À Port-Jérôme, ExxonMobil précipite la transition de l’or noir vers l’or vert

Les annonces simultanées, hier, de l’américain ExxonMobil et du belge Futerro valident la stratégie de décarbonation menée tambour battant dans cet émirat pétrolier de la basse Seine. Récit d’une journée particulière.
Après avoir arrêté ses unités de production de Butyl (en 2014) et de caoutchouc synthétique (en 2020), ExxonMobil va arrêter son vapocraqueur et deux unités de fabrication de polyéthylène et de polypropylène.
Après avoir arrêté ses unités de production de Butyl (en 2014) et de caoutchouc synthétique (en 2020), ExxonMobil va arrêter son vapocraqueur et deux unités de fabrication de polyéthylène et de polypropylène. (Crédits : DR)

Place forte du raffinage et de la pétrochimie depuis plus d'un siècle, le complexe industriel de Port-Jérôme en Seine-Maritime a été plongé ce jeudi (11 avril) dans une sorte de précipité de la transition post-fossile. À 10h ce matin-là, c'est le choc. Depuis un hôtel de La Défense, ExxonMobil annonce la fermeture de toutes les unités liées aux pétro-plastiques de sa raffinerie normande et la suppression de 650 emplois dans les deux ans. « Un tsunami », s'étrangle un représentant du personnel dans les médias.

Chimie verte versus pétrochimie

Changement d'ambiance deux heures plus tard sur place. Hasard du calendrier, c'est aussi cette date qu'a choisie le patron du groupe belge Futerro pour confirmer une bonne nouvelle. Devant les élus locaux et des journalistes, il réaffirme son intention de construire à quelques encablures de la raffinerie « la première usine européenne de PLA ».

Le bioplastique sera fabriqué à partir de glucose de blé fourni « en circuit court » par l'amidonnerie voisine de Terreos, nous explique t-on. À la clef, un investissement d'un demi-milliard d'euros et la création de 250 emplois en 2027 et 2028. Debout sur l'estrade, Frédéric Van Gansberghe tente de consoler un auditoire un peu traumatisé. « Ce passage du carbone fossile à la chimie du végétal va dans le sens de l'histoire. C'est la voie à suivre pour l'industrie européenne », fait-il valoir.

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À ses côtés, la présidente de l'agglomération Caux Seine n'a pas vraiment le cœur à la fête. Le coup porté par le géant américain est brutal et d'une ampleur à laquelle personne, ici, ne s'attendait. Tout juste anticipait-on des fermetures progressives d'unités. Pour autant, Virginie Carolo s'efforce de voir le verre à moitié plein. Après tout, ne bataille t-elle pas depuis dix ans pour que le complexe industriel de Port-Jérôme se départisse de son addiction à l'or noir, d'où l'accueil en mode tapis rouge réservé à Futerro ? « On vit une accélération dans le timing des transitions, commente-t-elle avec un sourire crispé. Cette journée paradoxale nous donne raison... Un peu trop tôt ».

Car l'intéressée le sait bien. Le temps que l'un parte et que l'autre arrive, « cela va secouer humainement, économiquement et fiscalement ». Derrière la plateforme pétrochimique d'ExxonMobil gravite, en effet, une galaxie de TPE et de PME sous-traitantes souvent mono-client. « Il faut multiplier au moins par trois les emplois menacés sans compter l'impact sur les commerces », calcule tout haut un bon connaisseur de la place.

Le désengagement de la major américaine est aussi synonyme de moindres rentrées fiscales pour les collectivités : plusieurs millions d'euros vont manquer à l'appel. « Certains investissements devront sans doute être différés », prédit-on déjà dans les services de l'agglomération.

« On saura rebondir »

Mais tout le monde dans l'assistance en convient, les plaies se refermeront vite. Bien placée en bordure de Seine à la porte de l'Île-de-France et douée d'une solide antériorité industrielle, Port-Jérôme sait hameçonner les investisseurs. « Nous sommes approchés chaque semaine par au moins un industriel », nous rappelle sans forfanterie Gilles Carpentier, directeur de l'agence de développement économique. De fait, les annonces pleuvent ces derniers mois.

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Outre Futerro, Eastman (dont le nouveau patron pour la France était présent hier aux côtés des élus) doit y construire, pour un milliard d'euros, une gigantesque usine de recyclage de recyclage moléculaire du plastique. Celle-ci voisinera avec le futur méga-électrolyseur d'hydrogène d'Air Liquide dont les travaux sont lancés. Ajoutons-y les investissements millionnaires programmés par Oril pour accroitre ses capacités. Et la liste n'est pas exhaustive. « On saura rebondir, assure Virginie Carolo avec la foi du charbonnier. La difficulté va être de gérer le tuilage entre les projets dans un laps de temps plus court que prévu ».

Le matin même, la préfecture de Seine-Maritime a promis que l'Etat soutiendra « le moment venu » toutes les initiatives « de redynamisation économique ». Pendant ce temps dans la salle, certains soulignent que la déconstruction des unités pétrochimiques promise par ExxonMobil constituera « une opportunité » à l'heure du Zéro Artificialisation Nette. « Le chantier va occuper beaucoup de monde et libérer au moins une quarantaine d'hectares », glisse un élu à La Tribune. Là encore, une façon de voir le verre à moitié plein.

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Commentaires 5
à écrit le 13/04/2024 à 10:06
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ExxonMobil a compris que le pétrole était un grand péché en Europe, et s'en va peu à peu, sur la pointe des pieds, pour ne pas énerver les fanatiques du réchauffement climatique.

à écrit le 13/04/2024 à 9:11
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C'est cool

à écrit le 13/04/2024 à 1:08
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Coup dur pour la CGT, ce serra dur de retrouver des jobs aussi bien rémunérés pour les nantis du pétrole .

à écrit le 12/04/2024 à 17:11
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Ouf...La malédiction du pétrole s'éloigne. On n'en a pas terminé, mais c'est un progrès.

le 12/04/2024 à 18:10
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Allez dire cela à ceux qui vont être au tapis? Il n'y a aucun secteur industriel qui paie aussi bien es salariés que le pétrole. Quand on aura fermé les dernières raffineries, il y en a qui riront jaune. Je me pose d'ailleurs une question. L'Europe s...

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