La crise immobilière et la fin du rêve américain

En attirant des millions d'immigrés par le passé, le rêve américain, supposé donner sa chance à chacun d'accéder à une vie meilleure, a largement contribué à la construction et à la puissance des Etats-Unis. Depuis plus d'une décennie, le doute s'est installé dans les esprits, renforcé par la crise actuelle. Ce sera l'un des défis les plus importants du nouveau président élu que de restaurer ce rêve. Par Dominique Piotet, président de l'Atelier BNP Paribas à San Francisco.

 L?idée de rêve américain est profondément ancrée dans l?imaginaire collectif, bien au-delà des Etats-Unis. Ce rêve a été l?un des puissants moteurs de l?immigration qui a permis de peupler le pays. Chercheurs de fortune, chercheurs d?or, chercheurs d?un monde supposé meilleur ont afflué en masse dans ce pays qui promettait le bonheur à tous. Au point d?inscrire cette recherche du bonheur comme bien inaliénable de l?homme dans la Déclaration d?indépendance de 1776. Quête utopique, qui réserve souvent des réveils douloureux. La crise très profonde qui secoue les Etats-Unis atteint ce rêve en son c?ur, et le restaurer sera une des tâches difficile du nouveau président, qui pourtant l?incarne à bien des égards.

Depuis plus de dix ans les Américains doutent de leur puissance, censée être porteuse des valeurs universelles de la liberté. Aujourd?hui, c?est un autre fondement de ce rêve qui s?effrite, pour ne pas dire qu?il s?écroule: l?accès à la propriété immobilière comme achèvement de la réalisation de soi et de sa famille. La formulation originelle de l?expression revient à l?historien James Truslow Adams, dans son livre «The Epic of America», publié en 1931. Il y décrit une vision très sociale de ce rêve. Il parle du «rêve d?une terre sur laquelle la vie serait meilleure et plus riche pour tous, donnant à chacun la chance de réussir et de s?épanouir». Il ajoute que «ce n?est pas essentiellement un rêve d?automobiles et de hauts salaires, mais un rêve d?ordre et de justice sociale». C?est tout l?inverse qui a prévalu. La notion très vague de rêve américain a été largement instrumentalisée pour pousser au développement d?une société dans laquelle la capacité à consommer est une des valeurs centrales, et l?accès à la propriété la consécration absolue. Plus de 68% des Américains sont propriétaires de leur maison, contre environ 55% en France.

La poursuite du rêve américain a pris depuis au moins deux décennies la tournure d?une fuite en avant effrénée. L?analyse de la crise immobilière permet de comprendre un des éléments de la mécanique. Elle est le résultat de la conjonction de nombreux facteurs, dont les effets démultiplicateurs sont dévastateurs. Le premier de ses facteurs tient à la fiscalité très avantageuse accordée aux propriétaires, les incitant à prolonger leur endettement. Ils disposent de larges déductions fiscales, notamment sur les intérêts de leurs emprunts. Selon le Trésor américain, sur les 80 millions de maisons individuelles américaines, seules 27 millions sont complètement remboursées. A cette incitation fiscale à rester endetté s?ajoute la facilité de refinancement des maisons. Cette capacité, peu régulée et illimitée aux Etats-Unis, a conduit des millions de ménages à utiliser leurs maisons comme un distributeur automatique de billets.

Portés par une hausse historique des prix (plus 30% par an en moyenne sur les dix dernières années, contre environ 3,4% sur le long terme depuis 1920, selon le Milken Institute), les Américains ont eu tendance à refinancer leur prêt et à encaisser la différence entre la valeur passée de leur maison et la valeur actuelle pour financer des achats de consommation courante comme leur voiture ou leurs vacances. C?est d?autant plus intéressant que l?incitation à rester endetté est forte. Ils ont ainsi construit une véritable bombe à retardement à l?échelle du pays, gageant sans le savoir leur bien-être présent sur un patrimoine à la valeur volatile. Tant que la valeur des maisons croît de 10% à 20% par an, tout va bien. Plus dure est la chute, quand la machine à cash se trouve brusquement fermée et qu?il faut rembourser sur la base du prix d?une maison qui peut perdre jusqu?à 50% de sa valeur.

D?autant que le troisième élément du château de cartes a conduit des Américains qui n?en avaient pas objectivement les moyens à accéder à la propriété. De nombreux acteurs, notamment intermédiaires financiers peu scrupuleux, ont proposé des financements à des ménages ne pouvant pas se les offrir. En développant des prêts non documentés (sans les informations minimales par exemple sur les sources de revenus ou d?emploi), ces intermédiaires ont organisé la fragilisation du système. Ce sont les fameux subprimes, qui représentent 8,4% du stock des prêts américains selon la Fed. Ce type de prêt a quadruplé entre 2001 et 2006, indique le Milken Institute. Ils sont l?allumette qui a mis le feu à ce qui aurait dû apparaître au gouvernement fédéral comme une véritable poudrière. Mais, justement au nom de ce fameux rêve américain, il a refusé d?intervenir et d?opposer une régulation sérieuse à un système partant à la dérive. Le gouvernement en paye non seulement le prix aujourd?hui, mais il obère sérieusement les chances du nouveau président de restaurer facilement les racines de ce rêve, sur des bases plus sociales que consuméristes.

Le rêve américain a été un des puissants outils politiques de toutes la administrations américaines depuis les années 1950. Le flou de la notion, sa portée fantasmatique en font un fabuleux levier pour assembler les foules. Kennedy en a été probablement l?un des plus puissants promoteurs, avec son idée de nouvelles frontières. Martin Luther King, et son fameux discours débutant par «I had a dream», en fut un autre.

Le nouveau président des Etats-Unis a face à lui de sérieux challenges. Le premier d?entre eux est sans doute de tenter de restaurer les fondamentaux du rêve alors que ses marges de man?uvre sont très réduites.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
Bonjour, je ne pense pas que la crise économique soit en elle même la crise du rêve américain .En effet, vous qui vous adonnez en dilettante au récit d?une petite histoire fantasque d'une immigration américaine idyllique et volontariste, n'oublié pas...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.