E-commerce : les solutions pour concilier ville durable et logistique urbaine

La demande liée au e-commerce et à la vente à distance explose si bien que mécaniquement, les nuisances (bruit, pollution...) progressent. Alors que le foncier disponible se fait rare en ville, à Paris, deux anciens garages sont en train d'être transformés en centre de distribution urbaine, au risque de provoquer des manifestations. L'un des deux projets s'est vu refuser son permis de construire. Ces réticences naissent-elles d'une confusion avec la grande logistique ? Toujours est-il qu'il est déjà possible de réguler l'occupation de l'espace public...
César Armand
(Crédits : Charles Platiau)

Qui n'a jamais commandé sur Internet une marchandise ? Qui n'a jamais demandé à ce que le produit soit livré dans la journée voire dans l'heure ? Qui n'a jamais râlé devant une camionnette de livraison garée sur le trottoir et/ou sur la piste cyclable et dont le pot d'échappement fait tousser ?

« Il faut se résoudre au fait que la logistique urbaine est déjà là, liée à l'évolution de nos modes de consommations qui s'est accélérée en 2020. Le défi ne consiste pas seulement à dire "il faut baisser les flux", mais à trouver des moyens pour rendre conciliables  des pratiques de société et une ville paisible sans nuisance », résume auprès de La Tribune Jonathan Sebbane, directeur général de la Sogaris.

C'est tout là le paradoxe de la logistique du dernier kilomètre. La demande explose (+25% de chiffre d'affaires au deuxième trimestre 2021 pour les adhérents de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance - Fevad) si bien que, mécaniquement, les nuisances (bruit, pollution...) progressent. Sans oublier une énième contradiction : bien que souvent clients, les habitants sont les premiers à protester contre l'installation de centres de distribution urbaine d'une superficie de quelques centaines de mètres carrés.

Deux anciens garages transformés en centre de distribution urbaine

« Ce qui nous semble faire défaut aujourd'hui, c'est la pédagogie autour du rôle que ce type de locaux doit avoir dans l'organisation des flux de marchandises et dans l'apaisement des villes. Ils permettent d'accueillir des flux circonscrits à la seule activité du quartier avec des modes de livraison doux, est une partie de la réponse aux problématiques d'engorgement et d'occupation parfois erratique de la voie publique », affirme à La Tribune Rémi Goléger, directeur associé de Corsalis.

Lui-même fait face à des manifestations rue Ordener dans le XVIIIè arrondissement de Paris où il envisage de transformer un ancien garage des années 1960 composé d'un local en pied d'immeuble et de deux niveaux de parking en sous-sol. « La majeure partie des travaux que nous envisageons concerne la remise aux normes de ces espaces inoccupés et vétustes, complétée d'une rénovation en profondeur. Depuis notre réunion publique du 31 août, nous poursuivons les discussions avec les élus et la copropriété pour préciser la nature exacte et les enjeux de notre projet et de l'activité qu'il doit accueillir », ajoute-t-il.

Entre-temps, la mairie centrale a rejeté le permis de construire le 24 septembre. « Le propriétaire peut attaquer cette décision [mais] je souhaite qu'on maintienne un dialogue [...] On va essayer à ce que le propriétaire ne fasse pas le projet sans passer par un permis de construire », a fait savoir, pour sa part, le maire (PS) du XVIIIème arrondissement, Eric Lejoindre, en conseil d'arrondissement le 4 octobre dernier. « Nous ne sommes pas favorables à ce projet, mais nous sommes favorables à des projets logistiques du dernier kilomètre en centre-ville. On est tous des consommateurs de produits livrés mais ces projets doivent s'intégrer intelligemment dans le tissu urbain », a-t-il encore martelé.

De la même façon qu'un autre ancien garage avec un ascenseur desservant les étages inférieurs, rue du Grenier Saint-Lazare dans le IIIè, est en train d'être muté. « Au début, les riverains redoutaient le ballet des camions mais ils refont des travaux pour éviter les bruits. Lors de la dernière réunion publique, je n'ai pas vu d'opposition », relève Ariel Weil, maire (PS) de Paris-Centre (Ier, IIè, IIIè et IVè arrondissements).

Une confusion avec la grande logistique ?

« Les élus locaux s'intéressent de plus en plus à ces problématiques et recherchent des solutions opérationnelles et concrètes pour réduire les nuisances », confirme Jonathan Sebbane de la Sogaris. A ce titre, les bâtiments en cœur de ville peuvent permettre les arrivées en camion, mais les déchargements et manipulations à l'intérieur et non dans la rue, avant des départs en véhicules électriques, en vélos-cargos ou même à pied. « Tout ce qui se passe à l'intérieur ne doit pas se voir de l'extérieur. Nous devons prendre des engagements clairs pour garantir aux riverains que les locaux sont conçus pour améliorer les caractéristiques techniques initiales et garantir l'absence de nuisances additionnelles pour l'environnement », appuie Rémi Goléger de Corsalis.

« Les paradoxes naissent aussi de la méconnaissance de ce secteur en plein essor de la distribution urbaine et de la confusion avec la grande logistique », poursuit-il. Cette dernière multiplie en effet les annonces. Le groupe Monoprix et l'autoproclamé leader international en immobilier logistique Prologis ont inauguré, le 14 octobre, à Moissy-Cramayel (Seine-et-Marne) une plateforme de 100.000 m² « première neutre en carbone ». L'accent a en effet été mis sur l'utilisation d'énergies décarbonées et de matériaux biosourcés, c'est-à-dire d'origine naturelle, animale ou végétale, sur une friche industrielle couplée à des outils numériques.

