailler ensemble. Je ne crois pas au génie solitaire. »

Artisan au côté de Martin Bouygues de la conquête d'Equans, spécialisé dans l'électricité et les services aux entreprises (ex-filiale d'Engie), Olivier Roussat a signé une profonde transformation du groupe depuis l'acquisition de l'entreprise en octobre 2022. Au moment où Bouygues Immobilier subit le contrecoup des difficultés du secteur, ce sixième métier a permis au groupe de réaliser une très bonne année en 2023, avec une hausse de 26% du chiffre d'affaires. En cas de crise future, le DG a l'expérience requise.

En chiffres

56 milliards d'euros, le chiffre d'affaires en 2023

1,04 milliard d'euros, le résultat net en 2023

13,55 milliards d'euros, la capitalisation boursière

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