« Il ne peut y avoir de transition énergétique sans réassurance du lien social » (Nicolas Routier, Groupe La Poste)

Elle parcourt l’ensemble du territoire afin de remplir des missions de service public auxquelles les Français demeurent très attachés. Derrière la familière camionnette jaune de La Poste se cache une stratégie climat ambitieuse, qui a conduit le groupe à détenir l’un des plus grands parcs de véhicules électriques en France. Comment La Poste, soumise à la concurrence tout autant qu’à des attentes sociétales élevées, parvient-elle à réaliser sa mue verte ? Plongée au cœur de sa stratégie climat avec Nicolas Routier, directeur général adjoint du Groupe La Poste. (Cet article est extrait de T La Revue n°12 - « Climat : Et si on changeait nous aussi ? », actuellement en kiosque).
(Crédits : DR)

LA REVUE T- Pour un groupe comme La Poste, que représente l'adaptation au changement climatique ?

NICOLAS ROUTIER- On l'oublie souvent, mais La Poste a 600 ans d'existence et répond à des missions dont l'objectif dépasse le seul profit. Nous avons l'habitude du temps long et de prendre en compte des externalités négatives, deux éléments essentiels quand on parle de transition climatique. Un autre avantage est notre gouvernance ouverte, qui intègre de nombreuses parties prenantes : les postiers, les élus, les consommateurs, les commissions départementales...

Néanmoins, ce n'est pas suffisant si l'entreprise ne s'engage pas dans une transformation effective. Cela passe autant par son orientation stratégique - nous sommes la première entreprise publique à mission de  France - que par des investissements majeurs. Faire face aux enjeux de transition climatique, c'est accepter la contrainte d'obligations librement consenties. Cela représente un véritable effort pour La Poste, notamment financier, or il faut se souvenir que si nous ne parvenons pas à demeurer une entreprise compétitive, nous disparaîtrons.

Vous distribuez du courrier et des colis dans toute la France et au-delà. À quel point êtes-vous capable de réellement réduire votre empreinte carbone ?

Depuis 2011, La Poste est engagée sur la voie de la neutralité carbone. Notre ambition : être net zéro carbone au plus tard en 2050 et chaque fois que ce sera possible dès 2040. Pour agir, nous suivons ce triptyque : mesurer, réduire, compenser. Dès 2011, nous avons mesuré notre propre empreinte carbone, mais aussi celle de nos filiales et de nos sous-traitants, c'était vraiment novateur. Nous avons appris à mesurer à une époque où les standards n'existaient pas. En matière de réduction, nos efforts se sont concentrés sur notre flotte de véhicules. Encore aujourd'hui, nous avons le premier parc de véhicules électriques au monde !

Nous nous sommes aussi engagés dans la compensation intégrale de nos émissions résiduelles, y compris celles de nos filiales et nos sous-traitants. J'entends bien que cette notion de compensation est maintenant contestée. Nous savons qu'il va falloir aller plus loin. Il faut trouver des solutions pour réduire encore les émissions et pour séquestrer le carbone émis. Même si nous sommes très fiers de nos programmes de compensation, d'ailleurs tous labellisés, nous sommes bien conscients que le changement climatique va demander de nouvelles réflexions, de nouveaux efforts et que nous devrons définir de nouveaux projets pour demain.

Électrifier, c'est la voie royale pour décarboner ?

Sans surprise, réduire les émissions de notre chaîne de transport est en effet notre principal levier d'action : 85 % de nos émissions de CO2 viennent de là. Nous avons deux défis très différents : verdir le dernier kilomètre et verdir le transport longue distance. Sur le dernier kilomètre, nous avons fait un important travail de rationalisation. Nous sommes très avancés, notamment grâce aux mobilités douces : 37 000 tournées de facteurs reposent sur l'électrique et nous avons 8 500 véhicules 4 roues électriques.

Sur le transport longue distance, les choses sont plus compliquées ; les solutions industrielles pour des camions propres n'existent pas encore. Nous avons réduit le nombre d'avions que nous utilisons, jusqu'à une suppression totale de ce mode de transport sur le continent en 2023, hors Corse bien entendu. Concernant les camions, nous rationalisons les trajets et travaillons sur leur taux de remplissage. Le segment du colis est assez complexe, il s'agit d'une activité en hausse mais très concurrentielle. Nous y avons déjà réduit nos émissions de 28 % et voulons encore les abaisser de 50 % sur 10 ans.

Quelle que soit sa taille, une entreprise demeure donc très dépendante des solutions industrielles pour réussir à diminuer son empreinte carbone...

