Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt, dit le proverbe chinois. Le doigt, en l'occurrence, est cet amendement qu'examinait hier le Sénat et qui repousse à 70 ans, au lieu de 65, l'âge où un employeur peut mettre à la retraite d'office un de ses salariés. La gauche et le Modem sont immédiatement montés au créneau pour défendre les acquis sociaux menacés, tant l'intention leur semblait transparente. Derrière cet amendement se profilait à coup sûr le relèvement de l'âge de départ à la retraite. C'est peut-être le cas, bien que le gouvernement et en particulier le Premier ministre François Fillon affirment dans les termes les plus nets qu'il n'en est rien. On pourrait d'ailleurs très légitimement argumenter en faveur d'un relèvement de l'âge de la retraite, dès lors que l'espérance de vie progresse chaque année de trois mois, et si la gauche revient un de ces jours au pouvoir elle réexaminera très certainement le problème. Mais là n'est pas la question. Si l'âge de la retraite doit être repoussé, comme en Allemagne où il va être porté à 67 ans, il sera procédé à un vote dans les formes démocratiques après un débat qu'on imagine vif et approfondi. Et les syndicats, dont la retraite est devenue le principal cheval de bataille - on les entend moins sur les conditions d'entrée des jeunes dans la vie active - mobiliseront comme de juste. Si le gouvernement semble très pressé de faire adopter cet amendement et de le rendre applicable au 1er janvier 2009, c'est parce qu'il est le corollaire de la vraie grosse réforme de la retraite qui s'apprête à entrer en vigueur, sans que l'opposition n'ait pipé mot, justement au premier jour de l'an neuf. Cette réforme est celle du cumul emploi-retraite. Désormais, sauf chausse-trappe administrative cachée au détour d'un décret, chaque personne qui le souhaitera pourra cumuler, sans restriction et sans plafond, un emploi rémunéré et une pension de retraite. Pour le dire plus clairement encore : un salaire de 2.000 euros par mois, plus une retraite de 1.200 euros, par exemple. Au lieu de se transformer en retraité vivant un peu chichement, ceux qui le pourront deviendront des salariés seniors - des cotisants, donc - disposant en plus d'une pension. Très vite, les Français feront leurs calculs. Le plus difficile, alors, sera de les contraindre à prendre leur retraite - sauf s'ils sont malades ou franchement épuisés. Ou sauf si leur entreprise les met dehors. Il s'agit donc d'empêcher les employeurs de gripper le mécanisme en licenciant les salariés âgés. Avec l'amendement des 70 ans, pas question d'expédier en retraite celui qui veut continuer à travailler. Les directeurs des ressources humaines sont les véritables cibles de cet amendement. Il faudra qu'ils gardent leurs «vieux» et trouvent une façon rationnelle de le faire. Est-ce leur demander la lune ?
L'édito de la Tribune : 70 ans, c'est pas la lune
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