Wizz Air demande la fin du moratoire sur les "slots", un frein à son impressionnant développement pendant la crise

Poursuivant sa stratégie de croissance malgré la crise sans précédent qui frappe le transport aérien, la compagnie low-cost hongroise demande la fin du moratoire sur les règles d'utilisation des créneaux horaires de décollages ("slots) qui autorise les compagnies à annuler des vols sans perdre les créneaux la saison suivante. Pour Wizz Air, ce système ne se justifie plus et constitue une barrière à l'entrée sur certains aéroports, notamment à Londres Gatwick, le principal enjeu de la compagnie hongroise. Dans un entretien à La Tribune, Marion Geoffroy, directrice corporate et secrétaire générale de Wizz Air détaille la position du transporteur qui poursuit son fort développement pendant la crise.
Fabrice Gliszczynski
(Crédits : Ints Kalnins)

Dans le débat qui les opposent aux aéroports sur le maintien ou pas cet hiver de la suspension de la règle du "use-it-or-lose-it" ("on s'en sert ou on le perd") concernant l'utilisation des créneaux horaires de décollages et d'atterrissages, les compagnies aériennes européennes voient s'écrouler l'un de leurs arguments pour justifier la reconduction l'hiver prochain de ce dispositif mis en place cet été par Bruxelles, qui leur permet, face à l'effondrement du trafic provoqué par la crise du Covid-19, de pouvoir annuler des vols tout en ayant la certitude de conserver leurs créneaux la saison suivante : celui de dire que ce moratoire ne constitue pas une barrière à l'entrée pour d'éventuels concurrents souhaitant utiliser les créneaux non-utilisés pour se développer, dans la mesure où, au regard de la profondeur de la crise, l'heure est davantage à la réduction de voilure qu'aux plans de développement ambitieux.

Lire aussi : Bras de fer entre les compagnies aériennes et les aéroports sur le maintien du gel des "slots"

"Avec une telle crise, tous les transporteurs au sein d'Airlines for Europe (A4E) sont unanimes pour demander la poursuite de ce moratoire", expliquait récemment un observateur.

Consensus au sein d'Airlines for Europe

Un discours repris par certains transporteurs de cette association qui regroupe la quasi-totalité des compagnies aériennes européennes aux profils très différents, puisqu'on y trouve à la fois des acteurs classiques comme Air France, British Airways ou Lufthansa, et des compagnies low-cost comme Ryanair, Easyjet ou encore Norwegian. Résultat, la question d'un problème de concurrence ne se pose pas puisqu'aucune compagnie ne demande des créneaux pour se développer.

"Cette question se règlera d'elle-même quand il y aura des opportunités commerciales", ajoutait-on au sein d'une compagnie membre d'AE4.

Effectivement, le consensus règne au sein de cette association. Toujours promptes à dénoncer des inégalités de traitement qu'elles estiment subir, Ryanair ou Easyjet par exemple, dont on aurait pu croire qu'elles chercheraient à profiter de la crise pour gagner des parts de marché, soutiennent, comme les compagnies classiques, la reconduction cet hiver du moratoire.

"Le cas de force majeure n'est plus caractérisé"

Et pourtant, une compagnie tient un discours inverse. Et non des moindres, même si elle n'est membre ni d'Airlines for Europe, ni de l'association internationale du transport aérien (IATA). Il s'agit de Wizz Air, la solide compagnie low-cost hongroise (bénéfice net de 345 millions d'euros l'an dernier pour un chiffre d'affaires de 2,8 milliards), laquelle, selon l'expression d'un dirigeant aéroportuaire "fout la trouille à toute le monde, même aux cadors du low-cost". Ce transporteur aux 124 Airbus de la famille A320 (et plus de 250 en commande) dénonce en effet la reconduction du moratoire qui la freine dans son développement malgré la crise.

"Nous voulons nous développer. Autant le moratoire se justifiait quand les Etats ont fermé leur frontières, autant il ne se justifie plus aujourd'hui, que ce soit dans l'espace Schengen où les frontières sont ouvertes que dans le reste de l'Europe géographique où elles le sont en grande partie également. Dans cette région, les compagnies aériennes ne sont plus empêchées d'opérer. De fait, les annulations de vols ne sont plus liées à une situation exceptionnelle provoquée par le Covid-19, mais à des considérations économiques. Juridiquement, le cas de "force majeure" n'est donc plus caractérisé. Sinon, cela reviendrait à dire que le moratoire peut durer tant que le trafic aérien n'aura pas retrouvé le niveau qui était le sien en 2019. On ne va tout de même pas maintenir ce moratoire pendant cinq ans. Non, il faut que les compagnies aériennes qui ont la capacité de repartir puissent le faire. Sinon, il s'agit de protectionnisme", explique à La Tribune Marion Geoffroy, Directrice Corporate et Secrétaire Générale de Wizz Air depuis 5 ans, ancienne d'Air France-KLM, qui rappelle que contrairement à de nombreux concurrents, Wizz Air n'a reçu aucune aide publique pour supporter la crise.

La compagnie a néanmoins bénéficié d'un prêt de 300 millions de livres accordé par la Banque d'Angleterre, en raison de sa contribution à l'économie britannique.

