Air France quitte Orly : la fin d'une certaine idée de l'aménagement du territoire

L'annonce par Air France de son départ d'Orly a pris au dépourvu nombre d'acteurs du transport aérien et plus largement du monde des transports. Mais derrière la surprise, voire l'indignation de certains politiques, se pose la question des conséquences pour l'aménagement du territoire français. Vu jusqu'ici comme le premier aéroport régional, Orly va désormais devenir le premier aéroport low cost. Ce qui pourrait profondément changer son rôle dans l'écosystème aérien de l'Hexagone.
Léo Barnier
Transavia va-t-elle réussir à reprendre le rôle joué par Air France dans l'aménagement du territoire ?
Transavia va-t-elle réussir à reprendre le rôle joué par Air France dans l'aménagement du territoire ? (Crédits : Charles Platiau)

Orly va-t-il perdre son statut officieux de premier aéroport régional avec le départ d'Air France ? L'annonce faite ce matin n'a pas manqué de créer une vague de réactions de la part des élus locaux face à une prise de décision « sans concertation » de la compagnie nationale. Une indignation d'usage, mais qui cache une véritable crainte pour la desserte de leur territoire malgré l'assurance par Air France de maintenir 90 % de l'offre entre Paris et Toulouse, Marseille et Nice. Dans un communiqué commun, les présidents des régions Occitanie et Provence-Alpes-Côte d'Azur, respectivement Carole Delga et Renaud Muselier, ont dénoncé "nouveau coup dur pour (leurs) territoires", encore imparfaitement desservis par les lignes ferroviaires à grande vitesse. Estimant que le basculement vers Transavia pour relier Orly à Toulon et Montpellier s'était traduit par « une baisse criante de la qualité de service », ils ont demandé à l'Etat, actionnaire d'Air France-KLM à 28,6%, de « peser dans ce type de décisions prises au seul regard d'intérêts financiers, au détriment d'une vision de l'aménagement du territoire national ».

Cette inquiétude est aussi partagée chez certains professionnels des transports, notamment du côté des aéroports, tandis que d'autres estiment que les conséquences seront limitées dans le temps.

Interrogé par La Tribune, Thomas Juin, président de l'Union des aéroports français (UAF) et de l'aéroport de La Rochelle n'a pas hésité à exprimer ses craintes devant cette décision. « Orly est vraiment l'aéroport préféré des régions pour le point-à-point », affirme-t-il en mettant en avant une meilleure connexion avec le centre-ville de Paris. Une connexion qui sera encore renforcée avec l'arrivée de la ligne 14 l'an prochain, tandis que le CDG Express ne sera pas opérationnel avant 2027 et à un tarif sans commune mesure.

S'il attend de connaître les détails avant de juger de l'impact à venir de cette décision, indiquant que des rencontres ont débuté aujourd'hui entre Air France et les représentants des aéroports régionaux concernés, Thomas Juin estime « pouvoir être inquiet à la vue de ce qu'il s'est passé dans les aéroports où Transavia a remplacé Air France ». S'il ne cite aucun cas en particulier, Brest apparaît comme le cas le plus emblématique avec la reprise de la ligne par Transavia avant son abandon au bout d'un an et demi.

A Montpellier, le transfert d'Air France par Transavia sur Orly, s'est traduit par 300.000 passagers perdus par an.

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Si Thomas Juin admet volontiers que cette clientèle a diminué - la Navette a perdu 400.000 passagers entre 2019 et 2022, tombant à 1,3 million de voyageurs annuels - et qu'il ne s'agit pas de dupliquer tel quel le modèle, le patron de l'UAF pointe la nécessité de maintenir un service adapté aux voyageurs d'affaires, notamment sur l'amplitude horaire et le nombre de fréquences. Il demande notamment à ce que les créneaux qui seront récupérés par Transavia soient bien utilisés par la desserte des régions et non pour l'ouverture de lignes vers des destinations loisirs. Thomas Juin estime ainsi qu'en l'absence d'une offre adéquate dans les aéroports éloignés de Paris, cela pourrait influer négativement sur les décisions d'investissement dans le tissu économique local.

