La mer, trésor français (8/14) : les biotechs marines face au mur de l'argent

[ Série d'été - Hebdo #178 "La mer, terre d'entrepreneurs" ] Les produits issus de la mer offrent des perspectives alléchantes pour mettre des molécules innovantes sur le marché. Mais les biotechs marines françaises sont confrontées au mur de l'argent. Les investisseurs privés sont peu enclins à prendre des risques dans un secteur encore très jeune.
Jean-Yves Paillé
"Tout ce qui vient de la production d'algues est trop souvent négligé par l'industrie pharmaceutique, alors qu'il s'agit d'un secteur d'avenir", regrette Pierre-Olivier Goineau, président de France Biotech.

Rares sont les biotechs développant des molécules issues de la mer à avoir réussi à obtenir une autorisation de mise sur les principaux marchés des médicaments. On compte ainsi moins de dix autorisations par exemple aux États-Unis, entre 1969 et 2015. Les molécules issues de la mer offrent pourtant des perspectives alléchantes. Il est possible d'extraire de la biomasse marine (matière organique) des molécules capables de lutter contre des maladies neurodégénératives ou infectieuses, et contre différents cancers. La France, qui dispose du deuxième domaine maritime au monde, a donc un potentiel immense. « Dans la santé, il y a des gisements de découvertes à faire. Tout ce qui vient de la production d'algues est trop souvent négligé par l'industrie pharmaceutique, alors qu'il s'agit d'un secteur d'avenir », regrette Pierre-Olivier Goineau, président de France Biotech.

Ces produits issus de la mer offrant des perspectives de médicaments à haute valeur ajoutée, plusieurs biotechs françaises s'y sont lancées. « Ces biotechs marines sont considérées comme un élément de croissance à fort potentiel dans différentes études internationales et elles se positionnent dans le créneau "Recherche-Développement-Innovation" mis en avant comme avantage compétitif de l'Europe », souligne un rapport du groupe de réflexion Europole.

Une industrie de taille trop modeste

« C'est une industrie encore jeune, qui s'est lancée à la fin des années 2000 en France », détaille Pierre-Olivier Goineau. Si jeune qu'il est bien difficile de trouver des rapports et des chiffres précis sur ces biotechs marines dans la santé. Robert Gandolfo, responsable du domaine d'action stratégique « ressources biologiques marines » au pôle mer Méditerranée, estime qu'il n'en existe pas plus d'une quinzaine dans l'Hexagone. Ces biotechs françaises sont réparties principalement dans le Grand Ouest, dans la culture des algues notamment, et dans le bassin méditerranéen (algues, corail).

Ces sociétés qui travaillent sur des molécules potentiellement révolutionnaires sont des TPE. Dans un document publié en 2015, Europole déplore leur taille modeste, soulignant qu'elles emploient majoritairement moins de 15 salariés. Et il indique que les biotechs marines du Grand Ouest, « revêtent encore pour un certain nombre d'entre elles un caractère exploratoire ».

Un passage difficile de la recherche au marché

À l'image des biotechs classiques, elles ont du mal à lever des fonds auprès des marchés privés. Mais pour les biotechs marines, cette difficulté est encore plus marquée car, selon Pierre-Olivier Goineau, ces entreprises ont « moins de recul et moins d'histoire. Elles avancent en pionnières, une position difficile. Nous avons pas mal de pépites. Mais lorsque les biotechs marines veulent se transformer en quelque chose de sérieux, elles se heurtent à ces problématiques de financement ».

« Les fonds d'investissement sont peu mobilisés sur les marines », confirme de son côté Europole. Philippe Tramoi travaille lui-même dans une société de capitalrisque, qui investit dans les sciences de la vie et les technologies de l'information et de la communication. Il se montre sceptique quant à l'intérêt pour un fonds d'investissement de miser sur les biotechs marines françaises, même si la France jouit de « côtes dotées d'un fort potentiel en macro et micro-algues ».

« Ces sociétés sont intéressantes, mais le financement de leurs recherches s'élève à plusieurs millions d'euros, ce qui s'avère trop risqué par rapport aux possibilités de réussite », ajoute-t-il. Il déplore également le manque d'organisation au niveau professionnel. « Des clusters se développent, mais il n'existe aucune association. Nous nous trouvons sur un secteur éparpillé. Il faudrait professionnaliser la filière », continue-t-il.

Une complexité technique peu lucrative

Enfin, pour expliquer les difficultés de développement, Robert Gandolfo, du pôle mer Méditerranée, souligne un dernier aspect : les difficultés techniques. Les biotechs marines doivent effectuer d'importantes récoltes en mer. Et ces récoltes, à fort impact écologique, doivent tenir compte des protections de l'écosystème marin. « Auparavant, pour produire un gramme d'une des molécules de PharmaMar, il fallait une tonne de tissu issu d'invertébrés marins », rappelle-t-il.

« En outre, la synthétisation des molécules d'origine marine est compliquée, car ces molécules sont complexes », précise le chef de projet. Néanmoins, certaines biotechs marines françaises, à l'image de ManRos Therapeutics, se lancent dans la synthétisation. Suffisant pour rassurer les investisseurs privés ?

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Jean-Yves Paillé

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Commentaire 1
à écrit le 03/09/2016 à 20:01
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Merci pour cet article. Hé oui les laboratoires pharmaceutiques étant devenus des sociétés financières comme les autres ont abandonné la recherche pour le profit depuis belle lurette.

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