« Sur l'hydrogène, il faut sortir de la logique seulement locale pour déployer à grande échelle » Pierre-Etienne Franc (FiveT Hydrogen)

ENTRETIEN. Le fonds d’infrastructure pour l’hydrogène décarboné Hy24, co-créé en octobre dernier par Ardian et FiveT Hydrogen, vient de s’unir avec Mirova, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et Technip Energies pour un investissement record de 200 millions d’euros dans Hy2gen AG, producteur d’hydrogène « vert ». Ces capitaux seront consacrés à la production de carburants destinés à décarboner le transport maritime et terrestre, l’aviation et l’industrie, autant de secteurs encore largement dépendants des combustibles fossiles. À cette occasion, le co-fondateur de FiveT, Pierre-Etienne Franc, revient pour La Tribune sur le fonctionnement concret de ce fonds, et sur sa vision de la transition énergétique.
(Crédits : Hy24)

LA TRIBUNE - À quoi sert, concrètement, le fonds d'infrastructure pour l'hydrogène décarboné géré par Hy24, une structure co-créée par Ardian et FiveT Hydrogen ?

PIERRE-ÉTIENNE FRANC - L'idée est simple : agir comme un catalyseur, et accompagner financièrement le développement de l'hydrogène bas carbone sur toute sa chaîne de valeur. Et ce, en se concentrant sur ce secteur en particulier uniquement. Car nous voulons faire en sorte que celui-ci devienne une nouvelle classe d'actifs à part entière pour les investisseurs, aux côtés des actifs pour les centrales au gaz ou au charbon. Autrement dit, nous souhaitons qu'il ne représente pas qu'une petite poche dans un fonds plus diversifié sur l'énergie.

Pour ce faire, nous allons investir à la fois en amont, sur les électrolyseurs [des installations qui permettent de produire de l'hydrogène à partir d'eau et d'électricité, Ndlr], et en aval, notamment sur l'usage dans la mobilité, via les flottes captives et les stations de distribution d'hydrogène. Nous voulons aussi diversifier le portefeuille sur le plan géographique, de l'Europe aux États-Unis, en passant par l'Asie.

À terme, nous espérons ainsi réunir de 1,5 à 1,8 milliard d'euros. Il y a déjà de nombreux investisseurs à l'initiative de ce fonds, comme Air Liquide, TotalEnergies, Vinci, PlugPower mais aussi AXA et CCR, le groupe chimiste coréen LOTTE Chemical, les trois opérateurs du réseau gazier GRTgaz, Snam et Enagas, ou encore EDF, ADP et Ballard, entre autres. En tout, seize groupes industriels et financiers ont déjà participé, ce qui permet d'avoir une belle ossature. Nous sommes ainsi déjà actifs sur trois deals, dont celui avec Hy2gen, annoncé aujourd'hui, qui procède précisément de cette approche - catalyser un tour de table avec d'autres grands acteurs du secteur pour permettre le développement à l'échelle d'une filière basée sur l'hydrogène vert, ici plutôt les e-fuels et l'ammoniac. Les capitaux investis seront en effet consacrés à la réalisation de quelques projets déjà très avancés dans ce secteur.

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Qu'est-ce qui garantit que les projets que vous sélectionnez sont bel et bien vertueux ?

Nous opérons dans un cadre strict. Et pour cause, le fonds se positionne dans le cadre de l'article 9 du règlement européen SFDR [Sustainable Finance Disclosure Regulation, ndlr], le plus contraignant de tous sous l'angle environnemental. Concrètement, il impose que les actifs soient contributeurs à la baisse des émissions de gaz à effet de serre, et ce, de manière tangible. Et implique des obligations déclaratives et de reporting assez fortes pour s'en assurer.

Bien sûr, notre objectif est aussi d'être efficace. La société de gestion est régulée par l'Autorité des marchés financiers (AMF), comme tous les fonds qui investissent dans l'industrie et la finance. Ainsi, à partir d'un score déterminé à l'avance pour les quinze ans à venir, l'équipe de gestion va chercher les projets les plus performants, dans la thématique d'investissement définie (géographique, ou par segment entre amont et aval).

Néanmoins, nous avons aussi pour objectif que 15% du fonds soit investi dans des projets dits « stratégiques », c'est-à-dire qui conservent un risque de marché au départ, mais qui enclenchent la dynamique sur un segment ou un territoire.  Et pour cause, nous nous plaçons aussi dans une logique de pari aux côtés de la filière.

Qu'entendez-vous par projets « stratégiques » ?

Cela peut concerner, par exemple, le « Power to X », qui consiste à convertir l'excès d'électricité renouvelable provenant du vent, du soleil ou de l'eau en hydrogène, dans des régions à fort potentiel, afin de lui trouver un débouché d'usage sur un autre continent. Nous pensons que cela va arriver dans la décennie, avec des premiers projets plus exposés, mais plus performants pour les premiers entrants.

Et il faut qu'on y parvienne pour décarboner l'économie. Car, aujourd'hui, on ne sait pas exploiter l'immense potentiel des énergies renouvelables sur de longues périodes ou à grande échelle quand elles sont loin de la demande. Certes, la batterie permet de stocker de l'électricité, mais seulement en petites quantités. Demain, je pourrai récupérer ce courant issu d'éoliennes ou de panneaux photovoltaïques, par exemple, pour produire de l'hydrogène bas carbone. Ces projets illustrent la fonction de vecteur d'énergie de l'hydrogène. Demain, l'hydrogène sera le mètre étalon de notre évolution vers un nouveau modèle énergétique.