De la même façon que DHL Express, qui ouvrira le 21 octobre un entrepôt de 32.000 m² à l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle pour acheminer 38.000 colis et courriers par heure, veut parallèlement atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050 avec des avions récents, voire électriques, de l'éclairage LED, des chariots et véhicules électriques ainsi que des panneaux photovoltaïques.

Les acteurs de la grande logistique veulent jouer dans la cour des plus petits

D'autant que ces acteurs de la grande logistique veulent également jouer dans la cour des plus petits. BT Immo, qui métamorphose sous la marque « E-Valley » l'ancienne base aérienne de Cambrai (Nord) en parc de 700.000 m² d'entrepôts, vient de créer en ce sens la co-entreprise Castignac avec le gestionnaire d'actifs canadien Brookflield. Dotée d'un milliard de dollars, cette dernière vise... les stades de football et de rugby.

« Face à la difficulté de trouver du foncier dans les cœurs de ville, nous sommes partis du constat qu'il s'agissait d'un dénominateur commun sous-exploité, considéré comme un centre de coûts et non comme un centre de profits », déclare à La Tribune le pdg de BT-Immo David Taieb et DG de Castignac France. « Des villes ont déjà ciblé des stades et nous sommes en phase de concrétisation juridique pour transformer les sous-sols et premiers niveaux voire rehausser les stades. Nous pourrons également y aménager des parkings », embraye-t-il.

Le foncier en France et en Europe reste en effet cher, mais dans le cadre de projets mixtes, « c'est un surcroît de qualité », estime Jonathan Sebbane de la Sogaris. « Les professionnels de la distribution doivent notamment transformer leurs pratiques : encadrer le bruit, verdir les flottes, utiliser au maximum des véhicules doux en sortie ». « C'est dans notre cahier des charges : des véhicules électriques, de l'hydrogène, du froid et même des options comme l'agriculture urbaine », réplique David Taieb de BT-Immo et de Castignac qui promet de déployer des standards industriels en huit mois.

« L'enjeu réside dans la densité du maillage des grandes villes par un nombre significatif d'espaces de distribution urbaine et la création d'un véritable réseau opérationnel de distribution ; ainsi et c'est paradoxal, plus les collectivités et les riverains plébisciteront et accepteront l'installation de ce type de locaux, plus cet écosystème sera efficace et en mettra en évidence son bien-fondé pour l'apaisement des centres-villes et la vie des quartiers », insiste, pour sa part, Rémi Goléger de Corsalis.

Il est déjà possible de réguler l'occupation de l'espace public

Si le trafic continuera à passer en majorité par la route et nécessitera donc de faire évoluer les motorisations et les gabarits, le fleuve et le chemin de fer peuvent aussi jouer un rôle. Sur l'axe Seine, le nouvel établissement public Haropa - pour les ports du Havre, Rouen et Paris - traite de ce sujet, le réseau ferré reste saturé par le trafic voyageur, mais « il faut continuer à développer des infrastructures connectées pour que, dans les prochaines années, on puisse passer par le rail sans se poser la question des gares logistiques à l'arrivée », souligne Jonathan Sebbane de la Sogaris.

Toujours est-il qu'il reste toujours possible de réguler l'occupation de l'espace public. Dans le 4ème arrondissement de Paris, 140 places de stationnement sont équipées de capteurs caméras-réverbères et de détecteurs magnétiques pour regarder quel véhicule et combien de temps il se gare. Demain, la police municipale saura qui est là et qui a payé. Après-demain, quand le dispositif sera étendu à l'ensemble de la zone à trafic limité de Paris-Centre, il permettra aux logisticiens de réserver leur place à l'approche de leur lieu de livraison.

En attendant, le maire du super-arrondissement de la capitale a déjà coupé en deux la rue de l'Arbre-Sec dans le Ier arrondissement : d'un côté pour le ballet des camions du BHV, de l'autre pour une école dont les abords sont piétonnisés aux horaires de référence. De la même manière qu'Ariel Weil a travaillé avec La Poste du Louvre pour que les courriers et colis soient distribués en vélos cargos ou en véhicules utilitaires légers électriques.

César Armand

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Commentaires 3
à écrit le 16/10/2021 à 8:46
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Le problème n'est pas la livraison à domicile, le problème est la densification excessive. Dans une ville qui n'est pas trop dense, le camionnettes peuvent se garer facilement, elles ne gênent personne

à écrit le 16/10/2021 à 8:03
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"Qui n'a jamais commandé sur Internet une marchandise ? " Eux ? 13 millions de nos concitoyens demeurent éloignés du numérique : ils n’utilisent pas ou peu Internet, et se sentent en difficulté avec ses usages. En 2017, 13% de la population âgé...

à écrit le 15/10/2021 à 19:39
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Doublez leurs revenus aux gens et vous verrez s'ils ne seront pas plus compréhensifs, c'est toujours pareils les gens vont aux prix et c'est tout. Après certes ils sont atteints de consumérisme aigu mais bon ce n'est pas ça qu'il faut devenir ? C'est...

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