Et Marion Geoffroy  d'ajouter :

"Wizz Air étudiera tous les recours possibles si le moratoire était reconduit tel quel".

Un moratoire assorti de conditions pour éviter les abus

Les arguments de la compagnie hongroise ont d'autant plus de poids qu'ils vont dans le même sens que le gendarme européen des créneaux horaires, l'EUACA, l'association des coordonnateurs de créneaux européens, qui plaide certes pour la reconduction d'un moratoire cet hiver à condition qu'il soit assorti de mesures pour éviter certains abus remarqués.

"À un moment donné, les conditions causées par la pandémie de Covid-19 ne doivent pas être considérées comme imprévisibles plus longtemps. Tout allégement de la règle du "use-it-or-lose-it" devrait donc se faire pour un temps limité, afin de maintenir les objectifs du règlement sur les créneaux horaires, à savoir faciliter la concurrence et encourager l'entrée sur le marché (...). Le secteur de l'aviation est maintenant en phase de reprise, l'effet de surprise est terminé. Pour la prochaine saison hiver 2020, l'incertitude liée à la situation du Covid-19 est connue", explique l'EUACA.

Et d'ajouter :

"l'objectif d'un moratoire pour l'hiver ne doit pas consister à geler le niveau de concurrence dans un aéroport en protégeant les portefeuilles de créneaux horaires des transporteurs aériens qui n'ont pas l'intention d'exploiter leurs créneaux ou ne peuvent plus les exploiter parce qu'ils ont décidé de réduire définitivement leur flotte et leur personnel".

Annulations de vols tardives

Les gestionnaires de créneaux et les aéroports dénoncent les nombreuses annulations de vols annoncées peu de temps avant le départ prévu (parfois à minuit pour le lendemain); un délai trop court pour pouvoir réattribuer les créneaux à un concurrent qui pourrait en avoir l'utilité (même si l'historique du créneau est conservé par la compagnie ayant annulé le vol). Surtout, ils suspectent certaines compagnies d'agir ainsi de manière délibérée pour faire barrage à des concurrents.

Si le moratoire devait être prolongé, l'EUACA et l'association des aéroports européens (ACI Europe) demandent que soit fixée une date-limite pour que les compagnies puissent annuler leurs vols sans perdre leurs créneaux (3 à 4 semaines), pour éviter de tels comportements. Rejettant ces accusations, les compagnies expliquent que les annulations tardives sont la conséquence des faibles remplissages des avions, du manque de visibilité en raison des réservations billets de dernière minute par les consommateurs, et de l'évolution des restrictions de voyage dans certains pays. Néanmoins, elles sont prêtes à accepter une date-limite de 15 jours avant le départ prévu.

En fait, l'enjeu principal de Wizz Air se situe à Londres, à l'aéroport de Gatwick. British Airways a certes annoncé qu'elle allait se retirer de cet aéroport, mais elle conserve, grâce à ce moratoire, des créneaux qu'elle va d'ailleurs essayer de vendre...

"A Gatwick, nous sommes coincés", déplore Marion Geoffroy.

Déjà présente sur cet aéroport, Wizz Air veut s'y développer en ajoutant des vols.

L'EUACA et l'ACI Europe demandent donc que les compagnies qui quittent un aéroport rendent les créneaux pour qu'ils soient réattribués. Airlines for Europe n'y est pas opposé.

Deux ans de trésorerie

Les demandes de Wizz Air traduisent sa stratégie et ses ambitions. La compagnie veut clairement saisir les opportunités offertes pendant la crise pour augmenter ses parts de marché.

"Wizz Air ne s'est jamais arrêtée pendant la crise. Dès le 1er mai nous avons ajouté de la capacité et aujourd'hui nous exploitons 69% à 70% de la capacité que nous proposions l'été dernier. Nous n'avons pas remis en cause notre plan de flotte et nous continuons de recevoir entre 1 et 3 avions par mois. Nous continuons d'ouvrir des bases en Europe, comme prochainement à Dortmund, mais également plus loin et notamment à Abu Dhabi en octobre. Il est difficile de faire des prévisions, mais nous comptons bien assurer 100% de nos capacités l'été prochain", explique Marion Geoffroy.

Début mai, lors d'un colloque organisé par Capa Aviation, Jozsef Varadi, le directeur général de Wiz Air, avait précisé que la flotte du groupe allait passer de 121 avions à 145  au cours de l'exercice en cours, qui s'achèvera fin mars 2021.

Wizz Air compte un bon nombre d'atouts. : son efficacité opérationnelle, sa relation-clients, laquelle a été renforcée par une politique de remboursements des billets quand de nombreuses compagnies militent pour donner des avoirs, une structure de coûts Inférieure à celle de Ryanair, et des capacités financières très solides après des années de génération de cash.

"Avec 1,2 milliard d'euros de trésorerie (hors prêt), nous pouvons tenir jusqu'à 2 ans sans voler, assure Marion Geoffroy.

De quoi laisser songeur un grand nombre de compagnies aériennes.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaire 1
à écrit le 21/07/2020 à 0:09
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En Europe et à travers le monde des dizaines de compagnies luttent pour survivre et surmonter la crise. Nombre d’entre elles existent depuis si longtemps. Avec des qualités et des défauts elles se sont développées. Elles ont relié des centaines de...

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