La difficile mutation de l'enseignement agricole face à la transition écologique

Réforme des diplômes, conversion des exploitations agricoles à des pratiques plus durables, interdiction progressive du glyphosate : l'enseignement agricole a entamé sa transition écologique ces dernières années, mais des freins persistent, notamment chez les élèves issus de milieux agricoles.
(Crédits : DR)

Comment l'urgence écologique et les évolutions réglementaires -incitation à la conversion au bio, interdiction progressive du glyphosate...- sont-elles prises en compte dans les écoles qui forment les agriculteurs de demain ?

Selon les établissements - publics, privés ou associatifs -, les exigences en matière de transition ne sont pas les mêmes, explique le sociologue Joachim Benet Rivère, chercheur postdoctoral à l'Ecole nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole (ENSFEA).

Malgré des évolutions récentes dans les programmes communs, la transition écologique peine à s'y implanter face aux pratiques traditionnelles ou familiales. Et les obligations de conversion des exploitations (à l'agriculture biologique ou à Haute valeur environnementale, HVE) et d'interdiction du glyphosate (désherbant) concernent surtout les exploitation accolées aux lycées publics.

La sensibilité écologique diffère selon les catégories socio-professionnelles

« On observe que ce sont plutôt les élèves qui sont d'origine non agricole qui se disent favorables à la transition agroécologique tandis que les élèves d'origine agricole y sont plus réticents, voire hostiles », estime le chercheur.

Les étudiants dans les formations supérieures et formations pour adultes y sont plus favorables, notamment dans les brevets professionnels, ouverts aux personnes en reconversion. Ces dernières sont souvent d'origine non agricole et cherchent à s'installer dans le bio. Il y a d'ailleurs plus de formations spécialisées en agriculture biologique dans le supérieur. On observe une opposition avec l'enseignement agricole technique, le bac pro, qui forme majoritairement des garçons d'origine agricole.

Enfin, les filles sont plus souvent favorables à l'agroécologie car elles sont plus souvent issues de milieux non agricoles. Elles sont en avance par rapport aux lycées agricoles sur la question du bien-être animal, qui peut cristalliser des tensions. Mais elles sont minoritaires dans les formations techniques.

De plus, les formations techniques sont maintenant minoritaires dans l'enseignement agricole par rapport aux filières dédiées aux services à la personne en milieu rural et à l'aménagement paysager. C'est aussi un lieu d'accueil d'élèves en difficulté scolaire.

Déni, observation puis acceptation dans les écoles

« Niveau écologique, c'est une bonne chose, mais niveau économique, ça peut être pénalisant »: au lycée agricole  normand de Brémontier-Merval, les élèves apprennent sur une exploitation bio. Mais pour beaucoup, transition rime encore avec complications.

Valentin, en terminale STAV (Sciences et technologies de l'agronomie et du vivant), a vu des agriculteurs être « pénalisés »quand des pesticides ont été interdits, synonyme de baisses de rendements. « Il faut bien nourrir les gens », s'inquiète ce fils d'agriculteur.

Mais l'exploitation du lycée du Pays de Bray lui montre qu'un autre modèle était possible : moins de volumes et plus de bénéfices en s'affranchissant des produits chimiques et en passant les vaches au « tout herbe » pour leur alimentation. « Nous, on devait acheter du tourteau [résidu issu de la pression d'un oléagineux, souvent le soja] pour les nourrir, ici, ils sont autonomes », souligne le lycéen de 17 ans. « Le modèle de mon père, il marche pour l'instant. A l'avenir, je suis pas contre des modifications. Tant qu'on s'en sort. Parce que l'environnement, c'est bien, mais il faut pouvoir se dégager un revenu », insiste l'agriculteur en devenir.

