Martin Bouygues : « Un successeur ne doit pas être l’ombre portée de celui qui l’a choisi »

ENTRETIEN - En exclusivité pour La Tribune Dimanche, Martin Bouygues, 72 ans, explique pourquoi il a choisi de nommer Olivier Roussat directeur général en 2021.
Martin Bouygues, président du groupe Bouygues
Martin Bouygues, président du groupe Bouygues (Crédits : DR)

Il a succédé en 1989 à son père Francis à la tête du groupe familial, géant mondial du BTP et des services multitechniques. En exclusivité pour La Tribune Dimanche, Martin Bouygues, 72 ans, explique pourquoi il a choisi de nommer Olivier Roussat directeur général en 2021.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous êtes le président d'un groupe familial. Comment réfléchissez-vous à votre succession ?

MARTIN BOUYGUES - Transmettre ce qu'il avait construit était fondamental pour mon père. Certains entrepreneurs qu'il admirait n'avaient rien organisé pour qu'on prenne leur suite. Leurs sociétés ont disparu. Ces situations ont renforcé sa conviction qu'il était indispensable de préparer l'avenir. Mon père avait à l'époque des problèmes de santé. Face au temps qui passe et à la fragilité des choses, tout faire pour éviter que Bouygues ne devienne vulnérable était pour lui une préoccupation constante. Je n'étais pas le successeur pressenti, le capital familial était très réduit, et, pour autant, les choses se sont plutôt bien passées. Cette préoccupation est aussi la mienne et m'habite depuis longtemps. J'ai toujours beaucoup réfléchi à la suite.

Comment avez-vous procédé pour identifier d'éventuels successeurs ?

En cherchant à rencontrer et à connaître de jeunes talents en interne, notamment lors de déplacements de plusieurs jours à l'étranger : en une semaine, on a le temps d'échanger et d'aborder différents sujets. Cela me permettait de me forger une opinion sur chacun d'entre eux. Parallèlement, il y a une quinzaine d'années, Bouygues Telecom a été confronté à de graves difficultés. J'avais créé cette activité. L'enjeu était donc important à titre personnel comme pour l'ensemble du groupe. Olivier Roussat en était alors le directeur général. Il est venu me présenter son plan stratégique, qui a parfaitement fonctionné. Ce moment a évidemment marqué notre relation. Il y a sept ans, j'ai pris la décision de proposer au conseil d'administration de le nommer directeur général délégué. Puis directeur général en février 2021.

Quels atouts vous ont impressionné chez lui ?

Olivier est quelqu'un d'une grande intelligence, avec une finesse d'analyse. Il sait garder son calme face à l'adversité et dispose d'une très grande qualité d'écoute. Prendre le temps d'écouter est essentiel. Avant, éventuellement, de débattre des sujets. Il est très attaché aux valeurs familiales, ainsi qu'à la structure familiale du groupe. Chez Bouygues, la culture interne est très forte. On porte une flamme, qui doit être le plus vive possible, partagée par tous. Olivier a parfaitement compris cela. Il est de surcroît très loyal, mais cette loyauté est mutuelle. Ce qui est très rassurant pour tous les collaborateurs.

Le meilleur moyen d'empêcher quelqu'un de réussir est d'être sur son dos en permanence

Avez-vous été très présent à ses côtés ?

Au contraire. Le meilleur moyen d'empêcher quelqu'un de réussir est d'être sur son dos en permanence. Il faut accepter la répartition des rôles et qu'un successeur potentiel ne soit pas l'ombre portée de celui qui l'a choisi. En 2021, j'ai estimé qu'il était temps de dissocier les fonctions de président et de directeur général. Par ailleurs, j'ai la chance d'avoir développé d'autres activités avec mon frère, ce qui me permet de ne pas m'ennuyer !

Depuis sa nomination comme directeur général, quels ont été les moments clés ?

L'offre de rachat d'Equans et son intégration dans le groupe en octobre 2022, bien sûr. Olivier s'y est énormément impliqué. C'est à lui qu'en revient la paternité. Pour le développement de Bouygues, c'est une étape formidable. L'intégration se fait très bien, et les résultats sont déjà là, même s'il faudra attendre quelques années pour que tous les effets de cette acquisition soient pleinement perceptibles.

Vous parlez-vous beaucoup ?

Nous avons une réunion hebdomadaire, ainsi que de multiples contacts téléphoniques. Nous nous connaissons depuis trente ans, ce qui fluidifie évidemment nos échanges. J'ai beaucoup d'admiration pour lui, parce qu'il a conservé ses valeurs et gardé les pieds sur terre. Nous avons tous les deux pris un risque. Je lui suis reconnaissant de ne pas m'être trompé. Avant de rejoindre Bouygues, Olivier travaillait chez IBM, une autre entreprise à la culture interne très forte, ce qui a tout de suite créé des liens. Aujourd'hui, alors que le groupe emploie plus de 200 000 collaborateurs, transmettre cette culture à tous n'est pas simple. C'est pour cette raison que j'en rencontre certains chaque semaine, dans tous les métiers, et que je participe à certains séminaires de formation. Olivier s'implique beaucoup aussi. C'est essentiel, même si cela prend du temps. Je me souviens qu'à mes débuts, où pas grand monde n'avait parié sur moi, de nombreux collaborateurs m'ont aidé, ce qui a fait toute la différence. La transmission continue.

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Commentaires 2
à écrit le 28/05/2024 à 10:21
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L'entreprise Bouygues domine le BTP Français depuis plus de 50 ans, que ce soit en qualité, en gestion du personnel, en formation ou en accueil sur les chantiers. On ne peut que saluer ces entrées fracassantes et réussies, dans l'audiovisuel ou les t...

à écrit le 26/05/2024 à 9:07
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"Prendre le temps d'écouter est essentiel." En effet on se demande bien d'ailleurs pourquoi les dirigeantes économiques n'écoutent jamais leurs employés et les dirigeants politiques n'écoutent jamais les français ! Cocasse d'affirmer qu'il faut de l'...

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