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Une période de transition

Fin connaisseur de ces questions, Alain Falque, ancien dirigeant d'ADP aujourd'hui consultant aéroportuaire, ne voit néanmoins pas un risque majeur pour l'aménagement du territoire ou pour la plateforme d'Orly en elle-même. Il juge même que ce transfert est une bonne idée de la part de Benjamin Smith, directeur général d'Air France-KLM, et qu'il s'inscrit dans une stratégie cohérente pour réduire les pertes du moyen-courrier français. Il faut dire qu'Air France n'arrive pas à juguler les pertes sur le point-à-point domestique avec 200 millions d'euros perdus en 2019 et autant l'an dernier malgré les mesures d'adaptation déjà prises, notamment une réduction de l'offre.

Alain Falque estime qu'il y aura une période d'adaptation notamment avec la transition entre Air France et Transavia. S'il n'est pas convaincu que la compagnie low cost soit adaptée à la clientèle affaires, il estime que cela pourra se rééquilibrer avec l'augmentation de l'offre sur Roissy. Il attend néanmoins de voir le futur programme de Transavia et notamment sa capacité à exploiter les créneaux que va lui laisser Air France. Il ajoute qu'avec le départ d'Air France, « Orly sera définitivement le plus grand aéroport low cost de France », entre Transavia, Vueling ou Easyjet.

Le retrait d'Air France va sans aucun doute aiguiser l'appétit des opérateurs à bas coût, Easyjet en tête. La compagnie orange est déjà présente sur des liaisons comme Orly-Toulouse et Orly-Nice, qui ne bénéficient pas de la même connectivité ferroviaire que Bordeaux ou Marseille, et lorgne sur la clientèle affaires d'Air France. Si Transavia n'occupe pas suffisamment le terrain, Easyjet ne se gênera pas pour le faire.

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La bascule déjà faite vers le ferroviaire

En revanche, cela ne devrait pas changer les équilibres avec le train à en croire Christophe Fanichet, PDG de SNCF Voyageurs. Après avoir répété que l'avion n'était pas son concurrent mais un mode complémentaire, il a estimé que le report modal vers le train a déjà été opéré dans les principales capitales régionales avec le développement des services à grande vitesse. Il cite ainsi les exemples de Bordeaux et Strasbourg, ainsi que Marseille. Un postulat qui est aussi en vigueur du côté d'Air France. La compagnie rappelle d'ailleurs que l'offre de billet combiné « Train + Air » est effective depuis longtemps et qu'elle a été renforcée en 2021, notamment sur Bordeaux, Marseille et Montpellier.

Christophe Fanichet indique également que les volumes d'offres entre train et avion ne sont pas comparables, avec 45.000 sièges quotidiens offerts par la SNCF sur le Paris-Bordeaux contre 2.000 par Air France avant qu'elle n'arrête la liaison.

La question se pose davantage sur Nice du fait des six heures nécessaires en train pour relier Paris, ainsi que sur Toulouse, capitale aéronautique européenne, et ligne emblématique de la Navette d'Air France. Pour autant, cela ne devrait pas entraîner de hausse de l'offre ferroviaire, Christophe Fanichet indiquant qu'il exploite déjà ses capacités au maximum et que la réaffectation de trains d'une ligne à l'autre est un processus long.

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L'Outre-mer enfin à Roissy

Pour les vols vers l'Outre-Mer, Alain Falque ne s'inquiète pas non plus. Par le passé, Air France avait déjà tenté l'expérience, sans succès. Mais la donne semble avoir changé depuis 2020 et la compagnie opère déjà depuis Roissy. Elle va d'ailleurs basculer toute la desserte de la Guyane sur son hub à la fin du mois. L'ancien dirigeant des aéroports parisiens estime ainsi que la greffe à Roissy peut prendre, même s'il juge qu'il y aura là aussi un temps d'adaptation qui pourrait profiter à Corsair ou Air Caraïbes et French Bee restés à Orly.

Rappelant que Roissy possède de la marge capacitaire en termes de mouvements, il pointe néanmoins qu'Air France va devoir se réorganiser au sein des aérogares. A plus de deux ans de l'échéance, la compagnie estime qu'il est encore trop tôt pour se poser ce type de question.

Léo Barnier

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Commentaires 2
à écrit le 19/10/2023 à 12:35
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Les propos tenus ici et là (surtout du côté des politiques , CCI et consorts) sont cocasses concernant la stratégie de recentrage décidée par AIR FRANCE. Pourquoi vilipender une compagnie aérienne nationale confrontée depuis plusieurs années à la con...

à écrit le 18/10/2023 à 23:40
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Si le gouvernement fait pression, ce sera dans le sens d'une réduction des dessertes aériennes, soit disant au profit du transport ferroviaire ...!!!

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