Pour Romain Antoine, responsable du troupeau, les enfants d'agriculteurs conventionnels passent par différentes étapes, comme pour le deuil : le déni, la colère... Mais selon les salariés et la direction, les chiffres finissent par les convaincre. Les vaches produisent moins mais le fromage est vendu plus cher. Les bêtes pâturent quasiment toute l'année, entre les pommiers, devant un château normand du XVIIe siècle qui abrite les salles de classe.

« Mais avec le bio, il y a plus de maladies », observe Cévan, 15 ans, élève en CAP Métiers de l'agriculture, tronçonneuse à la main pour défricher une parcelle de forêt empiétant sur une prairie. Pourtant, grâce à la prévention, les vaches vieillissent mieux ici qu'ailleurs, répond leur professeur d'agronomie et de sciences et techniques des agro-équipements Ludovic Delabriere. Cévan capitule: « C'est vrai que le produit est de meilleure qualité, je préfère manger bio... mais je ne me vois pas faire du bio ».

Evolution lente des mentalités

La notion de « développement durable » a été introduite en 2010 dans les textes régissant l'enseignement agricole. La « diversité des systèmes de production » en 2014 et la « sensibilisation au bien-être animal » en 2018.

Depuis 2014, les « établissements doivent enseigner à produire autrement ». D'ici 2025, leurs exploitations devront être converties au bio (27% des surfaces le sont actuellement), certifiées « haute valeur environnementale » (36% actuellement) ou SIQO (pour « signe d'identification de la qualité et de l'origine » - le Label Rouge en fait partie).

A Brémontier-Merval, « ça fonctionne depuis des années parce qu'il y avait des envies et un territoire qui s'y prête. Mais l'esprit est transposable. On donne juste un exemple de ce qui est possible, les élèves se construisent leur avis ensuite », explique Laurence Veillon, proviseure, ajoutant que les bénéfices ont fini par convaincre les enseignants réticents.

« On est en quasi complète autonomie. Il y a une vraie fierté d'en parler aux élèves. Leur montrer qu'il y a des moyens de faire autrement », sourit Fabienne Dutot, responsable de l'atelier transformation fromagère, en regardant deux élèves mouler des fromages.

François Juguet, responsable de la cidrerie, a les yeux qui brillent en montrant les variétés locales de pommiers réintroduites sur l'exploitation. Il se réjouit aussi de voir arriver des élèves non issus du milieu agricole. Ces derniers, ainsi que le nombre croissant de filles, « changent la perception des classes. Il y a plus d'ouverture, car ceux qui arrivent du milieu agricole ont souvent le modèle familial en tête », renchérit Laurence Veillon.

Mais seulement 13% des fermes sont converties au bio en 2021.

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Commentaires 5
à écrit le 27/02/2023 à 17:29
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13% des exploitations converties au bio ,ça veut dire 87 % des exploitations qui restent conventionnelles :c'est peut être pour ça que nous ne faisons pas encore la queue devant les magasins d'alimentation!

à écrit le 26/02/2023 à 17:04
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Les enfants d'agriculteurs passés par les écoles d'ingénieurs sont sensibilisés aux questions d'environnement et même s'ils paraissent parfois septiques ils se conforment aux nouvelles exigences et comme par ailleurs ils ont été formés à la gestion i...

à écrit le 26/02/2023 à 12:11
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si les profs enseignent aussi le business modèle et prouvent qu'il y a une meilleure rentabilité cela ne devrait pas poser de problème. je n'ai jamais vu des entrepreneurs refuser un business plus rentable si il est explicité. mais bon , j'ai des dou...

à écrit le 26/02/2023 à 11:08
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Il fut un temps en France, où les échanges internationaux ne concernaient que les surproductions locales durant les années fastes puis, est venue l'idée… de l'industrialiser et de construire un monde artificiel tout autour ! ;-)

à écrit le 26/02/2023 à 10:51
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"Les vaches produisent moins mais le fromage est vendu plus cher." transformer le lait produit est plus valorisant que vendre le lait qui est un produit banal qu'on peut faire venir en camion citerne de l'étranger (les industriels cherchent à gagner ...

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