
C'est l'heure des résultats annuels pour Total. Et aussi celle des remises en cause. Comme toutes les grandes majors pétrolières, le groupe a été particulièrement touché par la crise sanitaire, qui a largement affecté la demande mondiale, alors que le secteur était déjà miné par une guerre des prix féroce entre l'Arabie Saoudite et la Russie.
Résultat plombé par les dépréciations d'actifs
Conséquence, le groupe passe dans le rouge en 2020 avec une perte record de 7,2 milliards de dollars, contre un bénéfice de 11,2 milliards en 2019. Le résultat, dévoilé ce 9 février, est notamment plombé par les dépréciations exceptionnelles d'actifs annoncées en juillet dernier, en raison de la faiblesse des cours et des nouveaux objectifs climatiques. Elles s'élèvent à 10 milliards de dollars et concernent essentiellement les sables bitumineux canadiens.
"Ce qui est important pour nous c'est notre résultat ajusté [qui exclut les éléments exceptionnels et sert de référence, ndlr] de plus de 4 milliards de dollars [soit une chute annuelle de 66%, ndlr], qui traduit une forte résilience", a indiqué Patrick Pouyanné, lors d'une conférence de presse, s'attachant à démontrer les meilleures performances de Total par rapport à ses concurrents.
Les dépréciations effectuées par Total restent en effet inférieures à celles des autres supermajors. A titre d'exemple, sur le seul quatrième trimestre de l'année 2020, l'américain ExxonMobil a procédé à une dépréciation de plus de 19 milliards de dollars. Le géant pétrolier, qui fut il y a quelques années la société la plus chère du monde, a subi une perte colossale de 22,4 milliards de dollars en 2020. De son côté, BP a fait état d'une perte de 20 milliards d'euros et Shell de 21,7 milliards de dollars. Seul l'américain Chevron fait mieux que Total avec une perte de "seulement" 5,5 milliards.
Produire plus d'énergie avec moins d'émissions
Cette double crise a eu un autre effet majeur : elle a poussé Total à accélérer sa transition énergétique. A l'automne dernier, le groupe a ainsi dévoilé un plan stratégique multi-énergie qui doit lui permettre d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Concrètement, l'entreprise vise la production de 35 GW d'énergies renouvelables d'ici à 2025 dans le monde, avec l'ambition que sa production d'énergies renouvelables atteigne 40% du total de ses ventes d'ici à 2050.
Ainsi, en 2020, Total a maintenu ses investissements dans les renouvelables à plus de 2 milliards de dollars, sur un budget d'investissement total qui, lui, a été revu à la baisse, passant de 18 à 13 milliards. Fin 2020, Total affichait ainsi une capacité de production de 7 GW dans le solaire et l'éolien.
Et, en 2021, la cadence s'accélère. Le groupe a d'ores et déjà annoncé plus de 10 GW de projets additionnels. Depuis le début d'année, pas une semaine ne passe sans que Total fasse une nouvelle annonce dans les renouvelables : acquisition de Fonroche biogaz, le champion français de gaz renouvelable, production d'hydrogène vert pour sa bioraffinerie de La Mède en partenariat avec Engie, création d'une coentreprise aux Etats-Unis pour y développer massivement le solaire, investissement de plus de 2 milliards en Inde pour développer l'énergie solaire en partenariat avec Adani et projet éolien en mer de 1,5 GW au Royaume-Uni.
Hausse de la cadence en 2021
En moins de deux mois, les investissements dans les renouvelables ont déjà dépassé ceux de 2020. Sur 12 milliards d'investissements prévus au minimum en 2021, Total prévoit d'investir plus de 20% dans les renouvelables et l'électricité, contre un peu plus de 10% prévus l'année passée.
"Si nous avons du cashflow supplémentaire, la priorité sera le désendettement de l'entreprise pour que le ratio passe en dessous des 20%, puis nous viserons plus d'investissements dans les énergies renouvelables. Les 20% d'investissements pourraient ainsi tangenter les 25%", a précisé le patron du groupe.
Toutefois, dans un second temps, un certain nombre de puits de pétrole pourraient aussi être remis en route.
Pour mieux refléter cette transition énergétique, Total entend changer de nom et se rebaptiser TotalEnergies. "Energies" avec un "s" devant traduire la diversification de Total dans l'électricité et les énergies renouvelables.
"Nous voulons ancrer la réalité de la transformation du groupe dans notre identité. Nous ne voulons plus croître dans le pétrole, mais dans le gaz, les énergies renouvelables, l'électricité et les puits de carbone", a déclaré Patrick Pouyanné.
Un changement de nom déjà critiqué
Pas même approuvée par les actionnaires, qui devront se prononcer le 28 mai prochain lors de l'Assemblée générale, cette communication est déjà critiquée par les ONG environnementales. Les Amis de la Terre dénoncent ainsi une opération de greenwashing. "Total n'est pas un acteur de la transition et rajouter quelques lettres à son nom n'y changera rien", assure l'association, dont les militants manifestaient ce matin aux côtés des syndicats devant le siège de Total à La Défense, pour contester le projet de reconversion de la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne).
Le site doit notamment se tourner vers la production de biocarburants pour l'aviation et de bioplastique (c'est-à-dire du plastique dépourvu de pétrole). Un projet qui pourrait entraîner la suppression de 150 postes, selon le plan prévu par Total. Un chiffre contesté par la CGT, qui estime que 700 emplois directs et indirects seraient menacés. L'ONG environnementale remet elle en question les vertus écologiques de ce projet et entend proposer une piste alternative.
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Encadré
Produire de l'hydrogène à grande échelle
En partenariat avec Engie, Total a officialisé un premier projet de production d'hydrogène vert dans sa bioraffinerie de la Mède (Bouches-du-Rhône). "Un premier projet de 150 à 200 millions d'euros", a précisé Patrick Pouyanné. Le groupe n'a pas souhaité communiquer sur le montant de ses investissements à venir dans l'hydrogène vert ou décarboné, mais devrait annoncer d'autres projets en 2021. Sur ce terrain, "Total doit se positionner comme un producteur d'énergie à grande échelle", a précisé Patrick Pouyanné. Dans cette optique, le groupe pourrait coupler de grandes fermes d'électrolyseurs (qu'il ne fabriquera pas lui-même) à des grandes fermes solaires ou à des champs éoliens offshore afin de faire baisser les prix. Reste à trouver les grands consommateurs à qui vendre cette énergie.
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