
Une demande « totalement absurde », qui risque de « mener à des faillites », sinon à des « pertes monstrueuses ». Pour qualifier l'annonce d'Emmanuel Macron adressée ce jeudi aux fournisseurs d'énergie, ces derniers ne manquent pas de superlatifs. Et pour cause, il ne s'agirait rien de moins que de faire peser sur leurs épaules l'allègement des charges pour les toutes petites entreprises (TPE), menacées par des factures d'énergie impossibles à payer. Avec, comme conséquence pour les fournisseurs d'énergie, un risque financier majeur pour les moins solides d'entre eux, incapables d'assumer de tels coûts.
En effet, face à la détresse des boulangers notamment, Emmanuel Macron a ordonné publiquement aux fournisseurs d'énergie d'accepter les demandes de renégociation des « contrats excessifs » des petites entreprises, qui subissent des « hausses de prix prohibitives ». Et ce, sans leur imposer des frais de résiliation si celles-ci veulent souscrire, avant la fin du contrat, à un tarif plus avantageux chez un autre opérateur.
« Pour nos bouchers, nos artisans, pour l'ensemble de nos très petites entreprises, tous ceux qui ont négocié des contrats excessifs (...), ce qu'on va demander, dès maintenant, aux fournisseurs d'énergie, c'est de revenir vers chacun (d'eux) et de les renégocier », a-t-il déclaré lors de la traditionnelle cérémonie de la galette de l'Épiphanie, à l'Élysée.
« Tous ces contrats qui sont au-dessus des prix de référence donnés en fin d'année dernière par la Commission de régulation de l'énergie », c'est-à-dire autour de 280 euros du mégawattheure (MWh), « ils seront renégociés en janvier », a précisé le chef de l'Etat.
- Lire : Macron demande aux fournisseurs d'énergie de renégocier les « contrats excessifs » de toutes les TPE
Achat de l'énergie au moment de la signature
Dans l'esprit du gouvernement, l'équation paraît simple : alors que, fin 2022, plusieurs entreprises ont dû se résoudre à signer des contrats d'énergie à des prix affolants pour 2023, lesdits contrats doivent désormais être revus. Et pour cause, les cours du gaz et de l'électricité ont, depuis, chuté sur les marchés européens. Aucune raison, donc, que les boulangers et autres artisans assument des charges impossibles, lesquelles risquent même de menacer leur activité. Ni d'ailleurs de leur imposer des frais de résiliation de plusieurs milliers d'euros, les empêchant de faire jouer la concurrence.
Mais pour les fournisseurs d'énergie, les termes sont tout autres.
« Cela revient à autoriser les clients, trois semaines après avoir fait leur plein d'essence pour un certain prix à la station-service, à demander rétroactivement que le montant soit réévalué en fonction de l'évolution du marché ! », glisse-t-on chez un grand énergéticien.
Or, si cela pose problème, c'est parce que les fournisseurs achètent en avance l'énergie dont aura besoin le client durant toute la durée de son offre, lors de la contractualisation, et non pas au moment où ceux-ci la consomment réellement.
Paradoxalement, c'est d'ailleurs le gouvernement lui-même qui incite les opérateurs à adopter cette stratégie de couverture au moment de la signature, quelle que soit la situation sur le marché, plutôt que de spéculer en fonction de l'évolution des cours. « On ne peut pas nous dire : couvrez-vous de manière responsable, même si cela coûte plus cher, et nous planter quand le marché se retourne », réagit un petit fournisseur ayant requis l'anonymat.
« Si j'ai signé pour un an avec un boulanger à 500 euros du MWh d'électricité, et qu'il s'en va car il a trouvé moins cher ailleurs, je devrai céder cette énergie pour un montant beaucoup moins élevé que ce qu'elle m'aura coûté au moment de la signature, quand les cours étaient hauts. Par exemple, si je la revends à 250 euros le MWh sur les marchés, je perdrai près de 15.000 euros sur un an, étant donné qu'un boulanger consomme environ 60 MWh par an. En comparaison, ma marge moyenne pour un boulanger n'est que de 500 euros par an quand tout se passe bien », détaille le cofondateur de l'entreprise de fourniture d'énergie ekWateur, Julien Tchernia.
- Lire aussi : Énergies renouvelables, nucléaire, gaz : les dossiers brûlants qui attendent la France en 2023
Réunion imminente à Bercy
C'est d'ailleurs pour éviter cette situation que les frais de résiliation existent. De fait, il s'agit d'une compensation, qui revient généralement à faire payer la différence, pour toute l'énergie non consommée, entre le prix du MWh sur le marché au moment de la fin du contrat, et le prix auquel le client avait souscrit pour recevoir cette énergie.
« Sans cette garantie, comment ferait-on pour remplir nos obligations d'achat auprès de nos contreparties [notamment les producteurs d'énergie, Ndlr] ? Si nous leur avons acheté de l'électricité à 800 euros du MWh afin de fournir un client professionnel, et que ce dernier veut renégocier à 400 euros parce que le marché a baissé, ça rend le modèle intenable », fait valoir un fournisseur alternatif de taille modeste.
« Peut-être que les géants, comme EDF, Engie ou TotalEnergies pourront assumer ces pertes, mais pour les autres, ce sera impossible », insiste-t-il.
Reste à savoir quelles seront les suites concrètes de l'annonce d'Emmanuel Macron.
« Je ne vois pas comment, juridiquement, il pourrait s'immiscer dans les contrats et imposer ces renégociations », estime une partie prenante.
Si les fournisseurs n'obtempéraient pas, ce serait un « jeu sans fin », s'est contenté de souligner jeudi le chef de l'État. Une chose est sûre : le ministre de l'Économie recevra les opérateurs à Bercy dans les prochains jours, afin de clarifier la situation. Les échanges promettent d'être musclés.
Sujets les + commentés