Tout à fait, voilà pourquoi il est très important de fonctionner en écosystème. Pour les camions, nous utilisons le gaz naturel en phase de transition. Nous participons à de nombreux clusters européens de test autour de l'hydrogène, comme nous l'avions fait pour la voiture électrique. Résultat, nous étions pionnier dans son utilisation. Nos commandes peuvent contribuer à lancer des chaînes de production, néanmoins nous ne sommes pas des industriels. Quelques postes sont sorties de leur cœur de métier et ont créé une filiale pour fabriquer des véhicules électriques, elles y ont perdu beaucoup d'argent. Des écosystèmes industriels doivent encore être bâtis pour proposer une solution viable sur le transport longue distance. En attendant, nous cherchons à limiter notre impact en optimisant le remplissage des camions. Pour cela, nous allons faire évoluer la lettre rouge prioritaire - elle sera disponible sous format digital - et reculer d'un jour le délai d'acheminement de la lettre verte.

Vos efforts en matière de lutte contre le changement climatique ne se font-ils pas au détriment du volet social : courrier digital, disparition des bureaux de poste ?

Certes, la lettre rouge « tout papier » va disparaître. Savez-vous combien chaque foyer en envoie par an ? Cinq seulement. Il y a 10 ans, c'était 50. De plus, la lettre prioritaire restera disponible, mais sous format digital pour l'expéditeur. Elle sera imprimée dans le bureau à proximité du destinataire, puis distribuée par le facteur. Vous allez dire qu'il existe des inégalités d'accès au numérique, mais les agents des bureaux de poste pourront scanner les lettres avec leurs tablettes. Quant aux points de contacts postaux, leur nombre est fixe et demeure inchangé : 17 000 en France. En revanche, leur nature évolue : nos services sont parfois disponibles en mairie ou dans des magasins de proximité, en plus des bureaux de poste. La diminution des envois de lettres est une réalité et se traduit d'ailleurs par d'importantes baisses de chiffre d'affaires pour La Poste. Pourtant, malgré ces baisses et leurs conséquences pour notre modèle d'affaires, nous maintenons les tournées de nos facteurs. Ils passent 6 jours sur 7, alors que la réglementation européenne permettrait de ne faire que 5 passages. Si certains ont l'impression de moins voir leur facteur, c'est avant tout parce qu'ils reçoivent moins de lettres qu'avant. En 2008, les Français recevaient 18 milliards de lettres. En 2023, ce chiffre sera de 6 milliards. Notre projet d'entreprise est bien social et environnemental. Il ne peut y avoir de transition énergétique sans réassurance du lien social.

Quelles sont les clés de réussite pour affronter les enjeux de transition climatique ?

N.R. La démarche doit être structurée et mesurée. Notre groupe a une trajectoire de température compatible avec une hausse de 1,5 °C. Depuis 3 ans, nous faisons valider notre trajectoire par le SBTI (Science-Based Target Initiative), un organisme internationalement reconnu. Nous nous engageons sur une réduction de 90 % de nos émissions en valeur absolue et une compensation plus exigeante sur les 10 % restants. Les standards de place sont indispensables pour mesurer les efforts de chaque acteur et les guider. D'ailleurs, nous faisons partie des entreprises les mieux notées en matière d'extra-financier : La Poste et La Banque Postale font partie des 272 entreprises, dont 22 françaises, sur la liste A (la mieux notée) du CDP, nous sommes dans le top 1 % d'Ecovadis et avons obtenu la meilleure note RSE jamais attribuée par Vigeo Eiris.

Autre conseil : embarquer et former toute l'entreprise. Notre COMEX est très impliqué, tout comme chacun des 245 000 postiers.

Enfin, ce n'est pas un conseil mais un constat. Il faut lutter contre le greenwashing et les effets d'annonce. Transformer une entreprise pour la rendre moins polluante demande de revoir tous les systèmes de décision, à commencer par la stratégie d'investissement : notre dernier kilomètre propre, par exemple, a un coût plus élevé. C'est La Poste qui l'assume, nous ne le répercutons pas sur nos clients. Transformer une entreprise demande aussi de la constance et de la cohérence dans la durée. C'est ainsi que l'on renforce l'attachement des clients et l'engagement du corps social.

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T La Revue n°12

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Commentaires 2
à écrit le 15/01/2023 à 19:10
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bcp de novlangue pour cacher le fait que plus rien ne marche correctement.......il faudrait revenir aux faits, pas a l'hitoire de 600 ans!

à écrit le 15/01/2023 à 9:00
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La meilleure transition énergétique est de pouvoir... s'en passer et donc, sortir de cette "politique de l'offre" qui nous en impose l'utilisation ! ;-)

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