Aéroport de Nice : la privatisation attaquée au Conseil d'Etat

Le Scara, un syndicat de compagnies aériennes, va déposer un recours au Conseil d'Etat, contre le cahier des charges de l'opération de cession des parts détenues par l'Etat dans le capital de l'aéroport de Nice.
Fabrice Gliszczynski

Coup dur pour la privatisation de l'aéroport de Nice. A peine lancé, le processus de cession des 60% parts que détient l'Etat dans le capital de l'aéroport va faire l'objet d'un contentieux. Le Scara, un syndicat professionnel qui regroupe des compagnies aériennes (ASL Airlines, Air Austral, Air Corsica, Air Tahiti Nui,... mais pas Air France), a annoncé son intention de déposer un recours au Conseil d'Etat contre le cahier des charges de cette privatisation.

«Nous allons déposer un recours», ont indiqué ce vendredi lors d'une conférence de presse Jean-François Dominiak et Jean-Pierre Bes, respectivement vice-président et secrétaire général du Scara, dont les recours pour des affaires de régulation dans le secteur aérien ont souvent été gagnés.

"Redevances déterminées"

«Le cahier des charges laisse croire que les redevances aéroportuaires seront déterminées à partir d'un périmètre d'activité qui exclut les activités de commerces, lesquelles génèrent les plus forts revenus. Ainsi l'État propose-t-il, dans la rédaction même du cahier des charges et sans concertation de mettre en place un système de «double caisse». Or, toute dérogation au principe de la simple caisse, compte tenu de l'importance de sa portée économique et financière, ne peut être étudiée que dans le cadre de l'élaboration d'un contrat de régulation économique (CRE). Face à cette situation, et afin de protéger les intérêts des compagnies aériennes, le Scara a décidé d'intenter un recours contre ces dispositions du cahier des charges», déclare le syndicat.

Gel des redevances pendant 9 ans

Pour comprendre les arguments du Scara, il faut remonter à juin 2015 quand la société gestionnaire de l'aéroport niçois, détenue par l'Etat et les collectivités locales, s'est  engagée à baisser les tarifs pour la saison hiver 2016/2017 puis de les stabiliser pour une durée de 9 ans.

Un moyen, estime le syndicat, de maintenir des redevances «très élevées» en évitant que les compagnies n'arrachent une baisse des redevances qu'elles pourraient obtenir du fait de la rentabilité de l'aéroport jugée très élevée. Selon le Scara, les capitaux employés (ROCE) de l'aéroport de Nice sont largement supérieurs au coût moyen pondéré du capital (CMPC).

Pour le le syndicat , qui avait déjà dénoncé à l'époque un gel des tarifs en trompe l'œil, fixer les tarifs 10 ans à l'avance « est illégal ».

«Procéder ainsi ne respecte aucune règlementation en matière de redevances, lesquelles sont discutées et fixées annuellement, sauf dans le cadre d'un contrat de régulation économique (CRE) où elles sont soumises à un plafond pendant une durée de 5 ans mais rediscutées chaque année dans les limites de ce plafond », fait valoir Jean-François Dominiak.

Et Jean-Pierre Bes d'ajouter :

«Commercialement, l'aéroport peut certes dire qu'il envisage d'agir ainsi mais cela ne lie en rien les parties».

L'annotation en bas de la page 38 qui fait débat

Or, pour le Scara, cet engagement jugé "illégal" figure aujourd'hui dans le cahier des charges de la privatisation. Plus précisément dans une annotation en bas de la page 38.
Celle-ci indique :

«Il est précisé que l'Etat a accueilli favorablement l'engagement de la société de plafonner les redevances aéroportuaires pour l'aviation commerciale jusqu'en 2025 dans le cadre du « contrat de compétitivité territoriale » approuvé par le conseil de surveillance le 12 juin 2015». Sans préjudice des compétences de l'Autorité de supervision indépendante (ASI), l'Etat, en sa qualité de concédant, envisage la conclusion avec la société de contrats pluriannuels au sens de l'article L.6325-2 du code des transports afin de conforter la mise en œuvre de la trajectoire tarifaire du «contrat de compétitivité territoriale». Les principes sur lesquels l'Etat et la société s'accordent pour l'élaboration de ces contrats feront partie de la documentation initiale prévue à l'article 3.1 du cahier des charges. Ces principes incluront la délimitation des activités dont les profits et actifs seront pris en compte en application du II de l'article 1er de l'arrête du 16 septembre 2005 modifié relatif aux redevances pour services rendus».

Pour le Scara, il y a, là, matière à contestation.

«L'Etat laisse entendre que les tarifs ne vont pas bouger, que cet engagement est bien et qu'il le soutient dans le cahier des charges, alors qu'il est illégal », insiste Jean-Pierre Bes, pour qui, « l'Etat s'engage à signer un contrat de régulation économique (CRE) comprenant des clauses illégales».

Enfin, derrière les deux dernières phrases de cette annotation en bas de page,  le Scara voit la mise en place d'un système de double caisse qui, en retirant du périmètre régulé, les activités à forte rentabilité que sont les commerces ou les parkings, permettrait d'afficher dans le périmètre régulé, un retour sur capitaux employés inférieur au coût moyen pondéré du capital. Ce qui pourrait d'ailleurs justifier une hausse des redevances.

Débat sur l'Autorité de surveillance indépendante

Pour le Scara, si l'Etat inscrit cela dans le cahier des charges, c'est qu'il a la main sur l'ASI.

«Il y a une cohérence globale qui pousse au maintien par l'Etat d'une ASI non indépendante dans le but de préserver une valorisation des aéroports supérieure à leur vraie valeur», estime Jean-Pierre Bes.

Les 60% des parts de l'Etat dans l'aéroport niçois sont valorisés par les experts  à près de 1 milliard d'euros.

Le sujet de l'ASI est l'autre grand combat du Scara. En avril 2015, le syndicat a fait invalider l'autorité de supervision indépendante (ASI), chargée, par la directive européenne de 2009, de contrôler le niveau des redevances aéroportuaires.

Pour le Scara, l'ASI ne pouvait être indépendante car cette mission était confiée à la direction du transport aérien (DTA) de la DGAC (direction générale de l'aviation civile), laquelle est placée sous l'autorité du gouvernement, également actionnaire majoritaire d'Aéroports de Paris et des principaux aéroports en régions.

Le projet de décret d'une nouvelle ASI que prépare la DGAC n'apporte pas les garanties suffisantes d'indépendance aux yeux du Scara et risque d'être lui aussi attaqué au Conseil d'Etat.

C'est d'ailleurs parce qu'il a gagné au Conseil d'Etat sur le dossier de l'ASI l'an dernier, que le Scara a déposé un recours contre le contrat de régulation économique signé entre l'Etat et Aéroports de Paris pour la période 2016-2020.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 2
à écrit le 20/03/2016 à 9:57
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Les syndicats de pilotes ne sont pas particulièrement bien placés pour décider de la gestion des aéroports contrairement à ce qu'ils veulent faire croire, on a déjà vu pour les compagnies aériennes!

à écrit le 18/03/2016 à 21:05
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enfin une bonne nouvelle, l'état au lieu de réduire son train de vie, est en train de brader les entreprises ou il est encore majoritaire, honte a ces politiciens qui prennent les français pour des nuls.

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