Pesant 10% du PIB et 10% de l'emploi - plus de 1,8 million de salariés selon Bercy -, la chaîne logistique, et particulièrement la logistique urbaine, ne peut plus laisser passer le train de la transition écologique. « Ce maillon final de la chaîne logistique représente en effet une part notable du coût total d'acheminement et génère d'importants flux de trafic urbain », communiquaient, le 7 décembre 2020 à l'issue du premier Comité interministériel de la logistique (Cilog), les ministres des Transports et de l'Industrie.
Jean-Baptiste Djebbari et Agnès Pannier-Runacher ont alors chargé la présidente du port autonome de Strasbourg Anne-Marie Jean, la présidente de France Logistique Anne-Marie Idrac et le président de la fédération des Marchés de gros de France Jean-Jacques Bolzan de proposer, d'ici à l'été 2021, « des recommandations concrètes en faveur d'une logistique urbaine efficace, respectueuse de l'environnement et durable sur nos territoires ».
Concilier efficacités écologique et économique
Dès le 21 avril en visioconférence, ces trois professionnels ont présenté un rapport d'étape au gouvernement. Il ressort de ce document, que La Tribune a pu consulter, un « triple constat » : « l'apport de la logistique à la vitalité des villes de toutes tailles », « le besoin de prise en considération de la mobilité des marchandises dans les politiques publiques au même titre que pour les déplacements de personnes » et « la multiplication positives d'initiatives locales visant à concilier efficacités écologique et économique ».
Que ce soit Anne-Marie Jean, vice-présidente de l'Eurométropole de Strasbourg chargée de l'Economie durable, Anne-Marie Idrac, ancienne secrétaire d'Etat aux Transports, ou Jean-Jacques Bolzan, adjoint au maire de Toulouse chargé du "Bien manger", tous s'accordent à dire que la diversité des flux est à prendre en considération avec des actions globales et adaptées à chaque segment: e-commerce, construction, marchés alimentaires, hôtellerie-restauration...
« Le programme « Interlud » qui est aujourd'hui le seul outil de politique publique nationale dans le champ de la mission, avec l'objectif de co-construction de chartes de logistiques urbaines devrait être mieux valorisé, et mis encore davantage au service des collectivités », relèvent les auteurs. Ils font référence ici à un programme porté, notamment, par l'Agence de la transition écologique (Ademe) et visant à mettre en œuvre des chartes de logistique urbaine durable dans 50 métropoles et communautés d'agglomération d'ici à 2023.
Vers une fiscalité foncière incitative ?
Avant même leurs conclusions finales, ils ont d'ores et déjà identifié deux axes de progrès, à commencer par les enjeux locaux de stratégies urbaines. Par exemple, ils recommandent de développer des stratégies foncières métropolitaines pour sécuriser des réseaux immobiliers logistiques stratégiques, « alors que la saturation urbaine tend à raréfier le foncier disponible », pointent-ils.
De la même façon qu'ils plaident pour « une fiscalité foncière incitative » afin de rendre attractive la présence d'espaces logistiques en ville, les experts missionnés par l'exécutif demandent d'harmoniser les zones à circulation réduite et les conditions de mise en place des zones à faibles émissions (ZFE). Cela permettrait de « préserver le poids lourd là où il est le plus performant économique et en dépense carbone », estiment-ils.
Si la loi d'orientation des mobilités, adoptée fin 2019, octroie déjà « une responsabilité en matière de logistique » aux autorités organisatrices de mobilité - intercommunalités et régions - cette dernière « semble encore mal prise en considération », notent-ils encore. Aussi appellent-ils, pêle-mêle, à favoriser le report modal pour les métropoles qui disposent d'un réseau fluvial et/ou ferroviaire, à soutenir la livraison en horaires décalés... Bref à organiser une approche transversale et intercommunale du sujet.
Des contraintes techniques et réglementaires qui subsistent
Séduisantes sur le papier, ces idées se heurtent sur le terrain à des contraintes techniques et réglementaires que les trois professionnels rencontrent, au quotidien, dans le cadre de leurs fonctions. Pour y remédier, ils demandent à l'Etat de mettre à disposition des « outils nationaux au service des acteurs publics locaux et des opérateurs privés », à commencer par des données utiles au déploiement de logistiques urbaines durables.
« Il s'agirait de lancer une nouvelle enquête de transport de marchandises en ville (la dernière données datant de 2010, Ndlr) ; de contribuer à la création de plateformes en open data permettant le recensement des réglementations de circulation et stationnement et leur intégration dans des applications de circulation ; de travailler à la mise en place d'outils numériques partagés en vue de l'optimisation des flux logistiques urbains », précisent-ils.
Outre la production de guides techniques et de recommandations sur les conditions de réussites, l'évolution des réglementations, voire des législations, s'avère nécessaire, à en croire Anne-Marie Jean, Anne-Marie Idrac et Jean-Jacques Bolzan. Eux-mêmes rêvent d'une clarification des règles de sécurité incendie relatives aux entrepôts en milieu urbain et des règles relatives à l'installation de prises de recharge pour les camions/camionnettes gaz ou électriques.
Choc de simplification et de... prescription
Ce n'est pas tout : leur choc de simplification va, paradoxalement, de pair avec davantage de prescription. Pour eux, la densification de la logistique doit être inscrite dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), les schémas de cohérence territoriale (SCOT - à l'échelle des métropoles) et dans les plans locaux d'urbanisme communaux (PLU) et intercommunaux (PLUi).
Toutes ces propositions s'inscrivent en outre dans la continuité du déblocage de 1,7 milliard d'euros pour la filière dans le cadre de France Relance. Le gouvernement entend en effet « soutenir la décarbonation du transport de marchandises et accompagner la reprise d'activité des entreprises de la filière », « renforcer l'attractivité du territoire français pour la construction d'entrepôts compétitifs et efficaces sur le plan environnemental » et « simplifier le passage des marchandises aux points d'entrée et de sortie de notre territoire ».
Il serait temps : entre la crise économique et sanitaire et les épisodes de confinements-reconfinements, jamais la question de l'acheminement de vaccins et de matières premières n'a été aussi cruciale, voire vitale.
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