C'est un sujet qui fait désormais consensus : le transport routier, responsable de plus de 25% des émissions de gaz à effet de serre de la France, n'aura d'autre choix que de se transformer rapidement pour respecter les engagements climatiques. Mais la méthode à employer, elle, continue de susciter le débat : faudra-t-il passer au tout-électrique ? « Oui », semble répondre l'Union européenne, laquelle s'apprête à voter un texte clé sur la fin de la vente des voitures thermiques neuves dès 2035, après un accord historique décroché fin octobre. Pourtant, si l'on en croit le dirigeant de la start-up tricolore Global Bioenergies, Marc Delcourt, les véhicules à essence « ont encore de beaux jours devant eux ».
Et pour cause, l'entreprise de biotechnologies espère se tailler une place dans la décarbonation des voitures et des camions, aux côtés des batteries électriques. Elle a annoncé en début de semaine un partenariat avec le géant du pétrole anglo-néerlandais Shell, afin d'« identifier et de développer des méthodes de fabrication » pour créer de l'essence bas carbone. Le principe : générer des hydrocarbures via un processus chimique, à partir de ressources végétales, comme du blé, de la betterave, des copeaux de bois ou de la paille, afin d'éviter de recourir aux combustibles fossiles. Et si l'expérimentation n'en est qu'à ses débuts, avec le lancement par Global Bioenergies d'une unité de 100 tonnes par an, les deux sociétés ont de grandes ambitions, puisqu'elles visent 2000 tonnes par an dès 2025, avant de grimper à 30.000 en 2030.
Hydrocarbures par fermentation
Concrètement, l'idée serait de convertir ces ressources végétales en isobutène, une molécule constituée uniquement d'atomes de carbone et d'hydrogène (ce qui en fait un hydrocarbure, contrairement aux biocarburants « classiques »). « Aujourd'hui, l'isobutène représente un marché mondial d'environ 15 millions de tonnes, mais il est exclusivement issu du pétrole », souligne Marc Delcourt. Pour générer la fameuse molécule sans recourir aux énergies fossiles, Global Bioenergies compte donc mélanger les intrants agricoles avec des micro-organismes, notamment des bactéries, afin d'engager un processus de fermentation en laboratoire.
« Il y a eu une bataille scientifique gigantesque, longue de près de 14 ans, pour que cette innovation puisse avoir lieu. Les bactéries ne fabriquent pas d'hydrocarbure dans la nature, et il a fallu condenser une série d'inventions », explique le dirigeant de GlobalEnergies, qui affirme que c'est une « première mondiale ».
Une fois les molécules d'isobutène obtenues, celles-ci seraient fusionnées dans un catalyseur, via un procédé de chimie vieux de quatre-vingt ans. Le tout permettrait ainsi d'obtenir de « l'essence renouvelable », promet la start-up, avec « environ 2/3 d'émissions de gaz à effet de serre en moins par rapport à la même molécule issue du pétrole ».
Et contrairement au bioéthanol, un carburant routier lui aussi généré à partir de plantes, le produit développé par Global Bioenergies pourrait être injecté dans tous les moteurs thermiques, sans limites d'incorporation. Par ailleurs, il n'y aurait pas non plus besoin d'installer de boitier afin de permettre la conversion, ce qui est nécessaire pour faire le plein en Superéthanol-E85 (qui contient de l'essence et entre 60 et 85% de bioéthanol).
Des émissions de CO2 non intentionnelles
Seulement voilà : comme pour tous les biocarburants, la question des ressources mobilisées sera cruciale. Car l'utilisation de certains intrants végétaux pose problème, notamment ceux issus de cultures dédiées. Et pour cause, changer d'affectation les sols afin de les consacrer à la production de biocarburants engendre des émissions de CO2 non intentionnelles. « Cela peut entraîner de la déforestation et la disparition de réservoirs de carbone », explique-t-on ainsi sur le site du ministère de la Transition écologique. Pire, selon l'ONG bruxelloise Transport et Environnement, l'impact global risque même de s'avérer négatif :
« Les terres utilisées pour des cultures telles que le blé, le maïs ou la betterave sucrière [...] pourraient apporter une contribution bien plus importante à l'atténuation du changement climatique si elles étaient reconverties en végétation naturelle, des forêts dans la plupart des cas », affirmait l'association en septembre dernier.
Appelés biocarburants « de première génération », ces combustibles provenant de cultures « primaires » se trouvent donc strictement encadrés : leur utilisation dans les transports est plafonnée à 7% dans l'Union européenne, afin d'éviter de nombreux effets pervers. A l'inverse, ceux de « deuxième génération », encouragés par les pouvoirs publics, consistent à valoriser la part non-alimentaire des plantes, les résidus agricoles et les déchets.
Conflits d'usage
Or, l'unité de 100 tonnes par an d' « essence bas carbone » lancée par Global Bioenergies s'appuie directement sur les cultures de blé et de betterave, en se « branchant sur l'agriculture française », reconnaît Marc Delcourt. Dans le secteur où la start-up est aujourd'hui la plus présente, celui des cosmétiques via un partenariat avec l'Oréal, elle n'utilise d'ailleurs que des intrants de première génération. « L'industrie se met en place. Aujourd'hui, le monde produit 150 millions de tonnes de sucre de première génération, pour quelques dizaines de milliers de tonnes de deuxième génération seulement [...] », justifie Marc Delcourt.
Se posera également la question des conflits d'usage, alors que de nombreux secteurs comptent sur le recours aux biocarburants afin de se décarboner. Et notamment l'aviation, dont la voie vers l'électrique ou l'hydrogène paraît semée d'embûches. Plutôt que sur les carburants routiers, Global Bioenergies compte d'ailleurs se positionner « en priorité sur l'aérien », affirme Marc Delcourt. La start-up tricolore a ainsi livré mercredi un lot de 200 litres de carburant d'aviation durable (SAF) à l'Armée française pour des évaluations, et devrait recevoir en décembre une certification mondiale pour son biokérosène.
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