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En-dehors du « Power to X », à quoi servira cet hydrogène décarboné ?

Si le stockage de l'énergie est un grand sujet, je pense qu'il arrivera après d'autres usages, surtout en France. Car notre pays bénéficie d'une plaque électrique très dense, étant donné que nous avons la capacité de gérer l'intermittence des énergies renouvelables grâce au nucléaire, lequel émet peu de dioxyde de carbone et est pilotable. D'ailleurs, selon moi, l'avenir de l'atome passe aussi en partie par l'hydrogène. Car ce dernier permettra au nucléaire d'écouler sa production pour des besoins continus d'énergie que l'électron ne sait pas capturer, nécessaires par exemple pour alimenter en permanence des procédés industriels intensifs en énergie, comme la sidérurgie.

En plus des procédés industriels, je considère que la première étape majeure à franchir reste dans le secteur de la mobilité. Et plus précisément dans le remplacement des carburants, aujourd'hui essentiellement d'origine fossile et émetteurs de dioxyde de carbone, par de l'hydrogène « vert ». C'est là que ça va être critique. Ce processus va d'abord arriver par les transports lourds, les flottes captives, et les flottes commerciales, qui ont besoin de déplacer des charges importantes. Chaque station pourra être alimentée par 1 ou 2 tonnes par jour d'hydrogène, ce qui permettra d'alimenter plusieurs centaines de véhicules du matin au soir. On est là sur des usages de mobilité intensive, lourde, collective, que la batterie couvre mal, mais qui ne vont pas disparaître, au contraire.

Mais comment remplir ces stations ? Cela impliquera-t-il de faire circuler chaque jour des camions-citernes ?

Il faut faire les choses étape par étape. Certes, les stations seront d'abord ravitaillées par des camions, qui fourniront de l'hydrogène sous forme de gaz. Mais on pourrait aussi l'acheminer sous forme liquide, ce qui permettra de transporter plusieurs tonnes par camion plutôt que seulement quelques centaines de kilogrammes en moyenne. Et dans dix ans peut-être, nous pourrons alimenter les lieux de consommation via un réseau de pipelines creusés sous terre, plutôt que par une logistique routière.

Emmanuel Macron a récemment annoncé mettre 1,9 milliard d'euros sur la table afin de déployer l'hydrogène bas carbone en France. Un montant qui s'ajoutera à celui du plan de 7 milliards d'euros déjà annoncé en 2020 via le plan de relance, dont le but était de soutenir cette filière naissante. Vous réjouissez-vous de cette enveloppe ?

C'est une très grosse enveloppe, qu'il faut mettre en œuvre, avec des contraintes parfois longues. Ce plan s'inscrit dans une stratégie européenne lancée en 2020. Cependant, nous sommes début 2022, et les projets sont toujours en phase d'approbation. En fait, l'ambition est exemplaire, mais cela prend du temps. Et pour cause, Bruxelles a mis en place un ensemble de réglementations ambitieuses, notamment dans les transports. Mais celles-ci s'appliquent à un horizon 2030, et il nous manque des outils pour avancer, déployer concrètement les infrastructures entretemps et permettre réellement aux camions et aux industriels intensifs en énergie de passer sur des modèles plus vertueux d'ici à la fin de la décennie.

Pour y remédier, au-delà des milliards mis sur la table, j'estime qu'il faut renouer avec les contrats de concession, type « PPP » [partenariat public-privé, Ndlr]. Concrètement, on pourrait réfléchir à des contrats où l'État doit s'assurer qu'une mission de service définie est bien remplie (par la mise à disposition d'une capacité de distribution pour la mobilité, avec des contraintes de disponibilité, de déploiement et de fiabilité), afin d'assurer des déploiements minimum d'infrastructures de station hydrogène.

C'est une manière d'accompagner les réglementations qui font basculer les acteurs vers des mobilités décarbonées. Cela ne changerait rien aux habitudes d'usage des consommateurs, puisqu'on parle là d'infrastructures de substitution. Mais offrirait de la visibilité aux industriels et aux financiers, aujourd'hui hésitants à prendre le risque d'un passage à l'échelle. Il faudrait donc idéalement mettre en oeuvre un plan de maillage du territoire, qui permette à l'Etat de déployer une dynamique nationale, pour mieux coordonner les initiatives locales. Et incitera les acteurs à accélérer sur le sujet.

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Commentaires 2
à écrit le 17/02/2022 à 19:31
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On commence a se demander: Où veulent ils aller a coup d'innovation ? Alors qu'il n'y a pas le moindre progrès pour le commun mortel! C'est toujours la logique d'un monde gouverné par la "politique de l'offre" et de ses éternelles publicités générate...

à écrit le 17/02/2022 à 14:21
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Les français ont confiance dans nos politiciens à seulement 13%, croyez vous tous qu'il est bon à terme de se lancer dans ce qui ressemble hélas surtout d'abord et avant tout à une propagande ? À combler les vides. Ensuite visiblement l'économie s'es...

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